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MÉLANGES
PAR
THOMAS CHAPAIS
>.
MÉLANGES
de
Polémique et d'études religieuses,
politiques et littéraires
par
THOMAS CHAPAIS
^C^f-*^
QUÉBEC
Impkimerie de la Compagnie de s L'Evénement »
30, rue de la Fabrique
1905
Enregistré conformément à l'acte du Parlement du Canada concernant la
propriété littéraire et artistique, en l'année mil neuf cent cinq, par
Thomas Chapais, au ministère de l'Agriculture, à Ottawa.
T-
50ÎI
PREFACE
Nous n'obéissons pas à un sentiment d'amour-
propre en commençant aujourd'hui la réimpres-
sion de quelques-uns des articles publiés par
nous dans la presse. Si notre vanité d'auteur
était seule en cause, elle trouverait mieux son
compte à les voir continuer leur sommeil dans
le silence de l'oubli. Aussi n'est-ce pas à titre
de fragments littéraires dignes de l'estime
publique que nous les exhumons de leurs cata-
combes. Mais c'est plutôt à titre de documents
ayant peut-être quelque utilité pour l'histoire
sociale, religieuse et politique du dernier quart
de siècle.
La plupart des écrits reproduits dans ce
recueil ont paru d'abord dans le Courrier du
Canada, à la tête duquel nous avons fourni une
carrière de dix-sept ans. Dès 1880 nous avions
commencé à y collaborer. En 1884 nous deve-
nions son rédacteur en chef. En 1890 nous en
acquérions la propriété. Et le 11 avril 1901,
nous avions le profond regret de voir tomber
6 PRÉFACE
SOUS nous ce bon destrier qui nous avait porte
dans maintes batailles.
Faire du journalisme militant durant près de
vingt-cinq années, c'est toucher à bien des
faits, à bien des hommes, à' bien des questions.
C'est recevoir tous les jours l'impression directe
et vivace des événements. C'est aussi, tous les
jours, essayer d'exercer sur eux une action par
la prosélytisme et par la polémique.
Pendant ces derniers mois nous avons fait
une longue et laborieuse excursion à travers
ces années évanouies et ces écrits oubliés. Plus
d'une figure presque noyée dans la brume du
temps lointain s'est animée pour nous d'une
vie nouvelle. Plus d'un épisode aux contours
effacés a repris à nos yeux tout son relief. Plus
d'une discussion, passée à l'état de vague rémi-
niscence, a fait jaillir soudain en nous un flot
de souvenirs. Plus d'un acte, dont la physiono-
mie vraie s'était altérée dans notre mémoire,
nous est apparu de nouveau dans sa réalité et
son caractère véritables. Et nous nous sommes
persuadé que si, parmi ces pauvres pages écrites
au jour le jour, quelques-unes nous aidaient
nous-même à apprécier plus judicieusement
les faits auxquels nous fûmes mêlé, elles pour-
raient rendre à autrui le même service.
Au retour de cette excursion, nous faut-il
entrer avec nos lecteurs dans la voie des confi-
PRÉFACE 7
dences ? Soit ; nous leur confesserons donc
volontiers que nous avons constaté avec tris-
tesse combien ces produits hâtifs de notre
plume sont insuffisants dans le fond et défec-
tueux dans la forme. Dans le fond, trop sou-
vent au lieu d'une étude solide et approfondie,
on ne trouvera que des traits rapides et des
notes superficielles. Dans la forme, on cher-
chera vainement la pureté, l'éclat du style,
l'atticisme du langage. Et malheureusement,
on les verra parfois remplacés par des excès
d'expression que la vivacité de certains débats
pourrait seule excuser.
Mais il est une déclaration que nous nous
croyons en droit de faire, et que nous tenons à
faire ici. C'est que nous n'avons jamais man-
qué à la sincérité qui doit être l'une des lois les
plus rigoureuses du journalisme honnête. Nous
avons donné et reçu bien des coups ; nous avons
soutenu des controverses passionnées ; nous
avons pris une part active à des crises poli-
tiques intenses ; nous avons subi et livré de
rudes assauts dans le journalisme quotidien.
Mais nous pouvons nous rendre ce témoignage
que jamais nous n'avons affirmé sciemment une
chose fausse ; que jamais nous n'avons accusé
un adversaire sans être convaincu du bien
fondé de notre accusation ; que jamais nous
n'avons soutenu une opinion sans la croire
8 PKÉFACE
vraie. Nous dous sommes plus d'une fois
trompé, sans doute, et nous avons eu peut-être,
en quelques occasions, le malheur d'être injuste
ou excessif. Mais lorsque nous avons péché par
inexactitude ou par outrance, au moins nous
l'avons fait de bonne foi. La bonne foi, voilà
ce qui est essentiel dans le journalisme, et
voilà ce qui fait trop souvent défaut. Nous
avouons que la polémique de mauvaise foi a
toujours eu le don de nous exaspérer, et cela
paraît dans plusieurs des pages de ce recueil.
Puisque nous en sommes au chapitre des
aveux et des excuses, nous sera-t-il permis de
faire observer que la condition du journalisme
dans notre pays est assez difficile pour mériter
au journaliste consciencieux quelque indul-
gence de la part du public ? Lorsque nous
sommes entré dans la presse, un rédacteur en
chef était un homme à tout faire. Aidé à peine
d'un ou deux sous-rédacteurs, il devait mettre
la main aux différentes besognes qui ont pour
objectif d'emplir les colonnes du journal : tra-
duction des dépêches, rédaction des faits divers,
des comptes rendus, voire des annonces et des
réclames, correction des épreuves, et même
surveillance de la mise en pages. Il lui fallait
souvent, pour un même numéro, s'occuper de
tout cela en même temps. Tâche agréable et
intéressante ! La division du travail, qui est la
PRÉFACE 9
règle du journalisme en France, en Angleterre,
et ailleurs, était ici chose à peu près inconnue,
par suite du défaut de ressources. Les grands
journaux étrangers ont un nombreux état-
major : tel rédacteur fait la critique littéraire,
tel autre fait le compte rendu parlementaire,
celui-ci la politique extérieure, celui-là la poli-
tique intérieure. Dans beaucoup de cas, le direc-
teur ou le rédacteur en chef n'écrit pas tous
les jours, ou n'écrit qu'une soixantaine de
lignes. Nous ne parlons pas des reporters, des
rédacteurs de dépêches, de faits divers, etc.
Chaque atelier d'imprimerie a son correcteur
d'épreuves expert, qui corrige jusqu'aux fautes
de français.
Ici rien de tel, à l'époque dont nous parlons.
Le rédacteur en chef jouait le rôle de factotum,
au grand et lamentable détriment de la rédac-
tion. On comprend à quel labeur acharné il
était tenu, s'il voulait faire un journal passable,
en dépit de tant d'empêchements. A mesure
que les événements se succèdent, événements
politiques, événements sociaux, événements
religieux, le journaliste soucieux de son devoir
doit en parler, leur consacrer au moins quelques
mots d'appréciation. Et lorsqu'une question
grave surgit devant le public, il lui incombe
de la discuter, d'en exposer à ses lecteurs la
nature et la portée. Mais pour cela il faut des
10 PKÉFACE
études, il faut des recherches et de la réflexion,
et par conséquent il faut du temps. Tel article
d'une colonne et demie sur un sujet nouveau
a coûté peut-être à son auteur la valeur de
trois jours de travail. Mais l'abonné exigeant
fait la moue. — Penh ! c'est bien incomplet ! —
Et il écrit au journal que la rédaction laisse
beaucoup à désirer.
Histoire, théologie, droit, finances, économie
politique, littérature, géographie, le journaliste
devrait au moins savoir un peu de tout cela,
et étudier, lire sans cesse pour suppléer à ce
qui lui manque. Comment peut-il le faire lors-
que ses journées sont prises par ce que l'on
pourrait appeler la cuisine du numéro, la mise
en train de la feuille éphémère, la lecture des
journaux, des revues et de la correspondance
volumineuse, sans compter les visites impor-
tunes ? Il lui reste ses soirées, qu'il ne saurait
constamment dérober à ses devoirs de famille
et de société, et ses nuits durant lesquelles il
est souvent obligé de préparer l'article du len-
demain. Plus d'une fois — on nous pardonnera
cette mention personnelle — les heures mati-
nales nous ont surpris courbé sur les colonnes
rébarbatives des comptes publics et des rap-
ports de l'auditeur général. Plus d'une fois aux
époques de crise et de polémique à jet continu,
les premiers rayons de l'aube ont fait pâlir la
PRÉFACE 11
lueur de la lampe qui avait éclairé notre labeur
nocturne. Un grand nombre de nos confrères
pourraient nous faire la même confidence.
Ce que nous venons d'écrire s'applique sur-
tout sans doute aux conditions du journalisme
canadien d'il y a vingt ans. Depuis quelques
années la carrière est devenue moins dure.
Mais elle est encore pénible et ingrate. Aujour-
d'hui comme autrefois le journaliste sérieux
doit faire face à une tâche dont le public ne
soupçonne pas le fardeau. Il est exigeant, le
public, et il est peu généreux. Son idéal serait
d'avoir au rabais un journal complet et parfait.
De la politique, de la critique, de la science
vulgarisée, de la discussion mordante, puis beau-
coup de nouvelles diverses, du sport, des mon-
danités, des dépêches de partout, des informa-
tions variées et générales, et tout cela à un sou
le numéro !
Durant la dernière décade, notre journalisme
a subi une transformation profonde. II a évolué
vers le genre américain. Nous avons des jour- \
naux composés d'un plus grand nombre de
pages, illustrés avec profusion et parfois avec
luxe, offrant à certains jours soixante colonnes
de lecture flanquées de cent colonnes d'annon-
ces, et atteignant un tirage qui plongerait dans
la stupéfaction MM. Etienne Parent et Augus-
tin-Norbert Morin. Les progrès matériels de
12 PRÉFACE
notre presse sont incontestables; et, à ce point
de vue, nos grands journalistes d'autrefois
ne nous marchanderaient pas leur admiration.
D'autre part, peut-être nous diraient-ils que
nous n'avons pas gagné en dignité, en éléva-
tion, en autorité morale, autant qu'en format
et en circulation.
Mais nous ne devons pas laisser prendre à
cette préface les allures d'une dissertation sur
les mérites et les démérites comparés du jour-
nalisme ancien et du journalisme moderne. Et
nous nous hâtons de dire un mot sur la compo-
sition de ce volume. Le lecteur n'y rencontrera
pas un ordre chronologique continu. Nous
avons cru mieux faire en divisant la matière
par sujets. Seulement pour chaque classe de
sujets, nous avons reproduit les articles suivant
leur date. Il nous a paru qu'avec une bonne
table ce mode rendrait les recherches plus
faciles à ceux qui croiront pouvoir trouver
dans ce recueil quelques informations utiles.
Nos lecteurs remarqueront sans doute que
nous avons consacré une très grande partie de
ce volume à la question des écoles du Manitoba.
Elle couvre à elle seule plus de deux cents
pages, ce qui restreint beaucoup trop l'espace
accordé à divers autres sujets : questions reli-
gieuses, littéraires, sociales, etc. Nous recon-
naissons et regrettons ce défaut de proportion.
PRÉFACE 13
Mais il nous a été impossible de l'éviter. La
question des écoles a été, sans contredit, l'une
des plus importantes et des plus graves qui
aient agité l'opinion publique au Canada depuis
trente ans. Il nous a semblé que le temps était
venu de retracer dans ses différentes phases
cet épisode d'histoire contemporaine. Dans les
volumes qui suivront — nous l'espérons, du
moins — une plus large part sera faite à des
sujets, à des controverses, à des études qui
n'ont pu trouver place dans celui-ci.
Nous répéterons en terminant que nous nous
sommes surtout placé au point de vue docu-
mentaire en faisant le triage de ces écrits.
Nous avons laissé dans la poussière tout ce qui
n'avait eu qu'un à-propos de circonstance, tout
ce qui avait été d'un intérêt purement transi-
toire et accidentel, tout ce qui ne relevait que
de la politique pure dans son sens le plus étroit,
le moins noble. Et nous avons limité notre
choix à ce qui pouvait jeter quelque lumière
sur les problèmes sociaux, sur le mouvement
des idées, sur les conflits des doctrines, sur les
agitations des partis, en un mot,e t d' une manière
générale, sur les hommes et les choses de notre
époque.
Thomas Chapais.
Québec, 1er mars 1905.
MÉLANGES
AU PUBLIC
4 mars 1884.
Nous prenons aujourd'hui la rédaction du Courrier
du Canada. Ce n'est pas sans avoir beaucoup hésité
et beaucoup réfléchi. Le journalisme est une rude car-
rière, une carrière laborieuse et ingrate, féconde en
écueils et en déboires. Et cependant nous y entrons
décidément, et, en écrivant cet article, nous franchissons
notre Eubicon. La confiance en nos forces, en nos
lumières, en notre talent, n'est pas le motif de notre
détermination. Nous connaissons trop notre insuffisance
pour espérer être toujours à la hauteur de la tâche
dont nous acceptons la responsabilité.
Cette responsabilité est grande et de nature à faire
trembler. Le journaliste parle tous les jours à des cen-
taines d'intelligences, qui souvent attendent de lui le
mot décisif, pour s'engager dans l'erreur ou la vérité.
Combien de gens ne lisent qu'un journal, et reçoivent
ses opinions comme des oracles. Vous calomniez un
adversaire, et la calomnie trouve accueil chez des cen-
taines de lecteurs honnêtes, qui la propageront aux
quatre vents du ciel. Vous vous jouez en un paradoxe
ingénieux, et le paradoxe, grossi par le défaut d'instruc-
tion de l'abonné, deviendra préjugé et s'installera avec
16 MÉLANGES
la feuille amie au foyer de la famille. Vous donnez au
faux la couleur du vrai, et le faux prend racine dans
plus d'une âme, et si le vrai vient ensuite frapper à la
porte, ou réconduira comme un intrus. Influence redou-
table et périlleuse !
Toutefois, en dépit de cette responsabilité et de ces
risques, puisque le journalisme existe, il faut bien qu'il
y ait des journalistes. En entrant aujourd'hui dans la
presse, nous obéissons d'abord aux conseils d'amis
éclairés, ensuite à un certain goût naturel qui nous
pousse de ce côté.
Notre profession de foi sera courte. Nous n'aimons
guère à parler de nous-même, et ne le ferons que le
moins souvent possible. En politique nous sommes
conservateur ; conservateur de tradition et de convic-
tion. Et par ce mot, nous n'entendons pas désigner
telle ou telle attache de parti ou de préférence person-
nelle. Ce sont nos idées, nos tendances, nos aspirations
qui sont conservatrices. C'est dire assez que les prin-
cipes les plus conservateurs sont nos principes, que les
mesures les plus conservatrices sont nos mesures, que
les hommes les plus conservateurs sont nos hommes.
Nous croyons devoir avertir nos lecteurs qu'ils peuvent
se préparer à nous entendre plus d'une fois qualifier
d'esprit étroit, et de journaliste rétrograde. En religion,
nous sommes profondément dévoué à l'Eglise romaine,
et humblement soumis à ses pasteurs. Nous n'avons
nulle prétention à être plus catholique que le pape ;
mais nous voulons nous efforcer de l'être autant que
lui ; et, en dépit d'une opinion assez répandue, nous
estimons que, de nos jours, ce n'est pas une mince
entreprise.
MÉLANGES 17
Nous voulons faire du journalisme honnête, rendre
justice à nos adversaires, ou plutôt aux adversaires de
notre cause, ne jamais travestir leur pensée ou dénatu-
rer leurs actes, ne jamais leur attribuer des paroles qu'ils
n'auraient pas dites. Tout en combattant les idées et les
procédés, nous espérons ne nous oublier jamais au point
de diffamer les personnes ; et, tout en mettant dans la
polémique l'énergie et la chaleur que comporte le jour-
nalisme militant, nous entendons rester toujours dans les
limites de la politesse et de la courtoisie.
Le Courrier du Canada a un beau passé. Il a pu
commettre des erreurs ; comme les hommes qui les fout,
les journaux sont faillibles. Mais il n'a jamais manqué
à l'honneur, et n'a jamais offensé la morale. Plusieurs
hommes distingués se sont succédés à sa rédaction. Entre
tous, il en est un qui a surtout contribué à le popula-
riser, qui l'a marqué de sa forte empreinte, qui lui a donné
le souffle et la vie. M. J.-C. Taché a laissé dans la presse
un trop grand vide et une trop vivante mémoire, pour
que nous fassions ici son éloge. D'ailleurs nous savons
qu'il n'aime pas les louanges. Nous nous contenterons
de dire que nous voulons nous inspirer de ses écrits, et
marcher de loin sur ses traces. C'est probablement la
promesse la plus agréable qu'il soit possible de faire au
public du Courrier.
A notre entrée dans le journalisme nous pouvons
déclarer sans arrière - pensée que nous n'avons nul
motif d'aigreur ou de haine personnelle contre aucun
de nos confrères ou aucun homme public. Nous
apportons à la presse une plume inexpérimentée mais
loyale. Malgré notre éloignement naturel pour les polé-
miques aiguës et les discussions irritantes, nous ne
2
18 MÉLANGES
les éviterons pas lorsqu'elles s'imposeront à nous. Mais
nous espérons que, même au milieu des escarmouches
les plus vives, nos lecteurs s'apercevront que nous
n'avons aucun goût particulier pour les batailles de
plume.
En voilà plus qu'il n'en fallait pour définir notre posi-
tion et dessiner notre programme. Nous terminerons en
demandant aux lecteurs du Courrier du Canada leur
confiance et leur sympathie.
La Fédération impériale.
SIR CHARLES TUPPER ET LA FÉDÉRA-
TION BRITANNIQUE
15 août 1884.
Un »rand nombre d'hommes politiques appartenant
aux deux partis se sont réunis à Londres, le 29 juillet,
pour discuter la question de la fédération impériale. Sir
Charles Tupper était présent. La plupart des orateurs
qui ont pris la parole, entre autres l'honorable M. Forster
se sont prononcés pour une fédération impériale de
toutes les colonies avec la mère-patrie. La résolution
suivante fut proposée :
" Que les relations politiques entre la Grande-Bre-
tagne et ses colonies doivent inévitablement conduire à
la fédération ou à la séparation ; que, pour éviter la
dernière alternative et pour assurer l'unité permanente
de l'empire, une fédération quelconque est indispen-
sable."
Sir Charles a cru devoir prendre la parole sur cette
résolution, et il a parlé avec un sens politique qui lui a
valu les applaudissements unanimes de l'assemblée et
les félicitations du Times. Ne voulant pas heurter de
front les sentiments manifestes des hommes publics
20 MÉLANGES
qui formaient la réunion, et désirant marquer les réserves
qu'il croyait nécessaires, il a proposé un changement
dans la phraséologie de la résolution. Il a fait l'éloge
des sentiments de loyauté du peuple canadien et a sou-
tenu qu'il est trop tôt pour déclarer qu'une fédération
impériale est nécessaire afin d'empêcher la sécession des
colonies.
L'opinion de Sir Charles a prévalu. Et le Times a
reconnu la sagesse de la position prise par le haut-
commissaire canadien. En effet, si l'on proclame à son
de trompe aujourd'hui que la fédération des colonies
avec la métropole est le seul moyen de maintenir leur
fidélité à la Couronne, et que cette fédération ne se
réalise pas, ce qui est plus que probable, on fortifie la
position des avocats de la sécession. C'est ce que Sir
Charles Tupper a fait comprendre à la réunion des fédé-
ralistes, et il mérite les félicitations de tous les loyaux
sujets de Sa Majesté au Canada.
LA FEDERATION IMPERIALE
1er août 1885.
Les partisans de la fédération impériale s'agitent
beaucoup et s'efforcent de rallier l'opinion à leurs théo-
ries. Ils ont bien le droit de travailler à faire prévaloir
leurs idées sur cette question. Mais nous ne croyons
pas qu'ils produisent grand effet dans les colonies, au
moins dans la ruissance du Canada.
MÉLANGES 21
Voici le document ^ que l'Association des fédéralistes
vient de lancer dans la publicité :
Article I. — La constitution de l'empire fédéré sera
basée sur la loyauté envers Sa Très Gracieuse Majesté
et ses successeurs.
Article II. — Le parlement fédéral pour l'empire an-
glais s'assemblera à Londres et sera convoqué et dissous
par Sa Majesté et ses successeurs.
Article III. — Tous les représentants des colonies an-
glaises et leurs dépendances conserveront leurs sièges
au parlement fédéral pendant cinq ans.
Article IV. — Tous les membres du parlement fédéral
et tous les électeurs par qui ils sont élus devront, comme
qualification essentielle, savoir parler, lire et écrire
l'anglais.
Article V. — Toute colonie anglaise dont la popula-
tion excède 100,000 âmes aura droit d'envoyer un
représentant au parlement fédéral.
Article VI. — Les colonies et dépendances anglaises
éliront un tiers des membres du parlement fédéral et
le Eoyaume Uni élira les deux autres tiers.
Article VII. — Les franchises électorales dans chaque
colonie seront réglées par les législations respectives de
chaque colonie. Sujet à l'approbation de la couronne.
Article VIII. — Dans le but de soustraire la politique
aux fluctuations et aux considérations de parti, les
ministres des colonies et des affaires étrangères seront
nommés pour cinq ans.
Article IX. — Chaque colonie ou dépendance fournira
£500 par année pour chacun de ses représentants au
parlement fédéral. Chaque membre du parlement devra
prêter le serment d'allégeance à Sa Majesté et à ses
successeurs.
1 Nous reproduisons ce document parce qu'il est main-
tenant peu connu et qu'il jette beaucoup de lumière sur les
visées et le programme des fédéralistes, au début du mouve-
ment.
22 MÉLANGES
Article X. — Le parlement fédéral nommera un comité
de cent de ses membres pour cinq ans, dans le but de
constituer une chambre de commerce pour régler le
commerce et l'industrie ; un tiers au moins de ces mem-
bres devront être des représentants des colonies ou
dépendances anglaises.
Article XI. — Le parlement fédéral se composera de
six cent quarante membres.
Article XII. — Le nombre de représentants de nos
colonies sera deux cent quatorze.
Article XIIL — L'Inde déléguera cinquante-neuf re-
présentants au parlement fédéral ; ces représentants
seront élus par le Conseil législatif de l'Inde.
Article XIV. — Le Canada déléguera quarante-cinq
représentants au parlement fédéral.
Article XV. — Chypre en déléguera 1, Gibraltar 1,
Malte 1, Penang et Malacca 1, la Guyane anglaise 1,
l'Honduras anglais 1, les îles Fiji 1, Antigues et Bar-
buda 1, Montserrat, Saint Christophe et Nevis 1, Saint
Vincent, Grenade et Tabago 1, Saint Domingue 1, les
îles de la Vierge 1, Sainte Lucie 1, Bahama et Ber-
mudes 1, les établissements de la côte occidentale d'Afri-
que 3, Jersey 2, Guernesey 1, Ile de Man 1. Ces diffé-
rents pays délégueront en tout 23 membres.
Article XVI. — Toute colonie anglaise dont le nom
ne figure pas ici et qui aura une population de 100,000
habitants aura droit d'élire un représentant au parlement
fédéral, s'il y a un siège vacant : dans le cas contraire
elle aura droit de se faire représenter par l'un des repré-
sentants qui occuperont des sièges. Les colonies des
îles Falkland, Sainte-Hélène et autres colonies qui ne
seraient pas représentées individuellement par les
députés auront le droit de nommer des membres du
parlement comme leurs agents parlementaires.
Article XVII. — Les colonies australiennes de la
Nouvelle-Galles du Sud délégueront dix-huit représen-
tants au parlement fédéral ; Victoria 14, l'Australie
MÉLANGES 23
Méridionale 7, Queensland 6. l'Australie Occidentale 3,
la Nouvelle-Zélande 9, Tasmanie 4.
Article XVIII. — La Jamaïque déléguera 4 repré-
sentants; les Barbades 2; Trinidad 2, Maurice 2,
Ceylan 3.
Article XIX.— Les colonies du Sud de l'Afrique
délégueront 10 représentants.
Article XX. — Si les colons n'ont pas leur nombre de
représentants au complet, les membres présents pour-
ront représenter avec des procurations les membres
absents de façon à ce que chaque colonie ait le nombre
de voix qui lui aura été attribué.
Article XXI. — La Chambre des Communes actuelle
sera la base du parlement fédéral. Deux cent quatorze
sièges présentement occupés par des représentants du
Eoyaume-Uni seront donnés aux représentants des
colonies ; les circonscriptions électorales en Angleterre
conserveront toutefois le même nombre de voix que
par le passé.
Article XXII. — Si la proportion de la population
des colonies anglaises est changée, cinq ans après la
date de l'acceptation de la présente constitution, le
nombre de leurs représentants sera augmenté dans la
proportion de l'augmentation de la population.
Article XXIII.— Afin de maintenir d'une manière
permanente une politique constitutionnelle pour l'em-
pire anglais, chaque colonie ou groupe de colonies élira
un ou plusieurs lords fédéraux pour agir comme séna-
teurs à vie et siéger dans la chambre des lords ; le
nombre d'iceux devant être de deux cents, le choix
devant eu être fait parmi ceux qui auront des ressources
suffisantes pour faire honneur à leur dignité de pairs et
qui seront d'une réputation et d'une force de caractère
capables d'en faire des sénateurs utiles. L'élection de
ces lords sera régie par des règlements faits par chaque
colonie.
Les délégués des colonies suivantes sont invités à
assister à la prochaine conférence à Exeter Hall, le 14
24
MÉLANGES
juin 1886 et sont priés, dès leur arrivée à Londres, de
prévenir M. W. H. Taylor, 18, rue Elgin, Saint Peters
Park, Londres :
Inde
Aden
Ceylan
Hong Kong
Labuan
Maurice
Chypre
Ontario
Québec
Nouvelle-Ecosse
N.-Brunswick
Cap-Breton
Ile du P. Edouard
Colombie Augl.
Terreneuve
Labrador
Guiane anglaise
Honduras anglais
N.-Galles du Sud
Victoria
Queensland
Australie mérid.
Australie occid.
Nouvelle-Guinée
Nouvelle-Zélande
Tasmanie
Fiji
Jamaïque
ïrinidad
Antigues
Montserrat
Saint Christophe
Nevis
Domingue
Les Iles de la Vierge
Barbades
Saint Vincent
Grenade
Tabago
Sainte- Lucie
Bahamas
Bermudes
Colonies du Cap
Natal
Sierra Leone
Côte d'Or
Ascension
Iles Ealkland
Sainte Hélène
Malte
Gibraltar
Jersey
Guernesey
Ile de Man
Pour aujourd'hui, nous nous bornerons à dire que ce
projet nous paraît totalement impraticable
MÉLANGES 25
LE JOURNAL DE LA LIGUE FÉDÉ-
RALISTE
15 janvier 1886.
Nous avons reçu le premier numéro d'un journal
mensuel intitulé : Impérial Fédération. Ce journal
est publié à Londres sous les auspices de la Ligue pour
la fédération impériale. Sa toilette typographique et sa
rédaction nous paraissent également soignées.
Le numéro que nous avons sous les yeux contient»
comme matière d'intérêt particulier pour le Canada, un
article sur le chemin de fer du Pacifique et une étude
sur le livre du marquis de Lorne intitulé : La Fédéra-
tion Impériale.
Dans l'article sur le chemin de fer du Pacifique nous
lisons ce qui suit :
•' Les derniers mois de l'année 1885 ont vu l'achève-
ment de l'un des plus gigantesques et des plus impor-
tants travaux du génie, entrepris par l'homme. Le 7
novembre, la dernière fiche du Pacifique Canadien a été
posée près de Parwell, dans la Colombie Britannique,
et ainsi la ligne de chemin de fer est devenue continue
de Québec au Pacifique. D'un océan à l'autre s'étend
maintenant à travers le territoire britannique une ligne
non interrompue de rails couvrant une distance de 2,898
milles et dont la valeur ne peut être que difficilement
estimée. La grandeur de l'œuvre accomplie, considérée
simplement au point de vue du génie civil, ne peut
être bien comprise d'après le simple énoncé de la dis-
tance parcourue. Les difficultés physiques qui ont dû
26 MÉLANGES
être surmontées doivent être prises en considération, et
elles n'étaient ni en petit nombre, ni médiocres. Dans
l'Ouest, trois chaînes distinctes de montagnes ont dû.
être traversées ; et un passage a dû être tracé au tra-
vers d'une région presque aussi difficile à l'est et au nord
du lac Supérieur. Les rochers qui s'étendent derrière
ce lac sont les plus vieux qui soient connus par les
hommes de la science, et les plus impraticables qu'aient
rencontrés les ingénieurs.
" Les difficultés rencontrées là, aussi bien que plus
loin dans la " mer des montagnes " en grande partie
inexplorée et qui devait être traversée, furent énormes
et à première vue apparemment insurmontables ; mais
lahor omnia vincit, avec l'aide de la science, de l'habi-
leté et de la dynamite, et les difficultés ont dû céder
devant la volonté, l'intelligence et la puissance de
l'homme civilisé. Aujourd'hui malgré les prophéties
adverses des incrédules, le chemin de fer du Pacifique
Canadien est un fait accompli. Il en sera de même un
jour de la confédération de l'Empire de la Grande-Bre-
tagne, en dépit des difficultés à rencontrer et des pro-
phéties de ceux qui prédisent un échec."
Nous acceptons les compliments que nous décerne le
nouveau journal au sujet du Tacifique, mais nous ne
saurions acquiescer au mot de la fin, touchant la fédé-
ration impériale.
L'Impcrial Fédération donne une grande place au
Canada dans ses visées et ses projets fédéralistes. A la
page trois du numéro que nous feuilletons en ce moment,
on trouve le passag equi suit: " M. Martin J. Griffin,
le bibliothécaire de la bibliothèque parlementaire à
Ottawa, est un ardent ami de la fédération impériale et
MÉLANGES 27
apparemment un avocat capable et bien informé de ce
projet. Il a écrit dans le Week, une publication cana-
dienne, sur ce sujet, le justifiant et argumentant en sa
faveur contre les adversaires. Nous sommes heureux
d'apprendre de M. Griffin, qui certainement peut être
regardé comme étant en position d'exprimer une telle
opinion, que dans n'importe quel auditoire au Canada,
il y aurait une plus vive et ardente réponse à un appel
en faveur de l'idée de fédération qu'à une critique par
ses adversaires."
Malgré toute la déférence que nous pouvons avoir
pour les opinions de M. Griffin, nous croyons qu'il est
dans une complète erreur, et que V Impérial Fédéra-
tion aurait tort de s'en rapporter à son témoignage au
sujet des sentiments du peuple canadien. L'opinion
publique ici est hostile à la fédération impériale, les
fédéralistes de Londres peuvent en être convaincus.
M. BLAKE ET LA FÉDÉRATION IMPE-
RIALE
9 avril 1887.
La presse libérale ne passe pas de jours sans agiter
devant ses lecteurs le spectre de la fédération impériale,
et sans accuser le parti conservateur, Sir John Mac-
donald, en particulier, de vouloir nous conduire à cet
abîme.
Inutile de dire que le parti conservateur n'est pas en
faveur d'une fédération impériale. Nous n'en voulons
28 MELANGES
pas, et nous la repousserons toujours de toutes nos
forces.
Mais, messieurs les libéraux, avant d'attaquer leurs
adversaires, feraient bien de compulser un peu le dossier
de leur chef.
En effet, c'est M. Blake qui a, le premier, lancé dans
le public canadien, l'idée d'une fédération impériale.
Dans son fameux discours d'Aurora, on trouve le pas-
sage suivant que nous recommandons à l'attention de
tous ceux qui s'occupent de politique,
" Permettez-moi de toucher une question qui sera
toute d'actualité avant qu'il soit longtemps, celle des
rapports du Canada avec l'empire. Il y a trois ou
quatre ans j'eus occasion de traiter cette question;
j'émis l'idée que nous devrions faire un effort pour
réorganiser l'empire sur une base fédérale. Je répète ce
que je disais en cette occasion, que le temps n'est peut-
être pas éloigné où le peuple canadien sera appelé à
discuter cette question. Les choses ne peuvent traîner
longtemps en langueur.
" Le traité de Washington produisit une profonde
impression dans le pays. Il inspira au peuple le désir
d'avoir avant longtemps une plus grande part de con-
trôle dans le règlement des affaires étrangères : le désir
de voir cesser l'anomalie qui existe maintenant, celle
d'un gouvernement le plus libre, et peut-être le plus
démocrate qui soit au monde pour ce qui concerne ses
affaires locales, qui se gouverne aussi librement que
tout autre peuple au monde, tandis que dans vos
affaires étrangères avec les autres pays en temps de
paix ou en temps de guerre, en matière commerciale
ou financière, vous n'avez pas plus d'avis à donner que
le Japon.
MÉLANGES 29
" C'est un état de choses, toutefois, dont vous n'avez
pas à vous plaindre, car, aussi longtemps que vous ne
vous déciderez pas à encourir les responsabilités et les
frais qu'entraîne toute part de contrôle en ces affaires>
vous ne pouvez réclamer les droits et les privilèges des
Anglais nés libres. Mais combien de temps se conten-
tera-t-on de paroles dans les journaux ou ailleurs ?
Combien de temps se contentera-t-on de parler dans
des cercles très élevés de l'opportunité, de la nécessité
même de développer un sentiment national parmi la
population du Canada. Il est impossible de développer
un sentiment national à moins que vous n'ayez des
intérêts nationaux à surveiller, impossible de développer
ce sentiment chez un peuple qui ne veut pas assumer
les responsabilités et les devoirs auxquels appartiennent
les attributs nationaux. Nous avons été invités par
M. Gladstone et autres hommes d'Etat anglais — notam-
ment par M. Gladstone, dans la Chambre des Com-
munes, peu de temps avant la chute de sou cabinet, à
faire un pas en avant. M. Gladstone, parlant comme
premier ministre d'Angleterre, exprima l'espoir que les
colonies feraient bientôt une démarche et exprimeraient
leur intention d'obtenir leur part de privilèges et de
responsabilités comme sujets anglais. C'est à nous de
décider — pas maintenant, ni cette année, ni même pen-
dant ce parlement, mais toutefois avant qu'il soit long-
temps— quelle ligne de conduite nous devons tenir.
" Pour ma part, j'ai trouvé assez naturel, assez rai-
sonnable, pendant la période de développement qui se
poursuit dans notre pays si jeune et si peu colonisé, de
consentir, nous, si peu nombreux, si préoccupés d'af-
faires locales, si absorbés dans la conquête du sol et du
30 MÉLANGES
développement du pays, à laisser à la métropole les
soucis et les privilèges auxquels j'ai fait allusiou. Le
temps viendra où cet esprit national dont il a été ques-
tion se manifestera pleinement parmi nous, où nous
comprendrons que nous sommes quatre millions d'An-
glais pas encore libres, où nous serons prêts à revendi-
quer notre liberté et à réclamer ce qui nous appar-
tient d'après le ci-devant premier ministre d'Angleterre
savoir : notre part de droits nationaux.
" Demain, la politique anglaise, sur laquelle vous
n'influez en rien, peut plonger notre pays dans toutes
les horreurs d'une guerre. Pas plus tard que ces jours
derniers, hors de notre connaissance et sans notre con-
sentement, le droit de naviguer sur le Saint- Laurent
fut cédé à jamais aux Etats-Unis. C'est un état de
choses dont vous n'avez pas droit de vous plaindre aussi
longtemps qu'il vous plaira de dire : " Nous préférons
éviter les soucis, les dépenses et les charges, et nous
sommes inférieurs, sous le rapport de l'habileté, à rem-
plir les devoirs qui nous incombent comme Anglais, nés
libres." Aussi longtemps que vous raisonnerez ainsi,
il ne vous siéra pas de prendre les airs ni le ton d'un
peuple complètement libre.
" L'avenir du Canada dépend, je crois, en grande
partie, du développement du sentiment national."
Après cela, que les libéraux cessent de crier aux ten-
dances fédéralistes de nos amis.
Le premier des fédéralistes, c'a été M. Blake.
Et le second a été probablement Sir Eichard Cart-
wright, qui, dans un discours célèbre, a introduit dans
notre vocabulaire politique le terme : conglomération
impériale !
MÊTANGES 31
LE GLOBE ET LA FÉDÉRATION IMPÉ-
RIALE
3 avril 1888.
On lit dans La Patrie de samedi :
" Il paraît que nous allons enfin avoir une expression
à peu près définie de ce que les loyaux par excellence
appellent la Fédération impériale. Jusqu'ici on avait
eu simplement un aperçu bien vague de cette grande
utopie que les flatteurs appellent la suprême idée du
règne de Sir John.
" On savait bien quel était le but principal du projet
de la part des amis de Sir John : noyer la race cana-
dienne-française dans un faisceau de forces anglo-
saxonnes capables de l'étouffer. Ou savait aussi quel
était le rêve des promoteurs anglais de cette entreprise :
se procurer le concours moral et physique de toutes les
colonies dans le cas de conflit avec des puissances étran-
gères. Mais on ignorait quel serait le mode pratique
adopté par les loyaux pour créer ce lien tant désiré."
C'est ainsi que parle La Patrie. Suivant elle la
fédération impériale est un projet conçu par Sir John
et ses amis pour noyer l'élément franco-canadien.
Mais La Patrie n'est pas le seul organe de l'opposi-
tion. Il y en a un autre, plus grand, plus important,
plus puissant, plus autorisé, et cet autre c'est le Globe,
le chef de file de toute la presse libérale dans notre
pays.
Voyons donc ce que pense le Globe :
" Le premier • Canadien distingué qui ait appuyé la
32 MÉLANGES
fédération impériale est l'honorable Edward Blake dans
son fameux discours d'Aurora, qui n'est pas oublié. Il
n'y a aucune raison de douter qu'il sympathise autant
que jamais avec le sentiment vrai qui est la base de !a
Ligue de la Fédération. Il est très regrettable qu'il n'ait
pu être présent à la grande assemblée de samedi soir.
Il a droit à la satisfaction d'être témoin d'une démons-
tration en faveur de son idée, démonstration conduite
par des meneurs du parti qui l'a dénoncé pour l'avoir
émise il y a treize ans. ...
" La Ligue de la Fédération Impériale pour le Canada
semble avoir pour but d'effectuer un changement radi-
cal; de mettre les Canadiens sur un pied d'égalité
politique avec leurs co-sujets de la Grande-Bretagne.
Le cœur de l'homme ne peut désirer aucune condition
politique plus noble que celle-là."
Ecoutez, gens de VElecteur et de La Patrie. C'est
le Globe qui parle ainsi, le Globe organe de Sir Richard
Cartwright, de M. Edgar, de M. Paterson, le Globe
interprète fidèle de la pensée de M, Blake. Allez-vous
crier que vos alliés d'Ontario veulent noyer l'élément
franco-canadien ?
Dites donc à vos lecteurs trompés que le père de la
Fédération impériale au Canada, c'est M. Blake, Réédi-
tez, si vous l'osez, le discours d'Aurora. Reproduisez
les déclarations du Globe. Ou bien cessez de battre en
brèche le parti conservateur avec ce cri de guerre.
La vérité, c'est que l'idée de la fédération impériale
n'appartient en propre à aucun parti. Il y a des fédé-
ralistes dans les deux camps.
Pour nous, nous n'en sommes pas. Et nous préten-
dons avoir le droit de dire que le parti conservateur n'en
MÉLANGES 33
est pas, quoique fasse et dise M. McCarthy. M. McCar-
thy, homme de valeur et de talent, n'est point le parti
conservateur. Sir John Macdonald lui-même, à suppo-
ser qu'il fût personnellement en faveur d'une fédération
impériale, ne serait point en cela l'interprète de son
parti.
Nous ne croyons pas trop risquer en afîirmant que
la province de Québec est tout- entière hostile à la fédé-
ration impériale.
NOS HOMMES POLITIQUES ET LA FEDE-
RATION IMPÉRIALE
15 août 1888.
On sait que nos chefs conservateurs bas-canadiens
se sont prononcés carrément contre la fédération impé-
riale, à la grande démonstration de Joliette.
Ils ont été, en cette circonstance, l'écho fidèle de leur
parti, et l'opinion conservatrice leur sait gré d'avoir
parlé aussi hautement.
Mais leurs déclarations si importantes ne font pas
l'affaire de la presse libérale. Aussi faut-il voir l'em-
barras dans lequel cette excellente presse s'est trouvée
placée.
VEledeuT est, de tous les journaux libéraux, celui
qui a le plus glorieusement pataugé.
Le 9 août il accusait Sir Hector Langevin de s'être
prononcé en faveur de la fédération impériale.
** Le pique-nique de Joliette n'a pas été un succès.
34 MÉLANGES
Des discours ne disant rien de nouveau, moins peut-
être celui de Sir Hector qui s'est prononcé en faveur
de la fédération impériale."
C'était dire noir quand il fallait dire blanc. Une aussi
impudente falsification ne pouvait tenir. Aussi le 11
août le même Electeur publiait-il ce qui suit :
" Les tories d'Ottawa, presque tous fédéralistes impé-
riaux, se prétendent fort mécontents de la conduite de
Sir Hector Langevin qui a refusé d'adopter exacte-
ment leur manière de voir dans son discours à Joliette.
Ils se consolent par la pensée que lorsque le parti tory
aura formellement adopté la fédération impériale comme
base de son programme, M. Ghapleau se rangera du
côté de M. Daltou McCarthy et d'autres d'Ontario, et
que le parti sera assez fort pour jeter sir Hector par-
dessus bord."
Cette fois l'Electeur disait moins faux: Sir Hector
avait contredit, dans une certaine mesure, les fédéra-
listes ; mais M. Chapleau devait former une alliance
avec les chefs de la Ligue et renverser son collègue.
L'Electeur avait encore un pas à faire. Il l'a fait
dans son numéro du 13, où nous lisons ces lignes :
" On se rappelle avec quelle fureur la presse tory a
accueilli les paroles prononcées par l'honorable M. Mer-
cier au banquet du club National au sujet de la fédé-
ration impériale.
" Pendant quelque temps, ce fut un concert unanime
d'imprécations, et peu s'en fallut qu'on ne fît passer le
premier ministre pour un révolutionnaire coupable de
haute trahison et punissable de mort.
" Or, M. Mercier avait si fidèlement exprimé le senti-
tnent public que l'autre jour, au banquet de Joliette,
MÉLANGES 35
Sir Hector Langevin a dû parler de la fédération et
s'exprimer dans le même sens que le chef national.
M. Chapleau est venu aprè? lui déclarer qu'il était du
même avis ; quant à Sir Adolphe Caron, il s'est pru-
demment contenté de dire que la question ne lui parais-
sait pas mûre pour la discussion.
" Nous nous demandons maintenant si les journaux
tories vont stigmatiser les deux ministres fédéraux
comme ils ont fait de M, Mercier.
" S'ils sont sincères et logiques, c'est ce qui va arri-
ver."
Cette fois le chat est sorti du sac : Sir Hector s'est
prononcé carrément contre la fédération et M. Chapleau
s'est déclaré du même avis.
Inutile de dire que ce n'est pas M. Mercier qui dicte
à nos chefs leurs déclarations. Ajoutons que si le pre-
mier ministre de Québec a été critiqué par la presse
conservatrice, ce n'est pas pour avoir combattu l'idée
de la fédération, c'est pour avoir attaqué avec un man-
que de tact complet notre nouveau gouverneur-général
lord Stanley de Presto n.
Tout de même l'Electeur est impayable. Se contre-
dire trois fois dans l'espace de quelques jours sur un
fait important, c'est un tour de force dont peu de jour-
naux sont capables.
17 août 1888.
Le Mail de mercredi commençait un article par les
lignes suivantes :
«' La fédération impériale peut encore servir de sujet
pour une discussion académique par les membres de la
Lioue en cette ville, mais elle a disparu du domaine
36 MÉLANGES
de la politique pratique, en autant du moins que le
Canada est concerné, par le fait de la récente action
des chefs Canadiens-français."
Voilà donc un journal anti-ministériel qui proclame
que les ministres bas-canadiens ont porté le coup de
mort à la fédération impériale.
Et il a parfaitement raison.
Certains journaux ont prétendu que Sir Hector et ses
collègues étaient restés dans le vague, n'avaient dit ni
oui ni non, ne s'étaient pas compromis. Nous affirmons,
nous, qu'ils se sont compromis dans le bon sens du
mot. Et nous les en félicitons.
Qu'on lise les paroles suivantes du ministre des Tra-
vaux Publics :
" Y a-t-il au monde un pays et un peuple plus libres
et plus heureux que les nôtres ? Notre liberté va jus-
qu'à pouvoir taxer les produits de la Grande-Bretagne
comme nous taxons ceux des autres pays.
" Et j'entends des hommes sensés, bien posés et bons
patriotes, s'oublier au point de vouloir mettre en péril
tout ce bonheur et toute cette liberté, simplement pour
une question de sentiment. On nous dit : " Il nous
faut la fédération impériale."
" Messieurs, personne plus que moi n'est loyal à la
couronne d'Angleterre... Mais vouloir nous engager dans
la nouvelle voie de la fédération impériale sans nous
consulter, sans avoir notre assentiment, je n'en suis
pas. C'est très bon d'avoir un sentiment et de dorer la
pilule. Pour moi, j'aime encore mieux la raison que le
sentiment. Qu'on nous montre en blanc et en noir com-
ment peut s'effectuer cette fédération impériale sans
détruire nos libertés actuelles. Qu'on nous fasse voir
MÉLANGES 37
quelle voix nous aurons dans ce grand parlement
impérial destiné à régler les questions se rapportant à
toutes les parties de l'empire. Qu'on nous montre com-
ment le Royaume-Uni modifiera sa politique fiscale
de manière à ne pas nous forcer de recourir à la
taxe directe. Et puis, notre représentation sera-t-elle
basée sur la population, de manière que le Royaume-
Uni et ses possessions aient des représentants d'après
leurs populations respectives.
" J'en doute, messieurs, puisque la population des
trois Royaumes était en 1886 de 43,153,780 habitants,
tandis que la population des colonies ou possessions
anglaises était de 213,918,000 habitants.
" Le fait est que cette question n'a pas été examinée
mûrement et avec soin. On semble croire qu'il sufiSt
de dire •' Fédération impériale " et que l'on doit de suite
battre des mains et se précipiter tête baissée dans le
nouvel ordre de choses.
" Pour moi, je dirai avec lord Lansdowne : prenons
garde d'agiter cette proposition trop fortement et trop
précipitamment, et par là même de dépasser le senti-
ment public.
" Si la proposition est bonne, elle doit se poser d'une
manière pratique. Que l'on dise quels sont les sacrifices
que nous aurons à faire, quelle sera notre position nou-
velle. Qu'on ne se tienne pas dans les généralités et
que l'on ne s'imagine pas qu'une question de cette
importance puisse se régler indépendamment de nous
et sans notre concours.
" Et en attendant, je vous dis à tous comme je dis à
tous les Canadiens de n'importe quelle origine : Nous
savons ce que nous avons, gardons-le. Il a coûté assez
38 MÉLANGES
cher pour ne le changer que contre un état de choses
meilleur."
Dans la bouche d'un ministre de la couronne, ces
paroles sont très explicites. Le mode dubitatif employé
par l'orateur est évidemment un plaidoyer contre la
fédération. Chaque phrase est une objection écrasante
au projet. Comment pourra-t-on l'effectuer sans détruire
nos libertés actuelles ? sans nous amener la taxe directe ?
sans nous imposer une représentation inégale et consé-
quemment injuste ? etc., etc. Puis cette condamnation
formelle de l'idée: "J'entends des hommes sensés...
s'oublier au point de vouloir mettre en péril tout ce
bonheur et toute cette liberté, simplement pour une
question de sentiment. On nous dit: Il nous f mit la
fédération ir)ipériale"
Enfin le dernier mot qui vient couronner le tout :
" Nous savons ce que nous avons, gardons-le"
Il est inutile d'insister. Ce que sir Hector et ses col-
lègues ont fait et voulu faire, c'a été une répudiation
éclatante du projet de la fédération impériale. Et l'opi-
nion ne s'y est pas trompée ; elle a compris, comme le
Mail, que Vidée fédéraliste est disparue du domaine
de la politique pratique par le fait des chef s canadiens-
français.
Nous disons du fond du cœur : tant mieux. Nos chefs
n'ont pas parlé trop tard, mais ils ont parlé à temps. Il
était temps de couper court à ces projets, à ces manifes-
tations, à ces espérances de la Ligue. Il était temps que
la voix du Bas-Canada se fît entendre d'une façon non
équivoque. C'est fait.
Et disons-le, ce qui nous réjouit davantage dans la
position qui se dégage des récentes déclarations, c'est
MÉLANGES 39
r unanimité de la province de Québec manifestée hau-
tement sur cette question.
M. Laurier vient de dénoncer la fédération à Oak-
ville en présence de Sir Kichard Cartwright. Eh bien !
nous applaudissons chaleureusemeut à ce spectacle.
Enfin, nous sommes d'accord ! Malgré nos dissensions,
et nos vues divergentes sur une foule de sujets, voici un
terrain sur lequel nous nous rencontrons et pouvons nous
donner une poignée de main fraternelle. La province
de Québec est unanime à repousser la fédération impé-
riale ! Libéraux et conservateurs seront prêts à ne for-
mer qu'une phalange compacte si jamais on tente de
réaliser cette idée.
Pour notre part, cette pensée nous inspire un senti-
ment de joie sincère. Il n'est pas un bon citoyen qui
ne doive être heureux de cette unanimité patriotique en
face d'une aussi sérieuse éventualité.
Puissent les occasions favorables de donner le même
spectacle, se répéter plus souvent.
. La province de Québec a tout à y gagner.
UNE LETTRE DE L'HON. M. BLAKE
24 novembre 1888.
Lorsque nos adversaires s'écriaient que la fédération
impériale est un projet tory, que le parti conservateur
lui est favorable, et que le parti libéral lui est hostile,
nous répondions que le parti conservateur, comme
parti, ne veut pas de la fédération, et que l'honorable
40 MÉLANGES
M. Blake a été le premier homme d'Etat canadien à
lancer cette idée dans le domaine de l'opinion.
Les organes libéraux ont toujours nié énergiquement
cette initiative de M. Blake.
Eh bien, voici l'illustre homme politique lui-même
qui vient prouver la vérité de ce que nous avons affirmé
tant de fois.
Nous tenons à publier intégralement la correspon-
dance suivante qui jette un grand jour sur ce sujet:
" Ingersoll, Ont., 15 nov. 1888.
" Honorable Ed. Blake, C. R., Toronto.
" Cher Monsieur,
" A la dernière assemblée de la section d'IngersoU de
la Ligue de la Fédération Impériale au Canada, une
résolution a été passée, me requérant, comme secrétaire
de cette section, de vous écrire, pour savoir si vous
pourriez venir à Ingersoll l'hiver prochain et y donner
une conférence sur la Fédération Impériale. Notre
section d'Ingersoll se compose d'hommes appartenant
aux deux partis et tous sont unanimes à solliciter
votre visite.
" La population de notre ville et des districts envi-
ronnants est généralement libérale et un orateur con-
servateur amènerait peu de monde à notre conférence.
Aussi, comme vous avez été le premier homme public
au Canada à parler en faveur du mouvement qui est
dirigé en dehors des lignes do parti, nous croyons
qu'un discours de votre part dans les circonstances
actuelles serait très opportun. Personnellement je
suis d'opinion que l'action du gouvernement actuel
MÉLANGES 41
en établissant la protection a pratiquement tué le
mouvement ; mais maintenant que je vois que la ten-
dance des jeunes libéraux de Toronto est dirigée vers
l'Indépendance ou l'Annexion, je dois jeter toutes mes
forces dans une direction opposée. Le mouvement au
Canada a pris la forme d'une union douanière entre les
colonies. Dans l'attente d'une réponse, je reste votre
tout dévoué,
BeNJ.-E. SWAYZIE."
" Une première conclusion se déduit de cette lettre.
C'est que la fédération impériale recrute des partisans
dans les deux camps, que ce n'est pas une question de
parti. Le signataire lui-même paraît être un grit de la
plus belle eau ; ce qu'il dit de la protection le prouve
surabondamment. Mais hâtons-nous de donner l'impor-
tante réponse de M. Blake :
" Toronto, 16 novembre 1888.
" Cher monsieur,
" Je suis très honoré de votre lettre d'hier m'invitant
à parler, à Ingersoll, sur la Fédération impériale.
" Incapable actuellement de prendre une part active
aux affaires politiques, j'ai été obligé de décliner des
propositions aimables qui m'étaient faites de plusieurs
côtés pour discuter des questions politiques.
" Quand même il en serait autrement, je n'aurais
pas pu convenablement accepter une invitation de la
part d'une section de la Ligué.
" Il est vrai qu'il y a bien des années, j'avais conçu
V espoir que la population canadienne pourrait être
amenée à s'intéresser plus sérieusement à son avenir
42 MÉLANGES
national et qu'il pourrait peut-être être temps de créer
un sentiment en faveur de la Fédération Imjyériale.
" Je sentais que les difficultés étaient, même alors,
énormes ; que la tendance nous était adverse ; et que
les délais étaient dangereux.
" On a pensé que ma suggestion était prématurée.
" Elle était peut-être même trop tardive.
" Dans tous les cas, elle fut reçue froidement et nous
laissâmes faire.
" Dans mon humble opinion, le courant a continué à
lui être opposé et, à part cela, il est arrivé bien des
choses qui ont changé les difficultés en impossibilités.
" J'ai été obligé de repousser des demandes qui
m'étaient faites de m'identifîer avec le mouvement
récent, à la fois pour la raison que je vous donne et
aussi parce que je n'avais ni comme canadien, ni comme
citoyen de l'empire, aucune sympathie pour certaines
vues manifestées et soutenues énergiquement par les
premiers promoteurs du mouvement.
" Par exemple, pour laisser de côté d'autres questions,
mêmes fondamentales, je ne crois ni possible ni dési-
rable de restreindre l'importation des objets de première
nécessité pour les masses en Angleterre, quand bien
même cela devrait enrichir les propriétaires là-bas et
les producteurs ici.
" Maintenant, je me réjouissais de voir que la ques-
tion est enfin, quoique bien tard, tombée dans les
mains d'hommes d'influence, pensant que la discussion
ne peut qu'être utile et même fructueuse, et j'avais
décidé que s'il m'était impossible d'y aider, je ne vou-
drais rien dire qui pût y faire le 'plus léger tort.
" Je suis, par conséquent, resté à l'écart jusqu'à ce
MÉLANGES 43
jour, mais, en suivant le cours des événements, je me
sens libre et peut-être même obligé de dire que je ne
puis participer à ce mouvement, dans aucune des direc-
tions qu'on lui a données jusqu'à ce jour.
Votre dévoué,
Ed. Blake. .
Benj. E. Swayzie, Ecr,
Ingersoll."
Il ressort de cette lettre :
1° Que M. Blake a été le premier homme public au
Canada qui ait prôné l'idée de la fédération impériale ;
2*^ Qu'il est encore favorable en principe à la fédé-
ration impériale, quoique certaines vues des promoteurs
actuels du mouvement lui semblent inadmissibles ;
3" Qu'il est jusqu'à un certain point sympathique
à l'œuvre de la ligue, puisque, sans y prendre part, il
déclare n'avoir voulu rien faire qui puisse lui causer le
plus léger tort.
Voilà ce que l'Electeur appelle une rebuffade pour
les apôtres de la fédération impériale.
La rebuffade, ils l'ont eue à Joliette lorsque Sir Hector
s'est écrié : " J'entends des hommes sensés s'oublier au
" point de vouloir mettre en péril tout ce bonheur,
•' toute cette liberté simplement pour une question de
" sentiment. On nous dit : Il nous faut la fédération
" impériale En attendant je vous dis comme je
" dis à tous les Canadiens de n'importe quelle origine :
" Nous savons ce que nous avons, gardons-le.
Il y avait à Joliette trois ministres de la Couronne,
et des centaines de conservateurs qui ont couvert ces
paroles d'applaudissements. Voilà l'attitude du parti
conservateur, comme parti, envers la fédération impé-
riale.
44 MÉLANGES
M. LAURIER VEUT UNE FÉDÉRATION
ANGLO-SAXONNE
16 septembre 1893.
Quand les chefs libéraux parlent à des auditeurs
canadiens français, ils n'ont pas d'épithètes assez vio-
lentes pour stigmatiser la conduite et les discours des
conservateurs, qui, disent-ils, sont traîtres à leur race et
travaillent systématiquement à écraser tout ce qui est
français.
L'honorable M. Laurier fait, en ce moment, le tour
de la Province d'Ontario. L'on se rappelle que, d'après
ses pompeuses déclarations en chambre, il devait aller
porter la guerre aux orangistes jusque dans les profon-
deurs de leurs loges.
Or, voici ce qu'il vient de dire à Saint-Thomas, Ont. '
" Nous devons être canadiens, il faut que nous soyons
une nation ; nous devons combattre pour les intérêts de
notre patrie commune. Voilà le but de ma vie, l'objet
pour lequel je lutte. On dit que nous sommes des
annexionnistes déguisés; si je le suis, je suis encore
quelque chose de plus. Je suis en faveur de la fédéra-
tion impériale dans l'acception la plus large du mot,
mais je ne suis pas en faveur de la fédération impériale
qui a pris naissance dans les rangs des tories. Les tories
désirent une fédération composée de la Grande-Bretagne
et de ses dépendances. Je suis en faveur d'un pro-
gramme plus large ; je veux que la confédération ait
pour base la race. (I want to rtiake the race the basis
of the confédération). Je veux une confédération qui
embrassera non seulement l'Angleterre et ses dépen-
MÉLANGES 45
dances, mais toutes les nations de la race anglo-saxonne.
Je vois arriver le jour où il y aura une union entre
tous les hommes parlant la langue anglaise, Voilà la
politique vers laquelle le parti libéral se dirige, et si
nous arrivons au pouvoir, nous ferons ce que nous
pourrons pour faire réussir cette politique, qui doit se
recommander à tout homme qui apprécie le lien britan-
nique et les institutions britanniques."
Analysons brièvement ce morceau d'éloquence an-
glaise.
M. Laurier consacre-t-il sa vie entière à l'unification
du pays, au rapprochement des diverses races qui l'habi-
tent, tout en conservant à chacune ses droits, ses privi-
lèges, au moins ses souvenirs ?
Pas du tout, il consacre sa vie à l'union des tous les
hommes parlant l'anglais, à une grande confédération
basée sur les seules assises de la langue. Et cette
langue, ce n'est pas le français, notez-le bien, patriotes
libéraux, et vous électeurs de Québec-Est, c'est l'anglais !
Le rêve du chef libéral, c'est de voir tous les peuples
qui parlent l'anglais réunis ensemble en une grande
nation qui dominera le monde.
Et qu'on le remarque bien, M. Laurier prend la peine
de dire qu'en exprimant ces sentiments, il ne parle pas
seulement en son nom personnel ; il a soin de déclarer
à son auditoire qu'il parle au nom du parti dont il est
le chef; sa politique, sur ce point, est la politique du
parti libéral, c'est le programme qu'il mettra à exécu-
tion s'il arrive au pouvoir.
Et dans cette grande confédération, où est la place
des Canadiens français ? Seront-ils exclus de la nation
que M. Laurier veut fonder, ou bien seront-ils obligés.
46 MÉLANGES
dès à prissent, de renoncer à leur langue afin d'être prêts
à s'abriter sous le drapeau nouveau ?
Qu'en pensent les braves électeurs canadiens-français
de M, Laurier, eux qui tiennent tant à leur langue et à
tout ce qui touche à la tradition nationale ? Approuvent-
ils cette nouvelle idée de leur chef ? Sont-ils prêts à
adopter comme un des articles du programme libéral
la fondation d'un peuple dont l'unique lien, le seul fac-
teur de cohésion entre ses différents éléments, sera la
langue anglaise ?
De ce discours de M. Laurier, nous devons conclure
qu'il a inventé une conception nouvelle et peu banale
de la fédération impériale : la fédération impériale anglo-
saxonne.
Les gens sages concluront de plus que M, Laurier
est un utopiste de belle envergure.
17 octobre 1893.
Depuis plusieurs semaines nous avons mis devant
nos lecteurs un passage à sensation du discours de
M. Laurier à Saint Thomas, Ontario,
Nous avons, à plusieurs reprises, sommé la presse
libérale de nous donner son avis à ce sujet, de nous dire
ce qu'elle pense de cette tirade de M, Laurier. Un élec-
teur de Québec-Est, en particulier, a mis les libéraux
en demeure de s'expliquer, dans ses lettres qui ont eu
un si vif succès. Et cependant, jusqu'ici, dans la presse
libérale, silence sur toute la ligne.
Mais voici la Patrie qui prend la parole. Et c'est
pour endosser bravement les déclarations de M. Lau-
MÉLANGES 47
rier. 11 est vrai qu'elle ne les reproduit pas, mais elle
les approuve. Nous citons:
" Nous avons négligé de répondre aux insultes pro-
férées contre l'honorable M. Laurier à propos des paroles
qu'il a prononcées à Saint Thomas et dans lesquelles il
a appelé de ses vœux l'assimilation des races qui exis-
tent sur le sol canadien.
" Nous n'avons rien à reprendre à l'expression de
cette espérance."
Bravo ! voilà de la franchise intrépide. Ce que M.
Laurier veut, et ce que le parti libéral entend réaliser à
sa suite, c'est l'assimilation des races ! ! Plus de natio-
nalité canadienne-française, arrière la vieille formule :
nos institutions, notre langue et nos lois ! La for-
mule de l'avenir, c'est : engloutissement de notre race
dans une fédération de toutes les branches de la famille
anglo-saxonne ! !
Cet aveu de la Patrie est significatif.
Evidemment certains hommes réservent de jolies
surprises à ceux qui restent fidèles au vieux patrio-
tisme canadien-français.
SIR WILFRID LAURIER FEDERALISTE
7 juillet 1897.
C'en est fait. M, Laurier est devenu partisan de la
fédération impériale.
Une dépêche du cable l'annonçait hier en ces termes :
" Londres, G. — Sir Wilfrid Laurier a adressé hier la
48 MÉLANGES
parole à une assemblée des membres de la Chambre des
Communes connus sous le nom de parti colonial.
" Il a été accueilli avec la plus grande cordialité. Il
a demandé la représentation directe des colonies dans
le parlement impérial national, ou un parlement fédéral
impérial. Il dit que si l'Australie et l'Afrique du Sud
étaient des colonies confédérées comme le Canada, cela
simplifierait grandement la question."
Imaginez quelle doit être la consternation dans le
camp libéral !
Contemplez de loin la binette de ces journalistes, de
ces hommes politiques qui ont tant crié contre la fédé-
ration impériale, qui ont tant accusé Sir John à ce pro-
pos, qui ont tant essayé de soulever les préjugés contre
nous au temps où M. Tarte, membre de la ligue, était
dans nos rangs !
Les libéraux sont si consternés que le Soleil n'a pas
voulu publier cette dépêche sans la tronquer. En effet,
voici comment ce cablegramme de la presse associée se
lit dans les colonnes de l'organe libéral :
" Londres, 6.
" Sir Wilfrid Laurier a porté la parole hier devant
les membres de la Chambre des Communes réunis, au
nom du parti canadien. Sir Charles Dilke, George
Curzon, sous-secrétaire d'Etat des affaires étrangères,
sir John Gorst, de l'Université de Cambridge, sir How-
ard Vincent, le général J. Wilburn Laurie, et plusieurs
autres députés étaient présents. Sir Charles Dilke pré-
sidait.
" Son discours a été vivement applaudi."
MÉLANGES ^^
Pas un mot du parlement fédéral impérial où les
colonies seraient représentées.
Il est évident que le Soleil a peur de montrer à son
public la palinodie de M. Laurier.
Il va bien, le grand homme, le patriote, le libéral,
l'apôtre de l'indépendance canadienne.
Partisan de la fédération impériale !
Il fait un mémorable voyage en Angleterre, Sir Wil-
frid !
" 9 juillet 1897.
Voici le texte anglais même de la dépêche de la presse
associée où sont rapportées les paroles de M. Laurier
relatives à la fédération impériale :
« London, July, 6.— Sir Wilfrid Laurier yesterday
addressed a meeting of members of the House of Gom-
mons kuown as the Colonial party. Sir Charles Dilke,
member for the Forest Dean, Mr. Geo. Curzon, under
Secretary of State for Foreign Affairs, Sir John Gorst,
member' for Cambridge University, Sir Howard Vin-
cent, member for Central Sheffield, Gen. J. Wilburn
Lauiie, member for Pembroke, and others were there.
Sir Charles Dilke presided.
« Sir Wilfrid Laurier, who was cordially received,
urged the direct représentation of the colonies in the
Impérial Parliament, which oiight to be, he contended,
a grand national council or impérial fédéral parliament.
In the course of his address he said that if Australia
and South Africa .were confederated like Canada it
would greatly simphfy the question. "
C'est cette dépêche que le Soleil a reçue comme tous
les autres journaux et qu'il a tronquée afin de ne pas
4
50 MÉLANGES
laisser connaître à son public que M. Laurier est devenu
partisan de la fédération impériale.
En effet de la part de M. Laurier c'est là une volte-
face incroyable. En feuilletant les discours du chef
libéral ces jours derniers, nous tombions sur le passage
suivant d'une harangue prononcée par lui à Toronto, en
1889:
" Dans les rangs des conservateurs on trouve une
association organisée en vue de favoriser le mouvement
de la fédération impériale.
" Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie certaine-
ment qu'à leur avis il faudrait faire quelque chose. Je
ne suis pas de ceux qui croient à la fédération impé-
riale. Ce qu'il nous faut à l'heure présente, ce n'est
point une réforme politique, ce n'est pas un changement
dans notre état politique. Ce qu'il nous faut, c'est une
réforme économique et commerciale."
Donc M. Laurier répudiait en 1889 cette idée de
fédération impériale dont il vient de se déclarer le cham-
pion à Londres,
On conçoit que ses partisans aient honte de cette
palinodie du grand homme à qui les honneurs et les
titres anglais semblent avoir tourné la tête.
21 juillet 1897.
La tendance à faire absorber entièrement le Canada
dans le grand tout britannique, que vient de manifester
Sir Wilfrid Laurier, cette tendance n'est pas née d'hier
chez notre silver tongued.
En 1890, le New-York Herald avait adressé une
circulaire à un certain nombre d'hommes politiques et
MÉLANGES 51
de journalistes du Canada, dans le but de connaître
leur opinion sur l'avenir de ce pays.
L'honorable M. Laurier avait répondu en ces termes :
" Ce qu'il nous faut n'est pas le cri de la Fédération
Impériale tel qu'il a été lancé récemment, mais une
réforme politique, commerciale et économique, et une
alliance qui ne se limiterait pas à l'Empire Britannique
mais une alliance, une fédération qui embrassera toutes
les nations issues d'origine britannique, Y a-t-il quel-
que bonne raison contre l'accomplissement de ce projet ?
Y a-t-il une raison pour laquelle les Etats-Uuis seraient
laissés de côté dans cette grande réforme ? J'admets n'en
voir aucune, La race britannique est la grande race
commerciale du monde. Elle est répandue sur toute la
surface de ce continent,
" Je suis un Canadien-français tenant le langage
d'un Canadien, et je dis à mes concitoyens que la route
que le grand parti libéral devrait suivre est celle qui
conduira d'une manière plus sûre à l'accomplissement
de ce grand objet, une alliance de toute la race britan-
nique sur la surface du globe. Si nous obtenons une
alliance, une alliance commerciale entre les Etats-Unis
et le Canada, nous aurons préparé un anneau de la
chaîne. Mais nous ne devrons être satisfaits que quand
les anneaux auront été ajoutés aux anneaux, — que
quand nous aurons encerclé le globe entier d'une chaîne
puissante."
WiLFRiD Laurier.
Pour une utopie, c'en était une de gigantesque cali-
bre ? Pensez-y : une fédération non seulement de l'An-
gleterre et de ses colonies, mais une fédération de toute
52 MÉLANGES
la race britannique sur la surface du globe, y compris
les Etats- Unis !
C'était le rêve d'un songe- creux ou le coup d'audace
d'un poseur qui veut ëbahir le public.
M. Laurier s'est aperçu sans doute du ridicule de sa
chimère. Et il s'est rabattu sur la fédération impériale,
qu'il repoussait alors.
Mais, dans l'un comme dans l'autre cas, ce à quoi il
tend visiblement, c'est à l'absorption du Canada au sein
d'un corps plus vaste.
Eh bien, nous n'en voulons pas ! Dans notre état
actuel nous sommes des sujets loyaux de la couronne
britannique, mais jouissant d'une quasi-indépendance.
Pourquoi changer cet heureux statu quo et nous lier
plus que nous ne le sommes actuellement?
Pourquoi aller nous noyer dans le grand parlement
impérial où nous ne pourrions pas avoir une représen-
tation proportionnée à notre importance ?
Pourquoi risquer d'imposer à notre pays des fardeaux
dont il est exempt dans son état actuel ?
Pourquoi nous imposer une solidarité plus étroite et
plus gênante qui nous entraînerait peut-être à des mesu-
res et à des entreprises contraires à nos intérêts ?
Non, non, Sir Wilfrid n'a pas été l'écho du sentiment
canadien quand il s'est fait là-bas le champion de la
fédération impériale.
Il n'avait pas le droit de tenir un tel langage.
Il n'avait pas de mandat pour trafiquer ainsi des des-
tinées canadiennes.
MÉLANGES 53
22 juillet 1897.
Les déclarations de sir Wilfrid en faveur de la fédé-
ration impériale provoquent des commentaires variés.
V Orange Sentinei les accueille avec bonheur.
Dans son numéro du 8 juillet, l'organe officiel des
orangistes entonne cet hymne d'allégresse :
" Comme fermes adeptes de la fédération impériale,
nous saluons avec plaisir la conversion du premier-
ministre et de son parti à nos vues, et nous espérons
sincèrement que les déclarations de sir Wilfrid Laurier
feront sur le public anglais une impression aussi pro-
fonde et aussi favorable que celle qu'elles ont produite
sur ceux qui les ont entendues. Le jubilé de la reine
fait faire un grand pas à la fédération impériale que
nous pourrons voir s'accomplir d'ici à peu d'années."
D'autre part, le Gleaner, de Huntingdon, n'est pas
enthousiaste :
" Les déclarations de M. Laurier en Angleterre, à
propos de la fédération impériale, ne rencontrent guère
d'approbation en Canada, dit-il. Son idée de faire élire
par les colonies des députés aux Communes anglaises
n'est pas pratique. Les électeurs des Iles Britanniques
ne consentiraient jamais à se faire faire la loi par des
gens du dehors, dont les besoins sont différents des leurs.
Les colonies, de leur côté, ne recueilleraient qu'un bien
mince avantage de leur représentation dans nue Cham-
bre où la plupart des affaires traitées ne les concernent
pas le moins du monde.
" Une union commerciale avec l'empire, complétée
par une entente pour déférer toute question concernant
une colonie au Parlement de celle-ci, voilà tout ce que
requiert l'état présent des choses. "
54 MÉLANGES
26 juillet 1897.
De tous côtés les discours prononcés par M. Laurier,
en Europe, provoquent la censure et la critique.
Et ce ne sont pas les conservateurs seuls qui trou-
vent à redire. M, Goldwin Smith n'est pas conserva-
teur.
Le célèbre écrivain appartient au parti libéral.
Voici ce qu'il dit au sujet de la conversion de M.
Laurier à la fédération impériale :
" 11 y a un mois, tout le monde aurait affirmé que
M. Laurier était opposé à la fédération impériale. C'était
la tendance de toute sa politique ; c'était l'impression
de tous ceux qui avaient conversé avec lui, et ses adver-
saires avaient même pris l'habitude de lui reprocher
d'être déloyal à l'empire.
" Après quinze jours passés sur le sol de l'Angleterre,
avec ses dîners, ses ovations, ses fascinations, voyez le
changement. M. Laurier prévoit avec amour le temps
où le Canada sera représenté dans le Parlement Impé-
rial, et il jure qu'obtenir un siège là-bas, s'il était plus
jeune, serait son vœu suprême, le summum de son
ambition, et serait une gloire comme le Canada n'en
offre pas de pareille. Ce qui arrive pour M. Laurier,
arriverait encore plus sûrement dans d'autres cas.
" Les délégués canadiens envoyés au parlement impé-
rial, sous le régime de la fédération impériale, tombe-
raient absolument sous l'influence de la société de Lon-
dres, et cesseraient d'être des représentants fidèles des
intérêts coloniaux. Il en résulterait certainement de
sérieux désappointements, une lutte pour se débarrasser
de la fédération et des querelles peut-être avec la nation-
MÉLANGES 55
mère, au lieu du resserrement des liens d'affection qui
doit être l'objectif de tous les fédéralistes."
Voilà comment le plus remarquable de nos publicistes
libéraux juge le chef du parti libéral.
C'est-à-dire que, suivant M. Goldwin Smith, les déco-
rations et les politesses anglaises ont tourné la tête à
sir Wilfrid.
LA FÉDÉRATION IMPÉRIALE ET LA
GUERRE
9 novembre 1899.
M. Tarte vient d'adresser à M, Castell Hopkins une
lettre au sujet des relations du Canada avec l'Empire
britannique.
Comme elle touche à un sujet important et plein
d'actualité, nous croyons devoir la reproduire in ex-
tenso :
" Ottawa, 1" novembre 1899.
" Mon cher M. Hopkins,
" Je suis bien heureux que vous ayez été assez bon
de m'écrire sur le sujet des relations futures entre la
Grande-Bretagne et ses colonies.
" J'ai essayé d'établir aussi clairement que possible
ma position dans mon discours à Saint-Vincent-de-Paul.
" J'ai dit là, et je le répète aujourd'hui, que je suis
prêt à discuter ces relations aussitôt qu'il sera possible.
Il y a dix à douze ans que j'ai sur la question les
mêmes vues qu'aujourd'hui.
56 MÉLANGES
" Ce à quoi j'objecte, c'est que nous soyons appelés à
lever des troupes et à faire des déboursés sans avoir
aucun droit quelconque à la représentation dans le gou-
vernement impérial. Je sais qu'une telle politique
créera du mécontentement et de la méfiance,
" Je ne puis être autrement.
" Il est bien beau de dire que le peuple du Canada
ou d'autres colonies ont, cette fois, fait une offre volon-
taire. Mais, comme question de fait, le secrétaire d'Etat
pour les colonies a envoyé à toutes les colonies une cir-
culaire dont le sens est une invitation d'envoyer des
troupes. Suivant moi, une semblable invitation est pra-
tiquement une requête.
" Eh ! bien, si nous devons prendre notre part des
guerres de l'Angleterre, nous devons avoir notre mot à
dire à ce sujet.
" Les Canadiens-français de la province de Québec
sont aussi loyaux que leurs concitoyens d'autres origi-
nes. Mais vous ne devez pas oublier qu'étant une mino-
rité, ils sont peut-être plus désireux que leurs amis les
anglais de s'en tenir à la constitution canadienne telle
qu'elle a été comprise et interprétée jusqu'ici.
" Je n'ai pas le moindre doute qu'ils n'objecteraient
pas à des relations plus étroites avec l'Angleterre, pourvu
que ce pays obtienne une représentation équitable.
" Dans mon discours à Saint- Vincent-de-Paul, lors-
que j'ai dit que sir Wilfrid Laurier et d'autres ne feraient
pas mauvaise figure aux Communes Impériales, j'ai été
applaudi à outrance.
" Je crois qu'il serait plus pratique pour le peuple
canadien de discuter avec calme la situation que de
s'accuser réciproquement de déloyauté.
MÉLANGES 57
" Kien ne me fera plus grand plaisir que d'exprimer,
l'un de ces jours, mes vues au cœur même de Toronto.
" Croyez-moi et bien sincèrement,
" Votre dévoué, ,
" J.-I. Tarte. "
On ne peut tirer de cette lettre d'autre conclusion que
celle-ci : c'est que M. Tarte est encore en faveur de la
fédération impériale. La phrase dans laquelle il dit que
les Canadiens-français n'auraient pas d'objection à des
relations plus étroites avec l'Angleterre, pourvu que
notre pays obtînt une représentation plus équitable, cette
phrase ne saurait avoir d'autre signification.
Il y a longtemps que M. Tarte est fédéraliste. Dès
1888 ou 1889, il s'enrôlait dans les rangs de la Ligue
fondée à Londres en 1884, croyons-nous, et dans son
journal, le Canadien, il a soutenu alors plus d'une dis-
cussion en faveur de la fédération des colonies avec
l'Empire.
L'attitude qu'il prend en ce moment, si elle n'est pas
nouvelle, nous semble absolument singulière. En effet,
il est bien connu que M. Tarte était entièrement opposé
à l'envoi d'un contingent canadien au Transvaal. Sa
théorie, dont son journal La Patrie n'est que l'écho,
c'est que le Canada n'a rien à voir dans les guerres
lointaines de l'Empire. Mais alors, pourquoi essayer de
se retrancher derrière une fiction ? Pourquoi venir nous
chanter : si nous devons participer à ces guerres, il
faut que nous soyons représentés dans le parlement
impérial ; pas de taxation, pas d'impôts, ni en argent,
ni en soldats, sans représentation ! Tout cela peut en
58 MÉLANGES
imposer aux simples, mais tout cela n'est que simulacre
et creux parlage.
Aurions-nous été plus avancés si nous eussions été
représentés, il y a un mois, dans le parlement impérial ?
La guerre n'en aurait pas moins été acclamée dans un
élan de patriotisme anglo-saxon, avec ou sans le con-
cours de nos représentants canadiens, et il aurait fallu
marcher et payer quand même.
Eien de plus ridicule que ces poses convenues et ces
vaines formules ! Voici un homme qui ne veut pas que
les colonies soient appelées à porter le fardeau des
guerres impériales. Au lieu de le dire nettement et
posément, en donnant de bonnes raisons pour étayer
son avis, '' si nous devons nous battre pour l'Empire
britannique en Afrique où ailleurs, s'écrie-t-il, au moins
soyons représentés," — Mais, pauvre homme, si vous
êtes représentés, vous vous battrez à coup sûr, et c'est
précisément ce que vous ne voulez pas ! 0 funeste pou-
voir et décevant mirage de la phrase !
Une des choses les plus rares dans les écrits et dans
les discours des hommes publics, c'est la sincérité. C'est
aussi la logique. Comment ceux qui sont opposés à la
participation des colonies aux guerres de l'Angleterre,
peuvent-ils favoriser l'idée d'une fédération impériale ?
La fédération impériale, c'est l'Angleterre et ses colo-
nies ne formant qu'un seul grand Etat, un Empire,
avec un parlement central siégeant à Londres pour
traiter tous les sujets d'intérêt géoéral, les affaires étran-
gères, les questions de commerce international, de paix
et de guerre, etc. ; et avec des parlements locaux, pour
s'occuper uniquement des affaires intérieures de chaque
colonie. Or, de quel poids serait notre poignée de
MÉLANGES 59
représentants, au milieu de cette immense assemblée ?
Quelle influence auraient-ils pour enrayer une guerre
voulue par le reste de l'Empire ?
Ils seraient annihilés, noyés, peut-être entraînés par
un de ces courants impétueux qui se produisent à cer-
tains moments dans les grands corps délibéràtifs. Et
l'argent canadien devrait être payé, le sang canadien
devrait couler, en dépit des sentiments et des voeux de
notre peuple.
Mais qu'importe ?... Nous serions représentés ! ! Tout
est là. Nous paierions malgré nous, nous nous battrions
malgré nous, mais nous jouirions " d'un droit quelcon-
que à la représentation dans le gouvernement impérial,"
et M. Tarte serait heureux.
Etre absorbé, être dominé, être contraint, être poussé
malgré soi vers l'inconnu, c'est parfait, pourvu que l'on
soit représenté !
Etant données les idées qu'on lui prête dans les cir-
constances actuelles, M. Tarte a rarement fait preuve
d'un plus saisissant illogisme.
FEDERALISTES DE LA VEILLE ET DU
LENDEMAIN
16 novembre 1899.
Nous avons parlé, hier, de fédération impériale à
propos d'une lettre de M. Tarte.
Monsieur le ministre des Travaux Publics a écrit deux
épîtres à M. Castell Hopkins, et nous n'en avions lu
60 MÉLANGES
qu'une, celle qui avait été reproduite par La Patrie et
Le Soleil.
Depuis, le Glohe nous a apporté toute cette corres-
pondance, et nous y avons trouvé une confirmation
nouvelle des opinions fédéralistes de M. Tarte.
M. Hopkins avait écrit à ce dernier pour lui deman-
der une expression d'opinion au sujet de la loyauté
des Canadiens-français, et des relations du Canada avec
l'Empire. M. Tarte a répondu par la lettre que nous
avons reproduite hier. M. Castell Hopkins lui a écrit
de nouveau pour le remercier, et lui faire quelques
observations au sujet de la fédération impériale. Voici
un passage de cette lettre :
" J'ai été très intéressé par votre affirmation que le
peuple de Québec serait favorable à des relations plus
étroites avec l'Angleterre, et je n'ai pas besoin de dire
combien je partage votre manière de voir lorsque vous
dites que Sir Wilfrid Laurier et d'autres leaders cana-
diens se distingueraient dans le parlement impérial.
Mais il me semble que le temps n'est pas encore venu
de discuter la question d'une représentation coloniale
dans ce corps. Nous serions noyés et perdus au point
de vue numérique, et notre influence dans les conseils
de l'Empire ne serait réellement pas plus considérable
qu'elle ne l'est maintenant. "
Ainsi, M. Hopkins faisait justement l'objection que
nous formulions hier : nous serions noyés dans le parle-
ment impérial.
Mais M. Tarte, n'a pas voulu en avoir le démenti. Il
a répliqué comme suit :
" Mon cher M. Hopkins, je regrette de ne pas être
de votre avis lorsque vous dites que, si nous étions
MÉLANGES 61
représentés dans le parlement impérial, nous n'aurions
pas plus d'influence qu'aujourd'hui. Ce n'est pas tou-
jours le nombre qui détermine le poids et produit la
conviction. Cependant les détails de notre représenta-
tion dans les conseils de l'empire devront être discutés
avec soin, etc."
Nous n'avons donc rien dit de trop lorsque nous avons
représenté M. Tarte comme un partisan persistant de la
fédération impériale.
Au moins, lui, il y a longtemps qu'il préconise cette
idée. Mais que dire de Sir Wilfrid Laurier, qui autre-
fois dénonçait la fédération impériale, et qui maintenant
semble s'y être rallié ? Voici ce que M. Laurier disait
dans un discours à Boston, il y a huit ans :
" Dans mon pays il y a des gens qui disent qu'une
fédération impériale, une fédération entre l'Angleterre
et ses colonies serait le meilleur système pour le Canada.
Autant que la doctrine Monroe est applicable au Canada,
je suis en faveur de la doctrine Monroe. Je ne veux
pas d'intervention européenne dans nos affaires. Ce
serait un suicide pour le Canada de s'engager dans une
fédération qui nous forcerait à prendre part à toutes les
guerres que la Grande-Bretagne, à cause de sa position,
est obligée d'entreprendre dans toutes les parties du
monde. Je considère que ce seul fait suffit à détourner
le Dominion d'une telle idée."
C'était bien net, bien catégorique. Mais le temps a
marché, M. Laurier est devenu premier-ministre. Il est
allé à Londres. Il s'est pavané au jubilé de la Eeine.
Et on l'a entendu s'écrier qu'il espérait ne pas mourir
avant de voir le jour où le Canada serait représenté à
Westminster.
62 • MÉLANGES
Une fois de plus, M. Laurier avait fait volte-face.
L'autre jour encore, à Smith's Falls il s'est écrié :
" Nous sommes heureux d'aider la mère patrie à com-
battre ses combats qui sont aussi nos combats." N'est-
ce pas qu'il a fait du chemin depuis son discours de
Boston ?
Quoi qu'il en soit, aujourd'hui nous avons le droit de
considérer M. Tarte et M. Laurier comme deux parti-
sans de la fédération impériale, l'un plus ancien, l'autre
plus récent.
En 1848, à l'avènement de la deuxième république
en France, on distingua les hommes politiques qui
avaient soutenu la forme républicaine sous la monar-
chie, de ceux qui s'y étaient ralliés seulement après la
chute de Louis-Philippe, en appelant les premiers, répu-
blicains de la veille, et les seconds, républicains du
lendemain.
Disons que M. Tarte est un fédéraliste de la veille,
et M. Laurier un fédéraliste du lendemain.
LAl FEDERATION IMPERIALE ET NOS
CHEFS POLITIQUES
29 novembre 1899.
Nous avons signalé, l'autre jour, dans ces colonnes,
les lettres de M. Tarte à M. Castell Hopkins, au sujet
de la fédération impériale.
Il est certain que la guerre du Transvaal et l'envoi
d'un contingent canadien en Afrique ont donné un
MÉLANGES 63
regain d'actualité à cette question. M. Henri Bourassa
citait récemment un journal anglais, le London Out-
look, qui s'écriait : " this is impérial fédération — c'est
la fédération impériale," Et vers le même temps, le
Herald de Montréal publiait ces lignes :
" L'opinion publique au Canada a couru si rapide-
ment, depuis trois ans, vers une forme quelconque de
fédération impériale, que nous n'avons pas bien réalisé
la distance parcourue sur cette voie durant cette période.
Et si le gouvernement a agi sans la sanction formelle
du parlement, il trouvera sa justification dans la nou-
velle situation où l'Exécutif se trouvait placé par suite
d'une demande populaire, soudaine et débordante, qui
ne laissait aucun doute sur ce que le parlement et le
pays exigeaient ; dans la dépense relativement insigni-
fiante qui se trouvait encourue, et dans la nécessité
absolue d'une action immédiate."
Eh bien, pour notre part, nous nous inscrivons en
faux contre cette affirmation. L'opinion publique en
ce pays ne s'est pas prononcée pour la fédération impé-
riale.
Sans doute un courant puissant s'est produit en faveur
d'une aide à l'Angleterre dans la campagne sud-afri-
caine. Mais un grand nombre de ceux-là mêmes qui
considéraient impossible de répondre par un refus à la
demande de concours du gouvernement anglais, ne
sont nullement favorables à une fédération politique
des colonies avec l'empire.
On a dit que Sir Charles Tupper était un partisan de
cette idée. Nous sommes en mesure d'établir le con-
traire, comme on le verra plus loin. Sir Charles a favo-
risé l'envoi d'un contingent. Il appartient à une vieille
64 MÉLANGES
famille de loyalistes anglais. Tout en ayant parfaite-
ment le droit de discuter son opinion, on peut s'expli--
quer facilement les sentiments traditionnels qui l'ani-
ment en cette circonstance. Mais on ne serait pas jus-
tifiable d'aller plus loin et de lui attribuer des vues qui
ne sont pas les siennes au sujet de la féd(5ration impé-
riale.
Non, les apôtres les plus notoires de cette idée au
Canada, ne sont pas dans les rangs du parti conserva-
teur. Ils sont à la tête du parti libéral : ce sont sir
Wilfrid Laurier et M. Tarte.
M. Tarte l'est depuis dix ans. Dès 1889, il faisait
partie de la ligue. Et l'autre jour encore, il écrivait à
M. Hopkins :
" Je n'ai pas le moindre doute que les Canadiens-
français n'objecteraient pas à des relations plus étroites
avec l'Angleterre, pourvu que le pays obtienne une
représentation équitable."
Mais le chef politique canadien qui s'est le plus com-
promis sur cette question, c'est incontestablement sir
Wilfiid Lauiier. Durant son séjour en Angleterre, lors
du jubilé de la Reine en 1897, il n'a cessé de faire
sonner la note impérialiste, et il a rivalisé d'ardeur avec
M. Chamberlain pour faire acclamer devant les audi-
toires auxquels il s'adressait l'idée de fédéiation impé-
riale.
A un banquet donné en l'honneur des premiers
ministres coloniaux, Sir Wilfrid prononça ces paroles :
" En Canada, nous avons une foi illimitée dans notre
pays. Quand il aura atteint le plein développement de
sa virilité, rien ne pourra le satisfaire sinon la repré-
sentation dans le parlement de l'empire. Je crois que
MÉLANGES 65
cette question n'est pas sans difficultés. Mais il appar-
tient aux hommes forts de vaincre les difficultés. La
carrière du Parlement de la Grande-Bretagne a été
illustre, mais non moins illustre peut-être sera celle du
Parlement de la Greater Britain."
Etait-ce assez impérialiste ? " Eien ", d'après Sir
Wilfrid, " ne pourrait satisfaire le Canada sinon la
représentation dans le parlement de l'empire."
A quelques jours de distance, sir Wilfrid Laurier
faisait un autre discours dans lequel il s'écriait :
" Je crois au Parlement de la Greater-Britain et
jamais je ne serai plus fier — si je ne vis pas assez long-
temps pour cela, il y a bien des Canadiens qui vivront
jusqu'à ce moment — que le jour où un Canadien-fran-
çair soutiendra le principe de liberté dans ce Parlement
de la Greater-Britain."
Enfin pour couronner le tout, il lança un jour devant
le prince de Galles cette tirade où sa ferveur impéria-
liste allait jusqu'à offrir d'avance à la Grande-Bretagne
notre concours militaire :
" Lord Lansdowne a parlé d'un jour où notre empire
serait peut-être menacé par quelque danger. L'Angle-
terre a toujours montré qu'elle était capable de combat-
tre ses propres combats. Mais, si l'heure du danger
sonnait un jour pour elle, que le son du clairon (hugle)
retentisse, que les feux s'allument sur les collines, et
nous, les colonies, quoique nous ne puissions peut-être
faire beaucoup, nous ferons pour l'aider tout ce qui nous
sera possible."
On ne pouvait être plus formel, plus catégorique, et
Ton ne pouvait être plus imprudent.
De quel droit M. Laurier allait-il aussi loin ?
5
66 MÉLANGES
OÙ était son mandat pour parler ainsi en notre nom ?
Quand donc le peuple canadien l'avait-il chargé de
soutenir à Londres le principe de la fédération impé-
riale ?
Heureusement qu'il se trouva alors eu Angleterre un
homme pour protester contre ces exagérations de sir
Wilfiid Laurier, et cet homme ce fut sir Charles Tupper.
Uu reporter du Daily News de Londres, l'ayant inter-
viewé, lui posa cette question :
" Dois-je comprendre que vous croyez à l'avènement
prochain de la fédération impériale ? "
Sir Charles répondit en ces termes, et nous prions
nos lecteurs de bien peser ces paroles :
" Je ne crois certainement pas à l'idée proclamée ici
par sir Wilfrid Laurier, relativement à l'établissement
d'un grand parlement impérial. C'est un plan irrémédia-
blement voué à l'insuccès. Il y a quelques années la
ligue de la fédération impériale, qui comprenait des
hommes comme lord Kosebery, le marquis de Ripon,
l'honorable Philippe Stanhope, le très honorable W.-H.
Smith et plusieurs autres, étudia la question sous tous
ses aspects. A l'exception d'un seul membre nous
décidâmes unanimement que l'idée d'un parlement impé-
rial était en dehors de toute politique pratique, et lord
Eosebery se fit l'écho de notre délibération dans une
réunion au " Mausion House." Deux raisons militent
contre ce parlement impérial. D'abord un tel corps
devrait avoir le pouvoir de taxer pour des fins impé-
riales, et par conséquent la représentation devrait y
être basée, dans une mesure quelconque, sur la popu-
lation. Cela signifie que, dans peu d'années, la voix de
l'Angleterre serait complètement étouffée par celle des
MÉLANGES 67
colonies les plus populeuses. L'Augleterre ne s'y sou-
mettrait jamais. En second lieu, les colonies ne con-
sentiraient jamais à renoncer à leur autonomie, et à
remettre une grande partie de leurs pouvoirs à un corps
éloigné de trois mille milles ou plus. — Q. Devons-
nous, alors, demeurer comme nous sommes mainte-
nant ? K Mon idée est celle que la conférence d'Ottawa
a formulée, et qui a ensuite été appuyée par M. Cham-
berlain dans son discours devant la Chambre de Com-
merce. Qu'il y ait un commerce 'préférentiel dans les
limites de l'Empire, et que l'Angleterre fortifie l'Empire
en favorisant le commerce avec ses colonies. "
C'était là une déclaration bien nette et bien péremp-
toire. Sir Wilfrid Laurier criait à tous les échos qu'il
nous fallait la fédération et la représentation impériales.
<' C'est absurde, lui répondait Sir Charles Tupper, cette
fédération est impossible au double point de vue impé-
rial et colonial ; l'Angleterre ne voudra pas être noyée
par ses colonies et les colonies ne voudront pas abdi-
quer leur autonomie entre les mains d'un parlement
siégeant à trois mille milles ; ce qu'il nous faut, c'est
le commerce liréférentiel entre les différentes parties
de l'Empire. "
Ce n'était pas la première fois qu'un chef conserva-
teur se prononçait nettement contre la fédération impé-
riale. Nous nous rappelons qu'en 1888, lorsque Sir
John Macdonald vivait encore. Sir Hector Langevin
avait prononcé à Juliette un discours qui avait eu le
plus arand retentissement. Notre confrère du Monde
Canadien le citait l'autre jour. C'était une rebuffade
en règle adressée aux impérialistes.
Sir Adolphe Chapleau, qui assistait à cette assemblée,
68 MÉLANGES
parla dans le même sens. Toute notre presse fit écho
aux deux ministres, et,' quelques jours après, le Mail,
alors dans l'opposition, déclarait que la fédération impé-
riale venait de sortir du domaine de la politique pra-
tique, par le fait de l'attitude des ministres canadiens-
français.
Nous avons cru qu'il était aujourd'hui important de
bien dessiner la position, afin d'empêcher l'opinion
publique de s'égarer.
Questions religieuses.
LES IDEES DE V ÉLECTEUR
9 juillet 1885.
Des sphères supérieures où il plane, V Electeur a laissé
tomber un regard sur une " certaine presse " de Québec.
Et une grande pitié s'est emparée de lui. Hélas ! dans
quel état est cette presse, et combien peu elle répond à
l'idéal que l'Electeur s'est fait du journalisme intelli-
gent et consciencieux ! Songez donc qu'il se rencontre à
Québec des journaux qui s'occupent des questions reli-
gieuses, qui suivent avec intérêt le mouvement des
idées en Europe, qui prennent part à tout ce qui émeut
l'Eglise ! Peut-on méconnaître à ce point le rôle et la
mission de la presse ?
Ah ! l'Electeur ne donne pas dans ce travers, lui. Il
offre à son public une nourriture plus saine, il se fait
l'interprète d'idées plus élevées, il s'occupe de plus
nobles intérêts, il traite des sujets d'une plus haute
portée. Ce n'est pas lui qu'on prendra jamais à étudier
une question religieuse. L'indépendance et la liberté
de l'Eglise, les grands problèmes posés devant la société
chrétienne au XIXe siècle, les faits qui se produisent
dans le monde moral, que lui importe tout cela ? Est-ce
pour s'amuser à de pareilles futilités qu'on est journa-
70 MÉLANGES
liste ? Non, ce qui convient à des écrivains dignes de
leur mission, c'est de se décerner à soi-même des lau-
riers, c'est de ramasser des cancans et de colporter des
calomnies, c'est de cultiver les préjugés et d'amuser les
badauds, c'est de populariser les mauvais livres et de
prôner les mauvais théâtres. Voilà le véritable rôle de
la presse, sourtout de la presse catholique.
Il n'est pas surprenant que les écrivains de l'Electeur
soient navrés de l'état déplorable où se trouvent quel-
ques-uns de leurs confrères. Voyez quel douloureux
spectacle ils doivent subir, plusieurs fois la semaine :
'• Il y a, s'écrient-ils, trois ou quatre journaux que
nous ne pouvons ouvrir chaque jour sans y trouver de
longs et violents articles de polémique sur le pouvoir
temporel du Pape, sur les relations de l'Eglise et de
l'Etat, sur toutes les difficultés religieuses qui peuvent
surgir en Europe."
N'est-ce pas déplorable ? Heureusement que l'Elec-
teur est là pour servir d'antidote, et rétablir le renom
de la presse québecquoise.
Les rédacteurs du journal libéral ont rendu un vrai
service à notre public en lui fournissant un infaillible
critérium pour juger la valeur des journaux. — Voici
tel numéro de telle feuille. Qu'y trouve-t-ou d'intéres-
sant et d'important ? — Oh ! rien qui vaille : un article
sur la question du pouvoir temporel, un autre sur les
rapports de l'Eglise et de l'Etat. Bagatelles ! Mais pre-
nez ce journal. Vous y trouverez votre profit. — Oui ;
que dit-il donc? — Il apprend au public que MM.
Charles Langelier et Ernest Pacaud sont des foudres de
guerre, il donne le nombre de télégrammes envoyés par
nos ministres pendant une année, et constate à peu de
MÉLANGES 71
chose près, le nombre de serviettes salies dans les
ministères durant les derniers douze mois. — À la bonne
heure, voilà un journal sérieux et bien informé.
Soyons justes ; l'Electeur entrevoit une circonstance
atténuante à la faute commise par les écrivains qui
s'occupent de questions religieuses. Ça les paie ! ce
sont des industriels qui gagnent gros d'argent en sui-
vant ce système ! JJ Electeur le déclare sans détour :
" Nous devrions peut-être dire plutôt que c'est une
industrie qu'ils exercent, et ce n'est pas la moins
'payante."
La moins payante ? question douteuse. Mais non
la plus payante, très certainement. Il est beaucoup plus
lucratif de brocanter des entreprises avec M. Sénécal,
— cet homme qui " suinte la corruption par tous les
pores ", — que d'écrire des articles sur le pouvoir tem-
porel, ou contre les réclames de l'Electeur.
L'organe de M. Langelier est très curieux. Il pose
une série de questions des plus importantes avec une
volubilité sans égale.
" Est-il possible, en effet, s'écrie-t-il, de trouver nulle
part ailleurs, sur la surface du globe, une société reli-
gieuse plus fidèle, plus soumise que la nôtre ? Est-on
capable de sigualer chez la population catholique de
notre district un seul acte de révolte contre l'enseigne-
ment des autorités religieuses, l'expression d'une seule
doctrine fausse, d'une seule idée subversive émanant
de quelque quartier que ce soit, de la classe instruite
comme de la classe illettrée ? "
C'est toute une enquête que demande l'Electeur.
Toutefois sans avoir fait d'investigation spéciale, nous
connaissons pour notre part, un journal québecquois
72 MÉLANGES
qui a prôné une troupe de comédiens, plusieurs jours
après que celle-ci a été solennellement dénoncée par
l'Ordinaire ; qui a publié des réclames scandaleuses, en
faveur de livres abominables ; qui a prêté ses colonnes
aux annonces d'une association maçonnique ; qui a
traité avec une injustice et un manque de respect absolus
d'éminents dignitaires ecclésiastiques, etc., etc. L'Elec-
teur connaît bien ce journal.
C'est probablement parce qu'il le connaît trop bien,
qu'il écrit de si belles choses contre la certaine 'presse
qui, très souvent, se place à un point de vue religieux
pour publier des critiques importunes. Nous compre-
nons le zèle de Y Electeur^ nous ne sommes pas surpris
de l'entendre nous dire : faites comme moi, laissez de
côté les principes.
Mais son éloquence ne nous convainc pas, et son
exemple ne nous séduit pas.
LES JESUITES ET LE MAIL
9 mai 1887.
La Législature de Québec est saisie d'un projet de
loi dont l'objet est de donner la reconnaissance et la vie
civiles à un ordre religieux qui porte le nom de: Com-
pagnie de Jésus.
Ce projet de loi tombe nécessairement sous la juridic-
tion du Mail, qui a reçu de M. Bunting la mission de
mettre le nez dans toutes nos affaires provinciales, reli-
gieuses ou civiles.
MÉLANGES- 73
Ces incursions périodiques du Mail dans les domai-
nes où il n'a rien à voir, comiques au début, finissent
par devenir superlativement agaçantes. Les intrus sont
parfois amusants pendant un quart d'heure ; mais il
arrive un moment où l'on se sent pris d'une furieuse
démangeaison de les- mettre à la porte.
L'organe fanatique de Toronto voudrait-il nous faire
la grâce de se mêler de ses affaires ?
Il ne pourra qu'y gagner ; car, chaque fois qu'il sort
de sa sphère, il donne dans les plus ridicules bévues, et
dans les erreurs les plus grossières qui puissent décon-
sidérer un journal sérieux.
Le bill des Jésuites ne concerne que les catholiques.
Quels que soient les sentiments divers des fidèles et
des pasteurs à son égard, nos frères séparés n'ont pas à
s'en inquiéter. Et ils l'ont compris, dans notre Législa-
ture, car ils se sont tranquillement divisés comme sur
n'importe quel autre bill privé.
Mais cela ne fait pas l'affaire du Mail. Il lui faut
souffter la flamme du fanatisme religieux. 11 est voué
à cette tâche an ti- patriotique et anti-sociale. Et, dans
celte campagne criminelle qu'il a commencée depuis un
an, c'est pour lui un coup de fortune qu'un projet de
loi bas-canadien où se trouve le mot : Jésuite !
Jésuite ! ! quelle sonnerie de clairon pour le public
haineux et préjugé que le Mail exploite a outrance.
Quelle fanfare retentissante pour les ennemis séculaires
et irréconciliables de l'Eglise, à qui les enfants de saint
Ignace ont voué leur cœur, leur intelligence, leur
volonté, leur vie tout entière !
L'organe anti- catholique et anti-canadien n'a garde
de manquer pareille aubaine. Il évoque tous les fan-
74 MÉLANGES
tomes du passé; il se pare de la vieille défroque vol-
tairienne ; il remet au jour toutes les calomnies fanées
des jansénistes et des encyclopédistes. Il ment à l'his-
toire, il fausse les faits les plus connus. Et, tout en
frappant sur les Jésuites, il insulte l'Eglise, donne le
coup de pied au Syllabus, soulève les passions aveugles
et ignorantes des adorateurs du dieu Etat contre le
Vicaire de Jésus-Christ.
Nous n'espérons pas guérir le Mail de sa rage sec-
taire. Mais nous croyons opportun de relever ses erreurs
historiques et doctrinales.
Il en tient contre la Compagnie de Jésus. Pourquoi ?
Parce que, dit-il, " elle ne se confine pas à l'œuvre de
" l'éducation, mais qu'elle s'est partout montrée hostile
" aux institutions libres. " Assertion vague et sans
valeur. Par institutions libres, le Mail entend sans
doute le régime constitutionnel. Où sont les preuves
que les Jésuites ont déclaré la guerre à ce régime ?
Comme tout homme qui pense, ils ont le droit d'avoir
individuellement leurs opinions sur le mérite relatif des
formes du gouvernement humain. Mais le Mail ne
saurait prouver que l'institut de Saint-Ignace combat
les gouvernements modernes.
Il vit et fleurit en Angleterre. Il couvre le sol des
Etats-Unis de ses collèges et de ses communautés. En
quelle circonstance le Parlement de Westminster ou le
Congrès de Washington ont-ils eu à se défendre contre
les agressions ou les doctrines séditieuses de la Compa-
gnie ? Ici, au Canada, quel exemple le Mail pourrait-il
apporter à l'appui de ses dénonciations ? Des faits et non
des mots ! Nous défions l'organe jésuitophobe d'en pro-
duire.
MÉLANGES 75
Le Mail ose mettre le pied sur un terrain qui lui est
étranger, et parler de la suppression des Jésuites par
Clément XIV. Il cite les termes du bref Dominus
ac Redeinptor. Mais comme on pouvait s'y attendre
d'un tel docteur, il en altère le sens et la portée. Oui,
un pape a supprimé les Jésuites ; mais il l'a fait en
gémissant, après une lutte de trois ans contre les cours
avilies de France, d'Espagne et d'Italie ; il l'a fait pour
éviter peut-être un schisme; il l'a fait par crainte de
plus grands maux dont les jansénistes, les encyclopé-
distes, les sectaires de toute école, précurseurs de la
dévolution, menaçaient en ce moment la catholicité. Il
a supprimé les Jésuites ; mais il ne les a pas flétris, ni
condamnés. Le bref énumère les accusations portées
contre la Compagnie ; il ne les sanctionne pas positive-
ment, comme le fait remarquer l'historien de l'Institut,
Crétineau-Joly. Et quarante ans plus tard, lorsqu'il a
été prouvé que la suppression des Jésuites, au lieu
d'apaiser la rage des ennemis du Christ, a été pour
l'Eglise et le monde le signal d'effroyables malheurs ;
lorsque les rois et les peuples ont été assez broyés par
l'adversité pour reconnaître les errements du passé, un
Pape, le deuxième successeur de Clément XIV, rétablit
l'illustre Compagnie qui a toujours été l'avant-garde de
l'armée catholique.
Le Mail rappelle que la Eussie schismatique, après
avoir donné asile aux Jésuites, au lendemain de leur
suppression, a dû les expulser plus tard, parce qu'ils
troublaient l'Etat par leurs intrigues. Avis au Canada,
semble-t-il ajouter.
Le journal fanatique devrait ouvrir un peu l'histoire.
Il y verrait sans doute que l'impératrice de Kussie,
76 MÉLANGES
schismatique et quelque peu philosophe, accueillit avec
faveur les Jésuites proscrits. Il y verrait que la grande
Catherine écrivait de sa main au Pape Pie VI : " Les
motifs d'après lesquels j'accorde ma protection aux
Jésuites sont fondés sur la raison et sur la justice,
ainsi que sur l'espoir qu'ils seront utiles à mes Etats.
Cette troupe d'hommes paisibles et innocents vivra dans
mon empire, parce que, de toutes les sociétés catholiques
c'est la jplus propre à instruire mes sujets et à leur
inspirer des sentiments d'humanité et les vrais prin-
cipes de la religion chrétienne."
Il y verrait aussi que les Jésuites furent expulsés de
Kussie en 1815, par suite des intrigues des sociétés
bibliques introduites dans l'Empire en 1811, et parce
qu'on attribua aux Pères la conversion du jeune prince
Gallitzin, neveu du ministre des cultes. L'Eglise schis-
matique s'alarmait des progrès du catholicisme. Voilà
le crime qu'on reprocha aux Jésuites, en cette circon-
stance.
Enfin, accusation suprême, les principes de la Com-
pagnie de Jésus sont contenus dans le Syllabus dont
les Jésuites sont les auteurs, et qui est la " mise en
accusation de la civilisation moderne." Faut-il appren-
dre à cet aveugle que les principes du Syllabus sont
ceux de l'Eglise même, et que le crime des Jésuites se
borne tout simplement à être orthodoxes. En jetant le
Syllabus à la tête des Jésuites, c'est l'Eglise catholique
que le Mail essaie d'outrager. Elle est au-dessus de
ses atteintes ; mais une fois de plus le fanatisme a
prouvé que dans la personne des Jésuites, il entend
frapper l'Eglise.
Pauvre Mail ! Quelle triste et humiliante besogne
MÉLANGES 77
que celle de ramasser dans la poussière des bibliothèques
jansénistes et philosophiques, ces vieilleries nauséabon-
des, ces déclamations surannées contre les empiéte-
ments jésuitiques et cléricaux, que dédaignent tous les
esprits bien faits, toutes les intelligences éclairées, en
Angleterre et au Canada.
Dans le passé, d'ailleurs, les témoignages protestants
n'ont pas manqué à la Société de Jésus. Bacon, péné-
tré d'admiration pour les vertus et les travaux des
Jésuites, a écrit un jour.
" En pensant à eux je me ressouviens de ce qui fut
dit jadis au Persan Pharnabaze par le roi grec Agésilas :
Etant ce que vous êtes, que n'êtes-vous des nôtres. "
Grotius, autre célèbre écrivain protestant, a dit :
" Les Jésuites exerçaient une grande puissance sur
l'opinion, à cause de la sainteté de leur vie, et du par-
fait désintéressement avec lequel ils instruisaient la
jeunesse dans les sciences et dans la religion. "
Frédéric II, prince luthérien, protégeait les Jésuites
et écrivait à Voltaire :
" Ganganelli, (Clément XIV) me laisse nos chers
Jésuites. J'en conserverai la précieuse graine pour en
fournir à ceux qui voudraient cultiver chez eux cette
plante rare. "
On pourrait multiplier ces citations. Mais en voilà
assez pour prouver que le grand journal anglais de
Toronto a fort mauvaise grâce à lever l'étendard anti-
jésuitique.
Heureusement, le Mail est isolé dans cette odieuse
entreprise. Sa voix est sans écho dans notre Canada :
les dernières élections d'Ontario l'ont surabondamment
prouvé. Ici, nous avons vu des protestants comme M.
78 MÉLANGES
Lynch, ancien ministre, comme M. Cameron, comme
M, Hall, comme M. Baldwin, proclamer que la recon-
naissance civile des Jésuites ne blessait en rien leurs
prédilections religieuses, et que le bill, à leurs yeux,
était une affaire de famille pour les catholiques.
Voici la vérité. Nos frères protestants arrangent libre-
ment leurs affaires entre eux ; nous faisons de même,
et personne n'est lésé. Qu'il se produise parmi nous
des divergences de vues quant à certaines questions
d'opportunité, etc. : cela ne regarde pas le Mail ; et les
pasteurs aussi bien que le troupeau se passeront par-
faitement de son avis.
ULTRAMONTAIN
15 août 1889.
Après avoir reproduit notre entrefilet à l'adresse du
Canada relativement au mot uUramontain \ la
Presse publie les lignes suivantes :
" Avec toute la réserve que nous devons à un jour-
naliste distingué comme M. Chapais, nous nous per-
mettrons de lui faire remarquer que le titre d'ultramon-
tain n'est plus aujourd'hui un titre d'honneur pour les
catholiques ; au contraire, c'est un mot de division et
de dispute. Il n'y a plus d'ultramontains et il ne doit
plus y en avoir pour l'excellente raison que l'on est
1 Le Canada s'était servi du mot " ultramontain " comme
d'un terme outrageant. Le Courrier du Canada lui avait fait
observer que c'était plutôt un titre d'honneur.
MÉLANGES 79
catholique même. Autrefois on était catholique gallican
contre Eome, c'était une erreur combattue par les ultra-
montains, c'est-à-dire les français catholiques restés
avec l'autorité infaillible de Rome.
" Le gallicanisme a reçu son coup de mort par le
décret de l'infaillibilité et n'a plus de suivants. Alors
pourquoi y aurait-il des ultramontains ? "
Avec toute la réserve que nous devons à notre con-
frère en opposition, M. Nantel, nous nous permettrons
de lui faire remarquer que le titre d'ultramontain
ayant toujours été employé pour signifier l'attachement
et le dévouement le plus absolu aux doctrines romaines
et au Saint-Siège, il doit être pour tout catholique un
titre d'honneur aujourd'hui autant que jamais.
A l'époque des luttes entre catholiques, auxquelles
La Presse fait allusion, on a appliqué l'épithète d'ultra-
montaine à une illustre école qui a livré de glorieux-
combats, afin de faire rentrer dans le large courant
romain le particularisme français, qui s'en écartait en
bien des points. Dom Guéranger, le cardinal Gousset,
Mgr Parisis, Mgr Gerbet, Mgr de Salinis, Louis Veuil-
lot, le cardinal Pie, Rohrbacher, et une foule d'autres
ont été des ultramontains, c'est-à-dire, des hommes
dévoués avant tout aux pures doctrines romaines, et
combattant, avec une égale ardeur, le gallicanisme et le
libéralisme, sous toutes leurs manifestations.
Dans le passé, dans l'histoire des controverses con-
temporaines, cette grande école est la nôtre : elle a tou-
jours eu et elle aura toujours notre adhésion, notre
admiration et nos plus ardentes sympathies.
Dans le présent, quoique, pour correspondre à un
désir légitime d'apaisement et de concorde, on s'étudie —
80 MÉLANGES
l'Univers en est un bel exemple — à ne pas perpétuer
ces appellations et ces dissensions d'école, ce qui n'eiu-
pêche pourtant pas les tendances divergentes d'exister
et de paraître, dans le présent, disons-nous, les termes
uUramontain et gallican sont moins fréquemment
employés. Mais cela n'empêche pas que le premier ne
se prenne en bonne part et le second en mauvaise
part.
Quant à nous, nous ne laisserons jamais sans protes-
tation M. Michel Vidal, ou M. P.-A.-J. Voyer, de pas-
sage au Canada, ou qui que ce soit, bafouer et mépriser
le nom d'ultramontain, et nous le revendiquons d'autant
plus hautement qu'on l'attaque. Ce n'est pas notre habi-
tude de laisser insulter nos principes sans dire un mot
à l'insulteur, et nous ne la contracterons pas dans la
circonstance actuelle.
24 août 1889.
Notre confrère de la Presse revient à la charge à
propos du mot ultramontain.
Vidons pour tout de bon l'incident. Et d'abord éta-
blissons nettement la position.
Le Canada publie un entrefilet où il est dit que
l'épithète idtramontain constitue un affront pour celui
à qui on l'applique.
Nous faisons observer que cette qualification, loin
d'être une injure doit être considérée comme un terme
d'honneur, puisqu'elle " signifie union intime et absolue
avec le siège de Eome. Il n'est pas un bon catholique,
ajoutions-nous, qui ne doive être ultramontain."
Là-dessus, notre confrère de la Presse intervient
MÉLANGES 81
pour nous redresser et nous éclairer. Il aJB5rme qu'il n'y
a plus d'ultramontains, qu'il ne doit plus y en avoir, et
que maintenant " ce titre n'est plus un titre d'honneur
pour les catholiques."
Nous insistons, nous maintenons notre position, nous
prouvons que, dans l'histoire religieuse contemporaine,
ce qu'on a appelé l'ultramontanisme a joué un grand et
glorieux rôle.
Peine inutile, notre confrère ne veut pas en avoir
le démenti, et nous adresse des objurgations comme
celles-ci :
" Nous demandons mille pardons à notre confrère,
mais être catholique tout court, voilà le titre d'honneur
auquel toutes les épithètes du monde ne sauraient rien
ajouter.
" Croire ce que croit et enseigne la sainte Eglise
catholique, apostolique et romaine, cela suffit pour être
du plus pur catholicisme.
" Nous ne voyons pas pourquoi M. Chapais quali-
fierait son catholicisme autrement que le nôtre, si nous
avons absolument la même foi. "
Notre confrère nous permettra de lui dire qu'il dé-
place la question. Nous ne qualifions pas notre catho-
licisme autrement que le sien. Nous tenons que tout
enfant de l'Eglise doit être satisfait de s'appeler catho-
lique, tout court. Mais notre confrère n'ignore pas sans
doute que, dans l'application des principes et des doc-
trines catholiques aux temps et aux lieux, il peut se
produire et il se produit des vues divergentes. C'est un
fait historique indéniable. Or, dans une certaine période
de notre siècle, ces vues divergentes se sont manifestées,
spécialement en France, avec une grande vivacité, sous
6
f
82 MÉLANGES
les noms de libéralisme-catholique, d'un côté, et d'ultra-
montanisme, de l'autre. Le Syllabus et le Concile du
Vaticau ont fait triompher l'ultramontanisme, c'est
connu, et depuis ce temps tout bon catholique doit être
ultramontain. Notre confrère comprend-il que nous
ayons été indigné de voir le Canada se servir de ce
mot comme d'un terme injurieux?
Si le directeur de la Presse n'admet pas la justesse
de la démonstration et des définitions que nous venons
de faire, nous pouvons lui fournir des autorités qui le
satisferont peut-être davantage. Il connaît sans doute
Konings, le grand docteur, le grand auteur de théologie
morale, fameux dans les écoles, dont les traités sont
enseignés dans presque toute l'Amérique Septentrionale,
et ont été récemment substitués à ceux de Gury par
Son Eminence le Cardinal Taschereau dans ses grands
séminaires. Voici ce qu'enseigne ce savant théologien :
" Graviter quis peccat contra fidem... interrogatus
utrum sit liomanista aut Papista, responderet se non
èsse... Idem hodie post Syllabum et Décréta Concilii
Vaticani dicendum videtur, si quis negaret se esse
Ultramontanum. *
" 11 pécherait gravement contre la foi celui qui, inter-
rogé s'il est Romaniste ou Papiste, répondrait qu'il ne
l'est pas. Aujourd'hui, après le Syllabus et les Décrets
du Concile du Vatican, il nous paraît qu'on doit en dire
autant de celui qui nierait qu'il est Ultramontain.
Konincs : Theol. Moral. S. Alplionsi compendium
Tractatus de virtut: Cap. I, de Fide, art. I, Nos 254
et 251)."
Voilà qui est péremptoire et positif. Voilà ce qui
est enseigné dans nos grands séminaires. Il nous semble
MÉLANGES 83
que notre manière de voir est désormais suffisamment
étayée pour résister aux impertinences du Canada, et
aux observations critiques de notre confrère delà Presse,
LE SCANDALE DE MASKINONGÉ ET LE
CANADIEN
29 août 1892.
On lit dans le Canadien de samedi :
" Un grave événement a eu lieu jeudi dans la paroisse
de Maskinongé. Treize de nos compatriotes ont aban-
donné la religion catholique pour devenir membres de
l'église Baptiste,
" Un différend à propos de la construction d'une église
a été la cause première de cette malheureuse scission.
" Je ne viens pas aujourd'hui jeter l'insulte et l'ou-
trace à ceux des nôtres qui ont renoncé à la foi de nos
aïeux. Ils sont nos frères par le sang. Nous les aimons
toujours Ils restent membres de la grande famille
chrétienne "
Nous non plus, nous n'avons pas l'intention de jeter
l'insulte et l'outrage à la figure des malheureux de Mas-
kinon<7é. Mais nous estimons que l'article du Canadien,
avec sa sensiblerie trop bénigne, ne remplit pas envers
ces dix catholiques devenus publiquement protestants
le devoir de justice qui est exigé par les circonstances.
Le Canadien n'approuve pas les dissidents, sans
doute. Mais son écrit est pour eux d'une douceur into-
lérable, d'une suavité détestable, tandis que toutes ses
rigueurs vont à une autre adresse.
84 MÉLANGES
Ce n'est pas ce langage onctueux qu'il faut tenir en
présence du plus effroyable scandale dont notre pro-
vince catholique ait été le théâtre depuis un grand nom-
bre d'années. Sans doute, les dissidents de Maskinongé
sont nos frères. Mais ce sont des frères dénaturés qui
viennent de cracher à la figure de notre mère commune,
la sainte Eglise catholique, et de la souffleter lâchement
en face de tout un pays occupé en majorité par ses
ennemis.
Les dix nouveaux baptisés de Maskinongé sont des
renégats, voilà ce qu'il faut dire. Il n'y a pas de raison,
pas de prétexte, pas de misères paroissiales qui puissent
excuser des catholiques, et surtout des catholiques cana-
diens-français, de fouler aux pieds leur foi, de trahir
l'Eglise, de violer les engagements solennels de leur
confirmation et de leur première communion, de renier,
crime abominable, le baptême qui les a fait chrétiens et
lavés de la souillure originelle, pour se soumettre à je
ne sais quelle parodie sacrilège d'un baptême qui ne
saurait attirer sur leur tête que la malédiction du ciel.
Les dissidents de Maskinongé sont des apostats ; des
apostats de leur foi, des apostats de leur race, car un
Canadien-français qui apostasie ne trahit pas seulement
l'Eglise, il trahit la nationalité. L'Eglise catholique et
la race franco-canadienne sont indissolublement unies
par les liens les plus indestructibles. Un Canadien-
français qui n'est pas catholique constitue une anomalie.
Un Canadien-français qui n'est plus catholique après
l'avoir été, constitue une monstruosité.
Nous regrettons amèrement d'être forcés de tenir un
tel langage i\ l'adresse de gens qui sont de notre sang.
Mais c'est le devoir de tout bon Canadien et de tout
MÉLANGES 85
catholique dévoué de flétrir et de vouer à l'exécration
publique une aussi noire trahison, une désertion aussi
lâche.
L'article doucereux et sentimental du Canadien con-
stitue donc à nos yeux une défaillance coupable. C'est
pactiser avec l'apostasie que de lui débiter ces tendres
reproches, ces fades remontrances et ces blâmes édul-
corés de lait et de miel.
L'article du Canadien contient de pi as une perfidie
à l'adresse des ordres religieux, objet de la vieille haine
de M. Tarte. En effet, après avoir parlé de l'interven-
tion véhémente du P. Hendricks, le Canadien ajoute
ces paroles significatives :
" Cet exemple engagera, nous en sommes sûr, Yépis-
copat à ne pas permettre l'usage des chaires de nos
églises, à des prédicateurs qui n'ont pas les affections
et les instincts de notre nationalité, avant de bien savoir
qui ils sont."
C'est là une sommation très respectueuse à l'épis-
copat d'interdire l'accès de nos chaires aux ordres reli-
gieux, de faire taire ces voix éloquentes qui apportent
un si puissant secours à notre patriotique clergé ! Quelle
prétention téméraire !
Supposons qu'il y ait eu des écarts de langage.
Faudra-il pour cela limiter le champ de la parole apos-
tolique ?
Le Canadien dénonçait l'autre jour un prêtre cana-
dien séculier. Voudrait-il demander, comme consé-
quence, à l'épiscopat d'interdire la direction de nos
paroisses à nos prêtres séculiers ?
Cet article du Canadien est déplorable. Certes nous
souhaitons ardemment que les malheureux apostats de
86 MÉLANGES
Maskinongé ouvrent les yeux et réparent le scandale
qu'ils ont donnd. S'ils se repentent, les bras maternels
de l'Eglise leur seront ouverts, et ils redeviendront nos
frères. Mais nous devons leur faire bien comprendre la
profondeur de l'abîme où ils se sont laissés choir et pour
cela il faut leur parler hautement et fermement le lan-
gage de la vérité et de la justice.
12 septembre 1892.
Les doux pasteurs de V Aurore, journal chiniquiste et
Moniteur des apostats canadiens, sont pénétrés d'une
fureur fort peu évangélique contre le Courrier du
Canada. Ils nous consacrent toute une page de leur
journal! Quel honneur !
C'est naturellement notre article sur le scandale de
Maskinongé qui fait mal au cœur de ces malheureux.
\! Aurore nous en informe par les lignes suivantes :
" Le scandale de Maskinongé " tel est l'en-tête d'un
article du Courrier du Canada, ancien cliché, qui répète
ses diatiibes d'il y a un demi-siècle. Certains vins s'amé-
liorent en vieillissant, mais le venin, lui, reste toujours
le même, alors même qu'il est versé d'une coupe plus ou
moins cléricale. Le Courrier déplore la douceur, la
suavité, la sensiblerie àes paroles humaines, charitables,
bien que très catholiques encore du Canadien. Ce n'est
pas ainsi, écrit-il, qu'il faut traiter ces gens, quoiqu'ils
soient très respectables. Ils ont quitté l'Eglise romaine,
leur mère — des Canadiens-Français ! Eh bien ! il faut
leur dire qu'ils sont des renégats, des apostats, des
monstres. Pas de chariié pour ces gens qui " viennent
de cracher à la figure de notre' mère commune la sainte
MÉLANGES 87
Eglise catholique, et de la souffleter en face de tout un
pays occupé en majorité par ses ennemis. " Voilà sans
doute le grand péché, le crime impardonnable : se join-
dre à une majorité opposée à l'Eglise ! Mais quand
l'Eglise romaine est en majorité ! Voilà la morale et la
religion toute mondaine de ces fidèles catholiques. " Le
crime abominable, " selon le pauvre écrivain du Cour-
rier, c'est pour ces catholiques canadiens-français " de
fouler aux pieds leur foi, de trahir l'Eglise, de violer
leurs engagements solennels — ^le baptême qui les a faits
chrétiens et lavés de la souillure originelle pour se
soumettre à je ne sais quelle parodie sacrilège d'un
baptême qui ne saurait attirer sur leur tête que la
malédiction du ciel. "
Eh bien oui, messieurs les pasteurs de V Aurore, nous
avons dit tout cela, et tout ce que nous avons dit est
juste.
Oui, un Canadien-français qui n'est pas catholique
est une anomalie, un Canadien-français qui ne l'est plus
après l'avoir été, est un phénomène monstrueux.
En dépit de toute votre réclame, vous ne ferez pas des
héros des onze malheureux que vous avez fait barboter
dans vos piscines. Ce ne sont pas des esprits partis des
ténèbres pour aller à la lumière, ce ne sont pas des
cœurs séduits par l'exemple de vos vertus héroïques, ce
ne sont pas des prosélytes conquis par votre éloquence,
subjugués par votre science, éclairés par vos enseigne-
ments. C'est une poignée d'entêtés et d'orgueilleux pour
qui le site matériel d'une église est plus important que
les sacrements, que la foi de leurs pères, que le salut de
leur âme, que la vie éternelle, que toutes les considé-
tions religieuses, et qui vous auraient bellement envoyés
88 MÉLANGES
promener avec vos cuves, si le clocher s'élevait à gau-
che plutôt qu'à droite de la rivière.
Voilà toute la conviction des dissidents de Maski-
nongé. Et voilà la portée de votre glorieuse victoire,
doux pasteurs de l'Aurore.
LES AVENTURES DE M. LAURIER
11 septembre 1894.
Evidemment M. Laurier fait un voyage malchanceux.
Nous l'avons montré à Winnipeg trahissant le prin-
cipe des écoles séparées, acceptant celui des écoles neu-
tres, et essayant misérablement de tromper à la fois les
catholiques et les protestants.
Mais quelques jours auparavant son voyage avait été
marqué par un autre épisode qui provoque les plus
graves commentaires.
Voici l'incident tel que le racontait une dépêche :
" Sault Sainte Marie, 30. — Le Eév. C. E. Manning,
de l'église méthodiste, est très populaire ici. L'hono-
rable Wilfrid Laurier et ses compagnons de voyage ont
assisté au service religieux de son église, dimanche soir,
et le révérend monsieur a prononcé un éloquent sermon
après lequel il a été chaleureusement félicité par le chef
libéral. "
Cette dépêche a produit dans le public catholique une
véritable commotion. On a attendu quelques jours pour
voir si elle serait contredite. Mais elle est restée sans
dénégation.
MÉLANGES 89
La Croix a alors protesté en termes véhéments. Voici
quelques extraits de son article :
" Tout enfant qui sait son petit catéchisme n'ignore
pas qu'il est expressément défendu aux catholiques de
prendre part aux cérémonies religieuses des hérétiques,
des schismatiques, des Juifs ou des infidèles. L'Eglise
recommande à ses enfants la plus grande charité à
l'égard de ceux qui n'ont pas le bonheur d'appartenir à
la vraie religion : elle leur ordonne de prier pour eux,
de les respecter et de leur témoigner en toute occasion
des sentiments véritablement et sincèrement chrétiens ;
mais elle leur défend expressément de communiquer
avec eux in sacris.
" Cette dépêche, déjà vieille de cinq jours, n'a pas été
contredite ; on peut donc sans témérité la considérer
comme vraie. Eh bien ! nous le répétons, il y a là un
scandale, et M. Laurier cherchera en vain dans les
ouvrages de ses auteurs favoris, de ses modèles, un mot
qui excuse sa conduite,
" Assister au prêche méthodiste n'était pas assez pour
le zèle catholique du chef libéral; il a tenu à féliciter
chaleureusement le prédicateur; c'est complet.
" Quel a donc pu être le mobile de cette étrange con-
duite ? Inutile de chercher bien loin. La dépêche ne
dit-elle pas : Le rév. Manning de l'église méthodiste,
eU très poimlaire ici. L'explication, la voilà.
" Il s'agissait de capter la faveur d'un homme très
populaire. Si cet homme eût été un prêtre catholique,
M. Laurier serait allé à la messe, le dimanche 26 août -.
mais, comme il se trouve qu'il est méthodiste, M. Lau-
rier est allé à la mitaine, tout simplement."
Cet article de la Croix était sévère, mais juste. Les
90 MÉLANGES
catholiques n'ont pas le droit de communiquer avec nos
frères séparés in saeris. C'est élémentaire, et tous les
enfants de nos écoles doivent savoir cela.
On n'est pas de cet avis à la Liberté, le journal radical
de Sainte-Scholastique. Naturellement la feuille rouge
défend M. Laurier. 11 faut lire cette élucubration :
" La Croix vient dé publier un sale article contre
M. Laurier parce que celui-ci s'est permis, lors de son
passage au Sault Sainte-Marie, d'assister à un service
religieux à l'église méthodiste de l'endroit.
" Quel crime ! aller voir des protestants prier Dieu
dans leur temple !
" Quelle infamie ! oser aller écouter prêcher le pasteur
Manuing !
" Ces pauvres calotins nous maudissent parce que
nous n'avons pas leur étroitesse d'esprit, leur chauvi-
nisme, leur sotte intolérance et parce que nous respec-
tons toutes les croyances. Nous plaignons sincèrement
les curés d'avoir pour organe un journal abruti comme
la Croix qui en est encore aux ténébreuses doctrines du
moyen âge, au système des bîichers, de l'intimidation, de
la proscription, etc ?
" Mais en revanche, nous félicitons M. Laurier d'avoir
su s'attirer les haines et les colères de ce chat-huant de
la presse.
" Ayons des idées larges, soyons tolérants, aimons-
nous les uns les autres, et allons dioit notre chemin sans
nous occuper des excommunications de la Croix."
Pauvre M. Laurier ! Il a de jolis thuriféraires !
Eécemment La Liberté se proclamait favorable aux
écoles neutres.
Elle est maintenant en faveur de la religion neutre.
MÉLANGES 91
Et M. Laurier est son chef de file.
Partisan des écoles neutres à Winnipeg, sectateur de
la religion neutre au Sault Sainte-Marie, M, Laurier
récolte les applaudissements et la sympathie des radi-
caux de la Liberté. ■
Ils l'acclament, ils en sont fiers, ils applaudissent à
ses principes, à sa largeur d'idées, comme ils disent.
Le voyage de M. Laurier dans l'Ouest a été marqué
jusqu'ici par de bien malencontreuses aventures !
22 septembre 1894.
La Liberté est vraiment à peindre.
Elle continue à couvrir l'infortuné M. Laurier de son
égide protectrice.
Il faut lire les jolies choses qu'elle nous dédie :
" La presse ramollie, c'est-à-dire la Vérité, la Croix,
le Courrier du Canada, le Trifluvien, ne cesse de baver
sur M. Laurier, depuis qu'il est allé entendre prêcher le
révérend M. Manning au Sault Sainte-Marie. Mais
l'éminent chef libéral est au-dessus des atteintes de ces
journaux venimeux, et son prestige ainsi que ses hautes
vertus civiques et politiques le placent hors de la portée
des p'tits manteaux. '
" Oh ! quel forfait inouï a commis M. Laurier ! Le
bon Dieu a dû verser des torrents de larmes divines en
voyant ce chef politique canadien s'asseoir un moment
dans un temple protestant où l'on adore et prie le même
Jésus-Christ que les catholiques adorent et prient.
" Pauvres cagots, en ont-ils d'épouvantables notions en
religion. Ils font du Père Eternel un vrai bourreau qui
voit de gros péchés dans tout ce que les hommes font.
92 MÉLANGES
S'il fallait les écouter oa recommencerait les guerres
religieuses pour le plaisir d't^gorger ceux qui n'ont pas
nos croyances, mais qui vraiment nous valent à bien des
points de vue."
Il est bien évident que les cnergumènes qui pondent
ces rapsodies n'ont aucun sens catholique.
L'Eglise catholique défend à ses enfants de commu-
niquer avec les hérétiques in sacris.
On peut être tolérant, charitable, aider nos frères sépa-
rés dans leurs besoins ou leurs malheurs, être animé à
leur égard des sentiments de la fraternité chrétienne, sans
participer au culte protestant, sans aller au prêche et au
service religieux des églises protestantes.
Mettre toutes les religions sur le même pied sous pré-
texte qu'on peut prier Dieu dans chacune d'elles, sou-
tenir que les catholiques peuvent aller indifféremment
au temple protestant ou à l'église, c'est se rendre cou-
pable d'un éclectisme criminel, c'est commettre une sorte
d'apostasie.
Nous n'écrivons pas cela pour les gens de la Liberté
qui sont incurablement fermés à toutes ces considéra-
tions de l'ordre spirituel. Nous écrivons cela pour les
gens qui ont la foi catholique, et qui croient à l'autorité
de l'Eglise.
Ce n'est pas pour le plaisir de nuire à un adversaire
que nous avons dénoncé l'acte de M. Laurier. C'est
pour empêcher que cet exemple ne produise un perni-
cieux effet sur nos populations ; c'est pour prévenir le
mal que cette leçon d'indifférentisme aurait pu faire.
Figures disparues.
M. JOSEPH DOUTEE
4 février 1886.
M. Joseph Doutre est mort dans la nuit de mardi à
mercredi, à Montréal, à l'âge de soixante-uu ans.
Le défunt élait né à Beauharnois, en 1825. 11 avait
étudié au collège de Montréal et fait son droit sous
l'honorable A. N. Morin et M. N. Dumas.
En 1844, il publia un roman, sa première production
littéraire, intitulé : Les fiancés de 1812. Les livraisons
de cette œuvre sont maintenant très rares, surtout les
dernières. En 1848, il publia aussi Le frère et la sœur,
et, en 1852, Le sauvage du Canada, conférence donnée
par lui à l'Institut-Canadien.
Il collabora activement à V Avenir fondé en 1848
par les adeptes de M. Papineau. A partir de ce moment
on sait quel rôle tristement célèbre il joua dans nos
luttes sociales et politico-religieuses.
Libre-penseur absolu, il se constitua le champion du
libéralisme le plus avancé, et fit une guerre acharnée
aux prérogatives et aux droits sacrés de l'Eglise, qui
l'avait baptisé et bercé sur son sein. Qui ne se rappelle
les luttes de l'Institut-Canadien contre les prescriptions
de l'Index et les censures épiscopalep, et surtout le
94 MÉLANGES
fameux procès Guibord, au cours duquel M. Doutre
prononça de si odieuses paroles contre la société de
Jésus, le Pape et l'Eglise ? Hélas ! que d'activité,
d'énergie, et aussi de talent, — car ^I. Doutre n'était pas
un homme ordinaire — dépensés au service de l'erreur !
Aujourd'hui cet homme de combat et de publicité
retentissante est entré dans le silence et dans le calme
de la mort. Son nom appartient à l'histoire qui jugera
son œuvre avec sévérité, comme celle de tous les démo-
lisseurs sociaux.
La mort désarme toutes les inimitiés. Et M. Doutre
aura cette suprême faveur que ceux qu'il a le plus com-
battus durant sa vie sont des hommes de paix, qui
prieront ardemment pour le repos de son âme.
M. Doutre était un avocat éminent, un écrivain sou-
vent incorrect, mais vigoureux et abondant, un orateur
plein d'énergie et de ténacité. Dieu lui avait départi
des dons précieux.
Qu'il daigne le recevoir en sa miséricorde.
L'HONORABLE P.-J.-O. CHAUVEAU
5 avril 1890.
L'honorable P.-J.-O. Chauveau, shérif de Montréal,
est mort, hier soir, à sept heures et demie, à la rési-
dence de M. le Dr Vallée, son gendre, rue Sainte- Anne.
C'est une de nos plus grandes figures contemporaines
qui disparaît d'au milieu de nous. Orateur, poète, roman-
MÉLANGES 95
cier, historien, critique, bibliographe, journaliste, député,
ministre, professeur, il a touché à tous les sommets
auxquels les hommes doués d'im talent supérieur peu-
vent atteindre dans notre pays. Ses facultés brillantes
et fécondes se sont déployées dans vingt genres diffé-
rents. Parvenu aux premiers confins d'une vieillesse
sereine, glorieuse, et intellectuellement active, il était
plus qu'un écrivain, plus qu'un orateur, plus qu'un
publiciste, plus qu'un homme d'Etat en retraite, il était
à lui seul toute une époque, et cette époque s'achève
avec lui.
En sa personne les lettres canadiennes perdent leur
représentant le plus complet, et l'une de leurs gloires
les plus incontestées. Il avait débuté en 1839, et depuis
lors jamais il n'avait cessé d'écrire, de produire, de
remuer des idées, de livrer au public de la prose ou des
vers, d'agir sur la société canadienne par la parole ou
par la plume. Cinquante ans de carrière littéraire, de
carrière publique ! cinquante ans d'activité intellec-
tuelle jamais interrompue, toujours grandissante au con-
traire, et toujours acquérant plus d'éclat, plus d'éléva-
tion, plus de force et d'essor! Il a été donné à bien peu
d'hommes, dans notre pays, de vivre une vie aussi
noblement remplie.
M. Chauveau était né le 30 mai 1820. Il terminait
ses études au séminaire de Québec en 1837, l'année
terrible. Ses compagnons de classe étaient MM. J.-B.
Côté, prêtre ; A. Marcoux, prêtre ; A.-D. Eoss, avocat;
Joseph Maurault, prêtre ; Luc Letellier, lieutenant-gou-
verneur de la province de Québec, en 1877 ; A. Parent,
notaire ; F. Bardy, prêtre ; 0. Campeau, notaire ; Char-
les Cinq-Mars, notaire ; P. Patry, prêtre ; Elie Riufret,
96 MÉLANGES
médecin ; M. de Lachevrotière, notaire. Nous ne croyons
pas qu'il y ait plus que deux ou trois survivants de
cette classe.
M. Chauveau se maria eu 1840 à mademoiselle
Masse, de Québec. Il fut admis au barreau en 1841, et
nommé conseil de la Reine en 1853. En 1844 il fat
élu député du comté de Québec contre M. Neilson, le
vétéran de nos luttes constitutionnelles. En 1851 il
entra dans l'administration Hincks-Morin comme solli-
citeur-général, et il échangea ce portefeuille pour celui
de secrétaire provincial en 1853. Sorti du cabinet
en septembre 1S54, il fut nommé, en 1855, surin-
tendant de l'instruction publique, poste qu'il occupa
jusqu'à 1867. C'est alors qu'il créa le Journal de
V Instruction 'publique, où il prodigua des trésors de
style et d'érudition. En 1867 il devint premier-ministre
de la province de Québec, et tout le monde se rappelle
avec quelle distinction il inaugura le nouveau régime.
En janvier 1872, M. Chauveau se retira de la poli-
tique provinciale et fut appelé à la présidence du
Sénat, à Ottawa. Après la chute du gouvernement
Macdonald, en 1873, il se démit de ses fonctions de
président du Sénat, et se présenta pour les Communes,
dans le comté de Charlevoix, aux élections générales de
1874. 11 fut défait par M.-P.-A. Tremblay, et rentra
dans la vie privée. De 1867 à 1873, M. Chauveau
avait représenté le comté de Québec pour les deux
Chambres, les Communes d'Ottawa et l'Assemblée
législative de Québec,
En 1874, le gouvernement fédéral le nomma prési-
dent de la commission du havre de Québec, et enfin,
en 1877, il reçut du cabinet de Boucherville la commis-
MÉLANGES 97
sion de shérif de Montréal, poste qu'il occupait à sa
mort.
En 187S, l'université Laval de Montréal lui avait
confié la chaire de droit romain.
La disparition de cette haute personnalité crée un
grand vide dans notre société canadienne. Elle causera
une sensation de tristesse dans tout le pays, et surtout
à Québec que M. Chauveau avait tant aimé.
Qui ne se rappelle son émouvante apostrophe à la
vieille Stadaconé, dans son discours du 24 juin dernier?
Hélas ! c'était son chant du cygne.
M. Chauveau était un chrétien fervent. On pouvait
ne pas accepter sa manière de voir sur certains sujets
controversés. Mais c'est un devoir de rendre hommage
à la sincérité de sa foi, à l'intégrité de son caractère, et
à la dignité de sa vie.
Sa mort enlève au Canada un de ses hommes illus-
tres, aux lettres canadiennes un maître, et à notre natio-
nalité l'un de SCS fils les plus glorieux.
SIR JOHN MACDONALD
8 juin 1891.
L'empire britannique vient de perdre un de ses plus
illustres hommes d'Etat, l'Amérique un de ses plus
grands citoyens, et le Canada sa personnalité la plus
éminente*
Sir John Macdonald est mort à Earnschffe, samedi soir,
à dix heures et quart.
7
98 MÉLANGES
De l'Atlantique au Pacifique, la funèbre nouvelle,
attendue pourtant depuis plusieurs jours, a plongé dans
le deuil la moitié d'un continent. Et une puissante
émotion a secoué le Canada tout entier lorsque le cou-
rant électrique a jeté cette parole lugubre aux quatre
coins de la Puissance : Sir John Macdonald est mort !
Sir John Macdonald ! Que de choses dans ce seul
nom ! Quel éblouissant prestige il dégage ! Quels sou-
venirs il évoque !
Ce n'est pas une carrière ordinaire qui se ferme.
C'est un demi-siècle de la vie nationale qui descend au
tombeau avec le premier-ministre expiré. Et en nous
inclinant sur ce cercueil, nous disons adieu à quelque
chose de nous-même, nous saluons une époque qui s'en
va, nous fermons un volume de l'histoire de la patrie.
A quoi a tenu l'influence immense, l'influence pres-
que souveraine exercée par Sir John sur les hommes et
les choses de son temps ? L'histoire répondra que pour
remplir aussi glorieusement une aussi étonnante car-
rière, au milieu de tant de difficultés, il fallait plus que
du talent, plus que de l'adresse, plus que du bonheur,
il fallait du génie.
On peut être doué du génie littéraire, du génie artis-
tique, du génie militaire ; Sir John avait le génie poli-
tique. Il était né meneur d'hommes ; et, sur un théâtre
étroit, il a déployé des facultés qui lui auraient assuré
la même prééminence dans les grandes arènes de la
politique européenne.
Ce qui faisait sa force ce n'était pas l'excellence dans
tel ou tel genre particulier. Il n'était pas précisément
grand orateur, quoiqu'il fut vraiment un maître de la
parole ; il n'était pas un grand écrivain ; il n'avait pas
MÉLANGES 99
de spécialité reconnue. Ce qui faisait sa force c'était la
supériorité de sa vaste et lumineuse intelligence, bril-
lante, rapide, embrassant tout dans son activité prodi-
gieuse, dominant tous les préjugés, comprenant toutes
les nuances d'idées et de situations, voyant clair et vite.
Et, en second lieu, c'était son caractère fait de souplesse
et de résistance, c'était sa bienveillance universelle, la
bonté et la générosité de son cœur, dont adversaires
comme amis ont pu faire l'expérience.
Cette intelligence vivante, cette souplesse doublée
d'énergie, cette bienveillance et cette bonté, tout cela
c'était le magnétisme mystérieux dont on parle tant à
propos de sir John, et qui donne la clef de ses succès
constants.
Le moment n'est pas venu de porter un jugement
d'ensemble sur la vie de ce grand homme d'Etat. Il a
été député quarante-sept ans, ministre trente-trois ans,
premier ministre vingt ans. Nous croyons ne rien
outrer en affirmant que c'est là une carrière sans paral-
lèle dans les annales parlementaires des nations con-
temporaines.
Durant près d'un demi-siècle, il a pris part à la direc-
tion des affaires de son pays. Durant un quart de siècle,
il a été le leader incontesté de la nation canadienne.
Et si la Confédération, durant son âge critique, n'a pas
fait naufrage, on peut dire que c'est grâce aux éton-
nantes facultés de Sir John, qui a servi de lien à toutes
les races, et qui a su amortir tous les chocs.
On n'a pas toujours été juste poiir ce politique en-
touré d'écueils. Sans doute il a commis des fautes, et
bien des erreurs sont inscrites aux pages de sa vie
publique. Mais le grand, l'inoubliable service qu'il a
100 MÉLANGES
rendu aux provinces du Canada, c'est d'avoir été par
excellence un pacificateur et un modérateur. Quoi qu'on
ait dit dans la chaleur des luttes, il n'avait ni préjugés
ni fanatisme. Il voyait juste et discernait aussi bien les
excès de l'intolérance haut-canadienne, que les suscep-
tibilités bas-canadiennes. Il comprenait notre race,
comme il connaissait la sienne ; et son étude, son labeur
perpétuel étaient de prévenir les conflits ou d'en amoin-
drir les résultats, et de faire travailler toutes les nationa-
lités, dans l'harmonie, au progrès du Canada. Durant des
années, seul il a tenu en bride le fanatisme de sa pro-
vince, et l'éternel honneur de sa vie ce sera précisé-
ment d'avoir discipliné et contenu les éléments dange-
reux qui auraient, sans cela, compromis notre avenir.
La province de Québec perd aujourd'hui un ami,
nous n'hésitons pas à l'afîirmer, malgré les opinions
contraires. Par sa nature primesautière, par son esprit
vif et la verve de son humeur, il avait des affinités
réelles ayec notre race. De plus Sir John était un
homme de l'Union. Il avait vécu chez nous ; Québec
était une ville où il avait passé quelques-unes des plus
belles années de sa carrière. Il avait été l'hôte aimé
et recherché des foyers canadiens-français, et quand il
revenait nous visiter, il se retrouvait chez lui. Il avait
remporté des victoires parlementaires dans notre vieux
Parlement, Il avait fait retentir les échos de notre
Music Hall des applaudissements provoqués par sa
parole, lorsque la législature du Canada-Uni y siégeait.
Il connaissait toutes nos sommités religieuses et civiles.
Il n'y a plus d'hommes dans ces conditions parmi les
chefs politiques anglais de la Confédération,
Ce que la critique la plus acharnée ne pourra refuser
MÉLANGES 101
à Sir John, ce sera d'avoir eu véritablement le patrio-
tisme canadien. Il a aimé le Canada, il a voulu sa gran-
deur, il a rêvé pour lui de hautes destinées, il a travaillé
sans relâche à lui créer une large place au soleil de
l'Amérique, il a fièrement arboré son drapeau à côté du
drapeau étoile de la Eépublique voisine, il a été un
grand canadien, et ce sera sa gloire.
En 1873, au moment de succomber sous les coups
d'une coalition où la haine donnait la main à la trahi-
son, Sir John terminait un des plus grands discours de
sa vie par cette émouvante péroraison :
" I hâve fought the battle of confédération, the battle
of union, the battle of the Dominion of Cana'la. I throw
myself upon thehouse; I throw myself upon the coun-
try; I throw myself upon posterity ; and I believe
that, notwithstanding the many failings in my life, I
shall hâve the voice of this country, and this house,
rallying around me. (Cheers). And, sir, if I am mis-
taken in that, I can confidently appeal to a higher
court — to the court of my own conscience, and to the
court of posterity. (Cheers). I leave it with this house
with every confidence. I am equal to either fortune. I
can see past the décision of this house, eithor for or
against me ; but whether it be for or agaiust me, I kuow
— and it is no vain boast for me to say so, for even my
enemies will admit that I am no boaster — that there
does not exist in Cariada a man luho has given more
of his time, more of his heart, more of his weàlth, or
more of his intellect and power, such as they raay he,
for the good of this Dominion of Canada, (Long and
continued cheering)."
Aujourd'hui, sur la tombe de sir John, ce témoignage
102 MÉLANGES
qu'il pouvait se rendre à lui-même avec une éloquence
si pathétique, ce témoignage lui est rendu par la nation
tout entière. Un journal libéral saluait en lui, l'autre
jour, " le père de la patrie," et ce magnifique éloge
dépasse toutes les louanges que notre plume amie pour-
rait décerner à sa mémoire.
Sir John Macdonald a été le pilote de la confédération
canadienne à travers bien des écueils et des tempêtes ;
il a été un pilote habile, il a été un pilote heureux.
Avant de mourir il a légué à ses amis une suprême
victoire, et maintenant il disparaît en plein succès, à la
tête de la nation, chargé d'honneurs et d'années, pleuré
par ceux dont il était le chef et le père, regretté par ses
-adversaires eux-mêmes, qui ne pouvaient se soustraire
au charme de ce merveilleux séducteur. Quelle plus
belle et plus glorieuse fin de carrière le grand homme
d'Etat aurait-il pu souhaiter ?
Et maintenant tout est fini. Une fois de plus la
vanité et le néant des grandeurs humaines se sont mani-
festés. L'arbitre des destinées d'un peuple est allé ren-
dre ses comptes au Maître de la vie, et, à ce moment,
toute sa gloire, toutes ses dignités, ne lui ont pas été
plus secourables que s'il eût été le plus humble des
mendiants. Les décrets de la Providence sont impéné-
trables et, devant cette tombe entr'ou verte où quelqu'un
de si grand aux yeux des hommes va descendre, il n'y
a qu'à s'incliner et à prier.
Sir John Macdonald est mort. Ce nom prestigieux
va cesser de retentir chaque jour à nos oreilles. Mais il
va s'inscrire en lettres ineffaçables aux tablettes de
l'histoire. Et la mémoire du grand ministre vivra aussi
longtemps que le Canada auquel il a consacré sa vie.
MÉLANGES 103
MONSEIGNEUR TACHÉ
22 juin 1894.
La nouvelle de la mort de Mgr Taché va plonger
dans le deuil tout le Canada catholique.
C'est un grand évêque et un grand citoyen que la
mort vient de terrasser, et l'illustre défunt brillera au
premier rang dans le Panthéon de nos gloires natio-
nales.
Il était né le 23 juillet 1823 à la Eivière-du-Loup,
et avait par conséquent près de soixante-onze ans. Il
comptait parmi ses ancêtres Louis Jolliet, l'illustre
découvreur du Mississipi, et Pierre de la Verendrye, le
célèbre explorateur de la Rivière-Rouge, de l'Assini-
boine et des Territoires du Nord-Ouest.
A dix ans le jeune Alexandre Taché entra au sémi-
naire de Saint-Hyacinthe où il fit toutes ses études. En
1841, il commença sa théologie au grand séminaire de
Montréal. Trois ans plus tard il demanda et obtint son
admission dans l'ordre des Oblats. Il n'était pas encore
prêtre lorsqu'il partit pour les missions du Nord-Ouest,
en 1845. Mgr Provencher, le saint évêque missionnaire,
distingua bientôt les éminentes qualités du jeune reli-
gieux, à qui il accorda toute sa confiance et qu'il choisit
bientôt pour son coadjuteur. Se conformant à son désir,
Mgr Taché partit pour Rome, où il reçut ses bulles. Il
fut consacré à Viviers en France ; de retour au Canada
il alla demeurer à l'Ile à la Crosse dans le Nord-Ouest,
d'où il fit rayonner soifzèle sur tous les territoires. En
1853 la mort de Mgr Provencher le fit monter sur le
1 04 MÉLANGES
siège épiscopal de Saint-Boniface, qu'il occupa pendant
quarante-un ans.
Mgr Taché a joud un rôle des plus importants dans
le Manitoba et le Nord-Ouest, Il était là-bas le chef
aime', respecté et reconnu de notre race. Jouissant d'une
immense influence sur ces populations, c'est à lui qu'on
a eu recours chaque fois qu'il s'est élevé des difficultés
de toute nature, dans l'Ouest, et toujours sa voix a
été écoutée des fidèles. C'est lui qui a ramené la paix
après les troubles de 1870. Sir John Macdonald le fit
mander expressément de Eome.
Chef et père des catholiques et des Canadiens-fran-
çais de l'Ouest, il n'a cessé de combattre pour leurs
droits et de soutenir de sa parole, de sa plume et de son
influence leurs légitimes revendications. On peut dire
qu'il est mort sur la brèche. Les derniers eftbrts de son
énergie ont été pour affirmer une dernière fois l'injus-
tice dont les canadiens catholiques sont les victimes au
Manitoba et dans le Nord-Ouest.
Sa mémoire restera éternellement chère à tous les
cœurs canadiens-français et catholiques.
MONSIEUR GLADSTONE
20 mai 1898.
M. Gladstone est décédé hier, et sa mort est l'événe-
ment du jour pour tout l'immense empire britannique.
Dans sa personne l'Angleterre voit disparaître l'un
de ses plus grands parleuivutairie, l'une de ses plus puis-
santes intelligences, son plus grand orateur, et le plus
fameux de ses hommes d'Etat.
MÉLANGES 105
M. Gladstone a exercé une influence prépondérante
sur la politique de son pays durant un demi-siècle.
Esprit brillant, ardent et impétueux, caractère énergique
et fortement trempé, il était fait pour dominer par la
force intellectuelle, par la parole et par l'action, et il a
dominé le Parlement et l'opinion britanniques, surtout
dans les dernières années de sa carrière active, à un
degré inouï depuis les jours du second Pitt,
Sa vie publique a été marquée de bien des variations.
Il y avait dans son génie quelque chose de versatile et
de mouvant qui diminuera sa gloire aux yeux de la
postérité. Un écrivain français, madame Dronsart, a
admirablement fait ressortir ce côté de sa carrière, dans
un des livres les plus intéressants qui aient été écrits
sur le grand homme d'Etat pendant ces dernières années.
Chose remarquable, c'est à l'heure de sa vieillesse, au
moment où il devenait septuagénaire, que M. Gladstone
a surtout grandi aux yeux de ses concitoyens et que
sa stature politique a pris les proportions colossales
qu'on lui a vues durant les dix-huit dernières années.
Comme plusieurs autres contemporains illustres, un de
ses plus heureux privilèges c'est d'avoir survécu. Il
avait survécu à Beaconsfield, son glorieux rival; il
avait survécu à lord John Eussell, à lord Derby, à la
plupart des hommes éminents qui avaient été ses alliés
ou ses adversaires, et sa vieillesse prodigieusement
robuste, couronnée de labeur, d'éloquence, de succès, en
jetait un plus extraordinaire et un plus unique éclat.
Il était devenu pour tout un peuple le " grand old man,"
et cette appellation populaire entourait son front d'une
auguste et rayonnante auréole.
L'histoire signalera sans doute des erreurs dans l'écla-
106 MÉLANGES
tante carrière politique de M. Gladstone. Mais elle dira
aussi que sa vie privée fut sans tache, l'une des plus
belles et des plus nobles de notre temps.
Il n'était pas catholique, mais sa bonne foi était
reconnue par bien des catholiques distingués. Chrétien
convaincu, il pratiquait sa religion avec ferveur et don-
nait autour de lui le bon exemple.
M. Gladstone s'était signalé, après 1870, par une cam-
pagne ardente contre les décrets du concile du Vatican.
Son excuse était sans doute l'atmosphère de préjugés
dans laquelle il avait grandi et vécu.
La mort de M. Gladstone, tout en produisant une
vive impression en Angleterre, ne changera rien sur la
scène politique. L'illustre défunt en était sorti depuis
plusieurs aunées et son souvenir seul y demeurait,
comme il y demeurera durant de longues années.
LA REINE VICTORIA
23 janvier 1901.
Sa Majesté Victoria 1ère, reine du royaume-uni
de la Grande-Bretagne et d'Irlande, impératrice des
Indes, est morte hier soir au château d'Osborne, sur
l'île de Wight.
Cette triste nouvelle a plongé dans le deuil les sujets
britanniques, d'un bout du monde à l'autre.
La reine Victoria n'a pas longtemps survécu à ce
dix-neuvième siècle dont elle a été l'une des plus nobles
MÉLANGES 107
et des plus belles figures. Elle occupait le trône d'An-
gleterre depuis soixante-trois ans et sept mois. C'est le
plus long règne de l'histoire anglaise. C'en est aussi l'un
des plus glorieux. " The victorian era," suivant l'ex-
pression des historiens, restera dans les annales du
peuple britannique comme une époque lumineuse où le
progrès sous toutes ses formes a fait des pas de géant.
Ce règne, durant lequel une reine, montée sur le trône
à dix-huit ans, y a fait briller les plus belles vertus
d'épouse et de mère ; sous lequel la Couronne a été la
gardienne fidèle et la plus sûre garantie des libertés
publiques ; au cours duquel ont brillé, à la tribune et
au Parlement, Sir Robert Peel, Brougham, Lord John
Eussell, O'Connell, Palmerston, Derby, Bright, Cobden,
Beaconsfield et Gladstone, dans les lettres, Macaulay,
Carlyle, Dickens, Thackeray, Eliot, Bulwer, Swinburne,
Tennyson, dans les sciences Earaday,Her3chell, etc., etc.,
un tel règne laisse derrière lui une trace ineffaçable et
une mémoire immortelle.
Dans notre pays, cette ère victorienne, commencée au
milieu des larmes et du sang répandus durant les som-
bres jours de 1837 et 1838, est devenue une ère de
paix et de développement national. Sous le sceptre de
la reine Victoria, le Canada a grandi et prospéré. En
1837 il ne se composait encore que de deux provinces,
séparées, et bouleversées par la guerre civile, le Haut-
Canada et le Bas-Canada. Maintenant il a pris les pro-
portions d'une vaste confédération, comprenant sept
provinces et d'immenses territoires, et il est considéré
comme l'un des plus beaux joyaux de la couronne
royale et impériale qui brillait, hier encore, au front de
notre souveraine. Pour nous Canadiens, de même que
108 MÉLANGES
pour les autres citoyens de l'empire britanuique, dans
l'ensemble des faits et des progrès réalisés, le règne de
la reine Victoria a donc été bienfaisant et glorieux.
Et pourtant ce règne mémorable sous tant d'aspects
est déjà une chose du passé. Un long et brillant chapi-
tre de l'histoire d'Angleterre a vu tourner son dernier
feuillet sous le doigt glacé de la mort. Encore une
époque terminée ! époque de progrès merveilleux, de
vie intense, d'hommes éminents dans toutes les sphères
de l'activité humaine ! Les historiens futurs de la gran-
deur anglaise parleront du siècle de la reine Victori;i,
comme leurs prédécesseurs ont parlé du siècle de la
reine Anne.
Quant à nous, le plus bel éloge que nous puissions
faire de notre reine défunte, c'est de nous incliner sur
sa tombe en répétant dans toute la sincérité de notre
âme : elle a été bonne. Bossuet, qu'il est si convenable
de citer devant le cercueil entr'ouvert d'une souveraine,
Bossuet a dit dans son immortelle oraison funèbre de
Condé : " Loin de nous les héros sans humanité ! ils
" pourront bien forcer les respects, et ravir l'admiration,
" comme font tous les objets extraordinaires ; mais ils
" n'auront pas les cœurs. Lorsque Dieu forma le cœur
" et les entrailles de l'homme, il y mit premièrement la
" bonté, comme le propre caractère de la nature divine,
" et pour être comme la marque de cette main bienfai-
" santé dont nous sortons... La grandeur qui vient par-
" dessus, loin d'affaiblir la bonté, n'est faite que pour
" l'aider à se communiquer davantage, comme une fon-
" taine publique qu'on élève pour la répandre. Les
" cœurs sont à ce prix." La reine Victoria l'a eue, dans
toute sa plénitude, cette vertu royale et humaine ; elle.
MÉLANGES 1 09
a été bonne, et elle a possédé les cœurs. Quelle plus
belle et plus touchante inscription pourrait-on graver
sur sa tombe impériale ?
L'histoire commence pour celle qui a été la reine
Victoria. Mais nous ne croyons pas que la royale
défunte ait beaucoup à redouter ses rigueurs. Sans
doute, cette justicière inexorable fera son partage habi-
tuel dans les événements et les hommes de ce grand
règne. Elle indiquera les ombres, à côté des splendeurs.
Elle remaniera peut-être les rangs et les renommées.
Elle revisera plus d'une réputation. Elle obscurcira cer-
taines figures et en remettra d'autres dans une lumière
plus vive. Elle cassera quelques-uns des jugements
rendus par nos passions contemporaines. Mais pour la
reine Victoria, nous croyons fermement que le jugement
du siècle sera ratifié par l'histoire, parce qu'elle a mis
sa gloire dans le sûr asile de la vertu.
Bien des milliers de fois, au cours de ce règne pres-
tigieux, des milliers de poitrines ont poussé ce cri de
loyauté et d'affection : God save the Queen. Et cette
parole était une acclamation.
Le temps des acclamations est passé. Elle est morte
aujourd'hui, cette Reine illustre et justement aimée.
Mais notre loyauté la suit au-delà de la tombe, et une
dernière fois, nous voulons redire, du fond de l'âme,
avec l'accent de la prière et de l'ardente supplication :
God save the Queen.
Critique et bibliographie.
FREDERIC OZANAM, SA VIE ET SES
ŒUVRES!
25 novembre 18&7.
Nous sommes vraiment confus de n'avoir pas encore
entretenu nos lecteurs de cette œuvre nouvelle.
L'écrivain condamné à remplir incessamment ce ton-
neau des Danaïdes, un journal quotidien, est bien sou-
vent privé des loisirs heureux qui permettent les travaux
littéraires, les études d'histoire et de critique, si pleins
de charmes et d'attrait. Il faut pardonner beaucoup au
journaliste, parce qu'il est beaucoup privé.
Le livre que nous avons sous les yeux, fort et beau
volume de six cents pages, est l'un de ceux pour les-
quels nous éprouvons une prédilection spéciale. Ces
études biographiques, où l'homme est étudié dans ses
œuvres, où la vie du héros a pour commentaire les
pages qu'a tracées sa plume, où le récit se fond avec la
citation, ont pour nous un charme très vif. C'est là
le grand attrait, par exemple, de cette galerie mennai-
sienne, Lamennais, Lacordaire, Montalemhert, Ger-
het et Salinis, qui, sans être des œuvres d'une origina-
1 — Frédéric Ozanam, sa vie et ses œuvres, par M. Pierre
Chauveau, fils ; Montréal, Beauchemin & Fils, 1887.
112 MÉLANGES
lité saisissante, ont donné tant de vogue à leur auteur,
Mgr Eicard.
Belle et pure figure que celle d'Ozanam ! Nous devons
savoir gré à M, Pierre Chauveau de l'avoir exposée à
l'admiration de la jeunesse canadienne.
Quel noble modèle ! Quelle éloquente carrière ! Apô-
tre de la science, des lettres et de la religion, Ozanam
offre en sa personne un éclatant exemple de la dignité,
de l'élévation, de la grandeur morale que donnent à
une vie l'amour de la vérité, la recherche du beau, et
la foi chrétienne manifestée par des œuvras.
Sans doute, la vie d'Ozanam n'est pas, aux yeux de
tous, sans quelques ombres. Ou peut croire qu'il a été
trop optimiste à l'égard de notre âge et des hommes du
siècle. 11 a passé à l'Ere Nouvelle en 1818. Il a eu
peut-être ce qu'on pourrait appeler l'illusion de la cha-
rité, qui na doit pas être confondue avec cette vertu
théologale.
Mais, encore une fois, ce ne sont là que des ombres.
Et cela n'enlève nullement à Ozanam son auréole de
fondateur de la société de Saint- Vincent-de-Paul, de
professeur savant et érudit, d'écrivain éloquent et char-
mant.
M. Chauveau a fort heureusement retracé cette phy-
sionomie douce et sympathique. Et, ce dont il mérite
d'être félicité, il a donné un résumé très nourri, une
analyse très complète de l'œuvre relativement considé-
rable d'Ozanam.
Ceux qui n'ont pas le loisir de savourer lentement
ces livres de forte substance, où la hauteur de la pensée
Je dispute à la beauté du style : Dante et la i^hiloso-
phie catholique, Les Poètes franciscains, les Etudes
MÉLANGES 113
germaniques, la Civilisation au cinquième siècle,
ceux-là n'ont qu'à lire consciencieusement Frédéric
Ozanam, sa vie et ses œuvres. Ils en sortiront avec
une idée parfaite de l'écrivain. Ils auront cueilli la
fleur de cet esprit délicat.
C'est l'honorable M. Chauveau qui, naturellement, a
présenté ce livre au public canadien dans une élégante
et attrayante préface.
Ce morceau est digne du biographe de Garneau, Il
nous offre une brillante esquisse de l'époque où vécut
Ozanam, ce milieu du siècle si tourmenté par le doute
religieux, la confusion philosophique, le trouble social.
Au cours de ces belles pages, écrites en un style pur où
se révèle la pleine et féconde maturité du talent, nous
sera-t-il permis de placer un point d'interrogation ?
M. Chauveau parle de la loi d'enseignement de 1850,
et des divisions malheureuses dont elle fut la source,
puis il ajoute :
" La question de l'enseignement des classiques vint
bientôt envenimer les différences résultant d'une simple
question d'opportunité entre ceux qui voulaient tout
ou rien, et ceux qui acceptaient quelque chose afin
d'avoir plus tard tout ce qu'ils désiraient."
Les mots par nous soulignés nous semblent trahir
une préférence nuancée de partialité. Tout ou rien,
est-ce bien là résumer avec justesse l'opinion défendue
principalement par Louis Veuillot, en 1850, mais sou-
tenue aussi par Mgr Parisis, approuvée par Donoso
Cortès, et partagée par un grand nombre de catholiques
éminents? L'Univers ne disait pas: tout ou rien; il
soutenait qu'on pouvait obtenir plus en sacrifiant moins.
Cette nuance indiquée, hâtons-nous de dire que la
8
114 MÉLANGES
préface de M. Chauveau est une des productions qui
font le plus d'honneur à sa plume. Il y a vraiment un
plaisir exquis à lire cette prose claire, correcte, harmo-
nieuse, cette prose française maniée avec tant d'aisance
par un écrivain canadien.
Nous voudrions pouvoir citer longuement. Choisis-
sons ce portrait d'Ozanam :
" Comme maître, il a tout pour lui : la force dans la
conviction et la douceur dans la méthode, la profondeur
de la science et l'élégance du style, les recherches labo-
rieuses et la facilité de la mise en œuvre, enfin, avec la
gravité dans la pensée, l'agrément et quelquefois même
l'enjouement dans l'expression ; et sur le tout quelque
chose de jeune, de suave et de mélancolique, qui ne
cesse d'attirer, de séduire et de retenir. Ceux qui le
lisent, comme ceux qui l'écoutaient, tombent vite sous le
charme et y demeurent."
Ce crayon n'est-il pas très réussi ?
Mais nous croyons en avoir assez dit pour convaincre
nos lecteurs que le livre de M. Pierre Chauveau, orné
de la remarquable préface qui lui sert de portique, a sa
place marquée d'avance dans toute bibliothèque cana-
dienne sérieuse.
LA VIE DE M. LE CURE PAINCHAUD
PAR M. N.-E. DIONNE
7 juillet 1894.
Nous venons, après beaucoup d'autres, offrir à notre
collaborateur, M. le Dr Dionne, nos cordiales félicita-
MÉLANGES 115
tions à l'occasion de son beau livre : Vie de M. C.-F.
Painchaud.
L'auteur étant presque de la maison, il convenait
peut-être que nous laissions parler les étrangers avant
de donner nous-même notre appréciation. Mais il ne
convient plus, lorsque tout le monde a applaudi, que
nous demeurions silencieux, et que nous ne rendions
pas hommage à la valeur d'un livre comme celui-là.
Pour dire notre pensée en deux mots, c'est une œuvre
absolument réussie. Tel est le verdict de tous ceux qui
l'ont lue, qui l'ont dévorée, devriiis-je dire.
M. Dionne avait une grande figure à retracer, une
grande mémoire à mettre dans une lumière complète :
la figure est là, vivante et parlante dans son cadre his-
torique, et la mémoire est désormais rayonnante d'une
gloire qui ne subira plus d'obscurcissements.
M. le curé Painchaud, missionnaire, apôtre, patriote,
fondateur, revit tout entier dans ces pages attachantes.
L'auteur lui a conféré cette résurrection merveilleuse
qui est le don des vrais historiens. Après avoir lu cette
biographie captivante, on connaît M. Painchaud, avec
sa forte volonté, avec son cœur ardent et sensible. On
le connaît, on l'admire, on l'aime, et le but du livre est
atteint : le fondateur du collège de Sainte- Anne entre
dans l'histoire écrite, avec cette auréole de sympathie,
de respect et d'admiration dont les fils de son œuvre
aimaient à entourer son front. Jusqu'ici, la gloire de
M. Painchaud était surtout une gloire de famille ; grâce
à M. Dionne elle devient une gloire nationale.
Nous en remercions du fond du cœur le distingué
biographe. Et nous sommes sûr d'être, en cela, l'inter-
prète de tous les membres de cette grande famille à
116 ' MÉLANGES
laquelle nous sommes fier d'appai tenir : la famille des
élèves de Sainte-Anne, M. Dionne, qui est l'un des
nôtres, a fait une œuvre filiale, en même temps qu'une
œuvre littéraire.
Mais il ne faut pas croire que l'intérêt de ce livre de
435 pages soit restreint aux souvenirs et aux affec-
tions d'un groupe, d'une maison. Non, l'auteur s'était
tracé un plus vaste programme. C'est toute une époque,
l'époque où M. Painchaud a vécu, qui est évoquée dans ce
volume. On y voit apparaître Mgr Plessis, M, Jérôme
Demers, M. Eaimbault, Mgr Panet, Mgr Signay, M.
Chartier, etc. ; le mouvement des esprits dans la première
partie du siècle, les difficultés et les controverses dii
temps, les événements religieux et politiques, et une
foule de détails qui jettent du jour sur cette période y
sont racontés avec un charme très vif. C'est là de l'his-
toire eu même temps que de la biographie.
Bref, M. Dionne a fait un beau livre, son meilleur
livre, dirons-nous, et ce n'est pas un éloge banal que
celui-là, décerné à l'auteur de Jacques Cartier, de
Samuel Champlain, de la Kouvelle- France, et d'un
grand nombre de monographies où l'érudition la plus
sûre est mise en œuvre par l'historien avec un talent
consommé.
M. Dionne a écrit dans la belle préface qu'il a mise
en tête de son livre":
" On raconte qu'Alexandre le Grand avait ordonné à
l'un de ces peuples qu'il subjuguait partout sur son pas-
sage triomphal, de lui ériger une statue pendant qu'il
irait soumettre l'Egypte. Or la loi mosaïque défendait
l'érection de statues ou toute représentation par la sculp-
ture. Que firent ces nouveaux esclaves ? Au retour du
IVIÉLANGES 117
fier conquérant ils lui présentèrent tous les enfants nés
durant son absence et auxquels ils avaient donné le nom
d'Alexandre.
" Prince, lui dirent-ils, voilà des statues vivantes ;
" elles diront votre grandeur et votre puissance plus que
" le marbre le plus fin."
" M. Painchaud n'a pas de statue ; il n'en a pas besoin
pour perpétuer sa mémoire à travers les âges futurs.
Les statues vivantes érigées à sa gloire, c'est tout ce qui
porte son nom et son empreinte. Son beau collège,
coquettement assis sur le flanc de la montagne ; les
trois cents prêtres qui y ont été formés ; les mission-
naires qu'il a fournis à l'Eglise ; les religieux des divers
ordres qui volent à la conquête des âmes ; les centaines
de laïcs à l'esprit chrétien, dont la société s'honore ;
enfin cette jeunesse studieuse et débordante de foi que
l'on retrouve à l'heure présente dans les murs bénis de
ce collège, où tout respire le bonheur et la paix."
M. Painchaud, disons-nous à notre tour, n'a pas de
statue, mais le livre de M. Dionne est un monument
élevé à sa mémoire et un monument plus durable
qu'une statue de bronze ou de marbre.
Et si l'auteur n'était pas si modeste, il pourrait se
dire, en songeant à la fois à son héros et à lui-même :
Exegi monumentum...
lis MÉLANGES
LE FORT ET LE CHATEAU SAINT-LOUIS
PAR M. ERNEST GAGNON
24 août 1895.
Voici l'une des plus remarquables monographies que
notre littérature canadienne ait produites. Remarquable
par le sujet, remarquable par l'exécution.
Le sujet c'est la résidence et la forteresse historique
qui a été le témoin de nos luttes, de nos épreuves et de
nos gloires, qui a vu défiler dans son enceinte la plupart
de nos illustrations nationales, fondateurs, gouverneurs,
généraux, intendants, prélats, et dont l'histoire est un
résumé de l'histoire même de la patrie canadienne.
Champlain, Moutmagny, Tracy, Frontenac, Callières,
Vaudreuil, la Galissonnière, Montcalm, Murray, Dor-
chester, Craig, Richmond s'y sont succédés tour à tour.
La guerre y a fait entendre ses puissantes rumeurs, la
paix y a tenu ses assises. Et sa destruction par le feu,
eu 1834, a créé dans toute la province une impression
de tristesse. C'était un des plus illustres monuments
de notre passé qui disparaissait.
Ce monument, M. Gagnon l'a fait renaître de ses
cendres et l'a pour ainsi dire réédifié. Il l'a fait appa-
raître à nos regards dans ses transformations succes-
sives. Il nous en a fait admirer les proportions impo-
santes, il nous a raconté son histoire éclatante et anec-
dotique, il l'a repeuplé de ses hôtes fameux, nobles
dames et puissants seigneurs, guerriers et diplomates,
jl lui a rendu la vie en reconstituant ses annales et ses
souvenirs.
MÉLANGES 119
Eemarquable par son sujet, cette monographie ne
l'est pas moins par son exécution. Ecrit dans un style
facile et châtié, ce livre met le sceau à la réputation de
son auteur. M. Gagnon, dont la modestie aime beau-
coup trop à se dérober, est un de nos meilleurs écri-
vains. Lettré, érudit, poète à ses heures, il a les dons
qui se complètent et se balancent : l'imagination et le
goût, l'imagination qui crée, et le goût qui choisit.
Comme critique littéraire nous ne lui connaissons pas
de supérieur parmi nos hommes de lettres. Et comme
érudit en matières historiques, cette étude savante et
fouillée sur le château Saint-Louis suffirait à lui faire
un nom.
Nous n'avons pas l'intention d'analyser ce livre ; il
est de ceux qu'un Canadien instruit veut lire d'un bout
à l'autre. Nous tenons cependant à signaler certains
chapitres, où l'abondance et la nouveauté des renseigne-
ments se manifestent surtout. Ainsi, le quatrième con-
tient sur la famille et la carrière de M. de Denonville,
l'un de nos gouverneurs français, des informations et
des détails absolument inédits. Le chapitre intitulé :
Les femmes an château sous le régime français, est
aussi du plus vif intérêt, et nous le recommandons spé-
cialement à nos lectrices.
Si l'on nous demande maintenant quelle est l'idée-
mère du livre, nous répondrons que nous croyons
l'avoir trouvée dans ses dernières lignes, que l'on nous
permettra de citer :
" Au point de vue intellectuel et moral, ce qui n'est
plus peut être encore quelque chose ; et c'est souvent
en étudiant le passé que l'on trouve la règle de l'avenir.
" Le passé, c'est l'explication de nos mœurs familiales
120 MÉLANGES
et publiques, c'est le fondement de nos espérances
nationales, c'est ce qui nous retiendrait dans le sentier
du patriotisme et du devoir si nous étions tentés de
mêler nos destinées à celle des peuples venus de tous
les coins du monde et dénués d'homogénéité qui habi-
tent la république voisine.
" La nation franco- canadienne est de trop noble lignée
pour consentir à oublier son histoire, à jeter au feu ses
livres de raison, à renoncer au rôle distinct qui lui a
éié assigné par la Providence sur cette terre d'Amérique.
Quelles que soient les éventualités qui nous attendent,
gardons le plus longtemps possible les traits caractéris-
tiques des familles canadiennes du dix-septième et du
dix-huitième siècles ; restons fidèles à notre génie par-
ticulier, n'acceptons que le progrès de bon aloi et mon-
trons-nous jaloux de donner à tous l'exemple de la
loyauté, du respect, de la franchise et de l'honneur."
Remettre en lumière quelques-unes des plus belles
pages, des plus nobles souvenirs, des plus sympathiques
figures de notre passé, tel a été le but de M. Gagnon
dans cette monographie que le patriotisme a inspirée.
Nous félicitons cordialement l'auteur, et nous espé-
rons qu'il reprendra bientôt la plume.
UNE ŒUVRE LITTERAIRE
5 juillet 1899.
M. Ludovic Brunet vient de publier un volume con-
tenant les principaux écrits de feu M. Edmond Paré,
MÉLANGES 121
avocat, de cette ville, l'un des directeurs de V Union
Libérale, journal fondé vers 1889, et qui dura trois ou
quatre ans.
Ce volume intitulé Lettres et opuscules, édité avec
luxe par MM. Dussault et Proulx, est d'une lecture
intéressante. M. Edmond Paré était vraiment un
lettré ; il avait du goût, de l'imagination, de l'origina-
lité. Son talent n'était pas de grande envergure et ne
lui aurait pas permis de créer des œuvres fortes. 11
avait surtout les dons du chroniqueur et du critique.
Mais, dans ce genre, il était parfois étincelant de verve
et d'humour.
Nous étions aux antipodes de M. Paré sur une foule
de sujets. Il y a dans ses Lettres et opuscules bien
des idées, bien des appréciations que nous tenons pour
fausses. Cependant, même lorsqu'il nous attaquait, nous
et nos amis, nous aimions à le lire, à cause de ses qua-
lités littéraires. Il avait de l'esprit, du trait, et s'il ne
faisait pas très souvent penser, il faisait presque tou-
jours sourire.
M. Paré était avant tout un fantaisiste, et il ne s'en
cachait pas. Son intelligence aimait à vagabonder loin
des grandes routes, à vaguer dans les sentiers et les che-
mins de traverse, ce qui a bien son charme, pourvu que
l'on sache toujours à temps retrouver sa voie. C'était
un esprit léger et délicat, ironique et teinté de scepti-
cisme, se moquant un peu de tout et parfois de lui-
même.
L'œuvre qu'il a laissée, pieusement recueillie par sou
ami M. Brunet, donne une juste idée de son talent.
C'est une suite de petites esquisses, de lestes croquis,
de courtes chroniques, très libres, très capricieuses dans
122 MÉLANGES
leur allure, souvent paradoxales, et se terminant parfois
à la diable, par un brusque arrêt, comme si le souffle
venait à manquer,
M. Brunet nous donne quelques traits bien dessinés
de cette physionomie singulière : " On trouve chez lui,
écrit-il, un sentiment de délicatesse, de goût cultivé jus-
qu'au raffinement, un détachement complet de tout ce
qui intéresse le vulgaire, symptôme d'un scepticisme
qu'il ne cachait pas, et trahissant chez lui un état d'âme
tout particulier et peu commun parmi nous."
A r Union Libérale M. Edmond Paré signait : " Fan-
tasio." Ce pseudonyme était vraiment emblématique.
Parcourez le volume des Lettres et ojmscules, c'est
la fantaisie qui en est la muse inspiratrice, et qui trace
en courant sur chaque page ses changeantes arabesques.
Une des particularités de ce jeune écrivain, si tôt
moissonné par la mort, est son éloignement pour la
campagne. Les charmes de la vie rurale le laissent assez
froid. C'est un citadin renforcé. " Savez- vous, écrit-il,
que j'aime encore mieux la ville que la campagne en
été. La campagne estagréable pour un jour ou deux ;
plus longtemps, elle est pour moi royalement ennuyeuse,
le soir surtout. L'immobilité des champs et le silence,
ce silence morne, étouffant, presque funèbre, que rend
sensible et comme palpable le bruit de la chute d'une
grenouille dans le ruisseau voisin, ou encore le mur-
mure lointain d'une rivière qu'on ne voit pas, me rem-
plissent l'âme de tristesse. Vous allez me répondre :
" Les champs offrent aux yeux des tableaux ravissants;
rien n'est plus beau que le soleil qui se lève au loin,
incendiant la forêt des reflets de l'aurore ; on respire à
la campagne un air pur et vivifiant. " Mais je vous
MÉLANGES 123
. ferai observer que le soleil ne se lève qu'une fois par
vingt-quatre heures, et qu'on ne peut s'occuper que de
respirer l'air pur. Il faut parler, agir, communiquer ses
idées. Si vous restez an village, c'est très bien. Seule-
ment ce village est cancanier en diable ; tous vos acteg,
toutes vos paroles sont observées et commentées ; c'est
assommant. Si, pour éviter cet inconvénient, vous allez
demeurer à une lieue du village, vous n'avez personne
avec qui vous pouvez sympathiser. Nos paysans sont
souvent intelligents, mais ne parlent que de ce qu'ils
connaissent: culture et engrais. Cela vous ennuie, vous
qui distinguez difficilement un champ d'avoiue d'un
champ de blé. "
Sans doute ceci est une charge, mais la charge suffit
à indiquer que l'auteur n'a nulle inclination pour les
bucoliques. Il a cela de commun avec beaucoup d'hu-
moristes qui restent insensibles au charme profond, à
l'attrait puissant, aux harmonies graves et douces des
champs, des eaux et des bois.
Un autre trait de M. Paré, c'est son peu de goût
pour la musique. " Les concerts peuvent avoir du bon,
dit-il, mais on en abuse. Moi d'abord, j'ai en horreur le
violon, le piano, l'orgue, la flûte, les instruments de cui-
vre, les tambours grands et petits, la h^rpe, etc., mais je
goûte assez les autres instruments. Je crois que ce sont
les anglais qui nous ont donné le goût de.^ concerts. Les
anglais vont aux cor.certs parce que ça coûte cher, parce
que c'est convenable, et pour d'autres raisons de ce
genre." Cette boutade, on en conviendra, n'accuse pas
un mélomane,
M, Paré est mort jeune. Faible, maladif, amoureux
du farniente et de la flânerie littéraire, nous eût-il donné,
124 MÉLANGES
s'il eût vécu, des œuvres plus travaillées et plus sub-
stantielles ? On peut en douter. Quoi qu'il en soit, ses
reliquiœ, que la main amie de M. Ludovic Brunet
nous offre aujourd'hui, le sauveront de l'oubli, et le
feront survivre auprès du petit nombre de ceux qui,
parmi nous, ont le culte des lettres et le goût des choses
intellectuelles.
Questions de morale littéraire.
LES RECLAMES DE SÉLECTEUR
11 juin 1885.
Nos lecteurs saveut surabondamment que l'Electeur
n'est pas scrupuleux en fait de réclames et d'annonces.
C'est ce journal qui, l'hiver dernier, publiait les avis de
l'Association maçonnique, et donnait l'hospitalité de ses
colonnes au Dirae Muséum, quatre ou cinq jours après
que l'Ordinaire eut défendu solennellement ces repré-
sentations.
Lorsqu'il s'agit de littérature Y Electeur ne se gêne
pas davantage et ne s'inquiète nullement de faire mous-
ser les ouvrages et les publications les moins recom-
mandables.
Son numéro d'hier contient une longue et bruyante
réclame en faveur d'un recueil littéraire dans le goût du
jour, c'est-à-dire dangereux et immoral. On peut juger
du caractère de cette revue, intitulée : La Vie popu-
laire, par l'aveu suivant qui échappe à ses maîtres.
" La Vie populaire est le plus actuel, le plus litté-
raire de tous les journaux de lecture. Elle paraît deux
fois par semaine, et contient tous les romans à succès
qui paraissent à Paris, tous les chefs-d'œuvre de la
littérature moderne."
126 MÉLANGES
Ainsi la Vie populaire publie tous les romans à
succès qui paraissent à Paris ! Mais pour une œuvre
indifférente, quatre-vingt-dix-neuf de ces romans à
succès sont des œuvres abominables. Romans à succès,
les œuvres d'Emile Zola ! Romans à succès, les récits
de George Ohnet ! Romans à succès, les livres de Jules
Claretie ! Romans à succès les mélodrames non dialo-
gues d'Albert Delpit! Et la plupart de ces ouvrages
sont remplis de sophismes, d'idées fausses, de tableaux
honteux.
C'est cette littérature pernicieuse que la Vie popu-
laire annonce au public, et c'est à cette littérature que
l'Electeur fait de la réclame.
L'annonce que nous avons sous les yeux ne laisse
aucun doute possible sur le caractère de cette revue.
Elle contient une liste des romans déjà publiés dans les
colonnes de la Vie populaire, " une quarantaine des
plus beaux romans modernes"; et parmi les titres
énumérés. Renée Maupérin par les frères Goncourt, et
YAhhé Tigrane, candidat à la papauté, par Ferdi-
nand Fabre. Or ces deux livres, que nous trouvons dans
la liste publiée par l'Electeur, sont des mauvais livres
dans toute la force du mot. Il suffit d'être un peu au
courant de la littérature contemporaine pour savoir que
les Goncourt, réalistes à outrance, n'ont reculé devant
aucune putridité, et que Ferdinand Fabre s'est fait une
spécialité des caractères ecclésiastiques dessinés au
crayon noir.
Voilà donc le genre de la Vie populaire, et voilà le
catalogue de livres que les abonnés de l'Electeur vont
trouver dans les colonnes de leur journal. Combien de
gens peu informés, séduits par cette réclame, vont être
MÉLANGES 127
exposés à se repaître de cette nourriture empoison-
née !
Que deviennent dans tout cela la dignité et la mora-
lité de la presse ? Pour de l'argent on publie tout.
Nous sommes débordés par les mauvaises lectures.
Dans notre humble opinion, c'est là un des grands
fléaux, un des grands dangers de la société canadienne
actuelle. Et malheureusement notre presse s'est consti-
tuée un des agents les plus actifs de cet empoisonne-
ment national. Grâce aux feuilletons, grâce aux réclames
coupables, la littérature daalsaine se retrouve partout ;
sur la table de famille aussi bien que sur le comptoir
des estaminets, dans les mains de l'écolier, et jusque
sous l'oreiller de la jeune fille,
■Nous n'écrivons pas ces choses pour le plaisir de les
îcrire. Ce sujet ne nous paraît guère agréable. Mais
n' lus ,'oyons remplir un des devoirs de notre état en
L: , ant le torrent qui entraîne notre leunesse vers
r scenrf . , , , , , . ./ ,,.
it ..duvaises lectures également meurtrières pour 1 ame
e^î^Btelligence,
Qu'on y prenne garde ! Il y a là une grave question
sociale ; et nous ne croyons rien exagérer en disant que
l'avenir de notre peuple au vingtième siècle dépend, en
grande partie, des lectures de la génération présente.
15 juin 1885.
L'Electeur répond à notre article au sujet de ses cou-
pables réclames, par des plaisanteries ineptes et des
badinages équivoques. Avec cette méthode il ne réussit
qu'à aggraver sa faute.
Le sujet ne prête pas du tout à la raillerie. Nous
128 MÉLANGES
avons reproché à V Electeur ses réclames pour une revue
dangereuse et de mauvais livres. Il ne s'en défend
nullement et continue à publier la réclame. Cela donne
la mesure de sa valeur morale.
Oui ou non, l'Electeur donne-t-il le concours de sa
publicité à une revue dangereuse ? Oui ou non, contri-
bue-t-il à populariser des romans honteux ? Le fait est
indéniable ; il suffit de jeter un coup d'œil sur la seconde
page de l'Electeur pour le constater. Qu'il supprime
donc le corps du délit, ou qu'il consente à passer pour
un corrupteur public. Il n'y à pas d'autre alternative.
L'organe libéral pose un faux principe lorsqu'il insi-
nue qu'il faut avoir lu un ouvrage pour avoir le droit
de le dénoncer. Nous n'avons jamais lu la Pucelle de
Voltaire, et cependant si l'Electeur prônait demain cet
ignoble poème, nous flétririons sa conduite aussi éner-
giquement que possible. yi' '..-s
titres
V. 't, G'. y
L'ECHO DES COULLSSES
2 novembre 1888.
On lisait l'autre jour dans l'Electeur la dépêche sui-
vante :
" New-York, 24 oct. — On donne de ce temps-ci au
théâtre Palmer la Dame aux Camélias d'Alexandre
Dumas, fils, interprétée par les artistes suivants :
Marguerite Gauthier Mme Hading.
Armand Duval M, Duquesue.
M. Duval M. Coquelin.
MÉLANGES 129
" Succès d'arti-stes, succès d'argent. Auditoire nom-
breux et surtout choisi. Dans les loges on remarquait
plusieurs princes de la finance, entre autres Wm. H.
Vanderbilt.
" Madame Hading s'est surpassée, et devant ce public
encore sous le coup du talent magique de Sarah Bern-
hardt, elle a créé une nouvelle Margiierite plus pis-
sionnée, plas syraiiatlàque encore que celle de ]^
grande artiste. Le long dialogue entre Du val père et
Marguerite, d'une longueur telle, qu'il faut s'appeler
Dumas ou Sardou pour oser le risquer, n'a pas langui."
Cette dépêche, qui est une véritable réclame, n'est
pas isolée dans les colonne» de V Electeur. Depuis quel-
que temps cette feuille semble avoir l'ambition de deve-
nir l'écho des coulisses, et le héraut des pièces risquées.
C'est une ambition malsaine et une œuvre démoralisa-
trice. De nos jours moins que jamais le théâtre n'est
l'école des mœurs, et le répertoire contemporain de la
scène française, en particulier, ne donne que trop de
prise aux justes censures de la religion et de la morale.
La Dame aux Camélias, d'Alexandre Dumas fils,
est précisément l'une des pièces les moins recomman-
dables du théâtre moderne. Elle a eu un succès de
scandale. Tiré d'un roman à l'index, comme tous les
romans d'Alexandre Dumas père et fils, elle ne dément
pas son origine et ne peut que fausser le jugement et
gâter le cœur.
Nous appelons l'attention ^qY Electeur q\x.v l'inconvé-
nient et le danger de publier des réclames en faveur
d'œuvres aussi malsaines. Vous dites à vos lecteurs que
madame Hading a créé une Marguerite plus passionnée^
plus sympathique que celle de Sarah Bernhardt. Or,
130 MÉLANGES
cette Marguerite du dramaturge est une femme perdue,
une héroïne du demi-monde.
La responsabilité des auteurs dramatiques contempo-
rains est terrible et lourde. Celle de la presse complai-
sante qui applaudit et recommande leurs créations n'est
pas moins redoutable.
L'Electeur n'est pas le seul journal qui manque de
scrupule sous ce rapport. Quelques-uns de nos confrè-
res de Montréal ne sont pas, eux non plus, assez sévè-
res. Nous avons lu dans le Monde et dans la Presse
des correspondances de New-York où l'on portait aux
nues des comédies extrêmement scabreuses.
Nous conjurons tous nos confrères d'écarter ces récla-
mes pernicieuses. Ce n'est pas la malveillance ni le
désir de poser au puritanisme qui nous font écrire ces
lignes. Mais nous sommes convaincu que les mauvais
livres et les mauvaises pièces comptent parmi les agents
les plus actifs de la décadence sociale, et nous souhai-
tons ardemment voir notre société canadienne se garder
de ces écueils.
LA LITTERATURE MALSAINE
8 mars 1891..
V Electeur de ce matin publie cette dépêche de Mont-
réal :
" On commence le 19 courant l'enquête dans une
cause pour libelle qui créera un vif intérêt dans le
public. Cette cause est celle de Filiatrault, éditeur
propriétaire du Canada-Revue, contre le révérend abbé
MÉLANGES 131
Gosselin, éditeur de la Semaine Religieuse de Québec.
Filiatrault a aussi intenté contre le même une action au
civil de 810,000 de dommages.
" Il paraît que le demandeur loue aux abonnés de
son journal des livres de sa bibliothèque moyennant un
dollar comme garantie du retour de ces livres, et que
M. l'abbé Gosselin l'a accusé dans la Semaine Reli-
gieuse de répandre de la littérature immorale parmi le
peuple et l'a appelé empoisonneur public.
" M. JFiliatrault prétend que, bien que sa librairie
contienne quelques ouvrages à l'index, il n'y en a pas
de plus immoraux que les romans de Dumas, père, et
que sa collection de livres est beaucoup plus morale en
proportion que celle de la bibliothèque paroissiale.
" M. l'abbé Gosselin a comparu devant le juge Des-
noyers et donné une caution de S200. "
Cette cause ne saurait manquer en effet de créer un
vif intérêt.
C'est une question de morale publique qui est en
jeu. Il s'agit de savoir si les tribunaux vont décider
que la presse n'a pas le droit d'attaquer la littérature
dangereuse, et de signaler au public la publication d'œu-
vres qu'elle croit pernicieuses.
Ce n'est pas simplement le cas de la Canada-Revue,
que nous considérons dans cette affaire. Nous n'avons
pas vu un seul numéro de cette publication. Mais c'est
la question de principe qui nous intéresse.
Comme journaliste nous affirmons notre droit de
dénoncer tels et tels ouvrages, recommandés ou publiés
par tel journal ou telle revue. C'est là notre droit ; bien
plus, c'est là notre devoir.
Un journal publie comme feuilleton VAssom^moir, ou,
132 MÉLANGES
si l'on veut quelque exemple moins brutal, Monsieur de
Camors de Feuillet, ou Indiana de George Sand, ou la
Comtesse Sarah d'Ohnet, ou Mensonges de Paul Bour-
get ; nous prétendons avoir le droit de dire au public :
prenez garde, ce journal publie une œuvre immorale et
fausse.
En un mot, les journaux, les revues qui veulent
publier des romans dangereux, doivent au moins être
soumis à la critique, sans que la justice leur accorde le
privilège d'empoisonner impunément l'âme de la jeu-
nesse.
Eeproduisez des œuvres mauvaises, si vous le voulez,
mais que ce soit à vos risques et périls.
M. l'abbé Gosselin a donc toutes nos sympathies dans
la cause importante qui va se plaider à Montréal. La
liberté de la presse, entendue dans son meilleur sens,
est en jeu dans ce procès, et nous avons l'espoir qu'elle
triomphera.
GARE LE POISON !
13 septembre 1892.
Nous lisons dans le Monde :
" La Bibliothèque Française, qui a laissé de si agréa-
bles souvenirs parmi la classe lettrée de notre population,
doit reparaître prochainement, considérablement amélio-
rée, revue, corrigée et augmentée, comme l'on dit en
termes de prospectus.
" Voici ce que la direction nous promet :
" Elle publiera tous les mois un volume contenant un
grand roman complet d'un des auteurs les plus en renom
MÉLANGES 133
en France, et reproduira les œuvres des écrivains les
plus éminents du siècle.
" Tous les ouvrages publiés par La Bibliothèque
Française serout d'une moralité incontestable et pour-
ront être mis dans toutes les mains."
Si le passé est un présage de l'avenir, voilà un nou-
veau danger pour le public canadien.
Cette Bibliothèque Française a publié et jeté dans la
circulation une masse d'ouvrages immoraux.
Eomans de George Ohnet, d'Octave Feuillet, d'Al-
phonse Daudet, etc., cette publication a vulgarisé tous
ces livres dangereux.
La voilà qui reparaît sur la scène. Nous l'attendons
à l'œuvre.
Mais, en attendant, nous crions : gare !
DEUX ROMANS FEUILLETONS
13 février 189i.
De mieux en mieux !
Us ne se gênent pas dans le choix de leurs feuilletons
nos confrères du Monde et de la Patrie !
Le Monde publie depuis des semaines Les trois Mous-
quetaires d'Alexandre Dumas, et son numéro de samedi
nous en apportait une page des plus épicées avec gra-
vure ad hoc.
Les lauriers du Monde empêchaient la Patrie de
dormir, et elle annonce à son de trompe qu'elle va
publier Monte-Christo :
" Alexandre Dumas est aujourd'hui à la mode et
chacun s'empresse de lire et de relire les œuvres de ce
134 MÉLANGES
conteur sans rival. Nous croyons devoir entrer dans
le mouvement en publiant, comme feuilleton, le plus
célèbre, le plus dramatique de ses livres : Le comte de
Monte- Christo.
" Il serait superflu de faire ici l'éloge de ce roman de
la bonne école qui a été soumis à la censure des lec-
teurs intelligents de tous les pays du monde et qui a
été proclamé comme l'œuvre principale du grand roman-
cier,
" Nous commencerons donc la publication de Monte-
Christo et nous attirons tout spécialement l'attention de
nos lecteurs sur ce fait important,"
On ne semble pas du tout se douter au Monde et à
la Patrie que tous les romans d'Alexandre Dumas sont
à l'index.
Ces romans ne sont pas seulement immoraux, ils sont
faux dans la donnée, les principes et les caractères, et
ils contiennent l'apologie de toutes les passions.
Donner aux lecteurs d'un journal une pareille pâture,
c'est faire une mauvaise action.
LES FARCES DE M. BEAUGRAND
21 février 1894.
Il vient de se produire à Montréal un incident qui
ne tournera certainement pas à la gloire de celui qui a
voulu s'en constituer le héros.
Nos lecteurs savent que le Monde publie depuis
quelque temps les Trois Mousquetaires d'Alexandre
Dumas, et que la Patrie annonçait, de sou côté, comme
MÉLANGES 135
son prochain feuilleton, Le comte de Monte- Christo, par
le même auteur.
De telles publications annoncées, ou en voie d'éxe-
cution scandaleuse, ne pouvaient manquer d'émouvoir
la sollicitude pastorale de Sa Grandeur Mgr l'archevêque
de Montréal.
Le Monde et la Patrie reçurent en même temps un
avertissement de leur Ordinaire. Le Monde n'a pas
rendu publique la communication qu'il a reçue ; mais la
Patrie a publié, dans son numéro de samedi, la lettre
suivante :
Archevêché de Montréal,
Montréal, 15 février 181)4.
A M. Honoré Beaugrand,
Directeur-propriétaire de La Patrie.
M. le Directeur,
Dans un de ses derniers numéros, votre journal
annonce la publication prochaine d'un roman d'Alexan-
dre Dumas: Le Comte de Monte- Christo.
Monseigneur l'archevêque de Montréal me charge de
vous informer que toutes les œuvres d'Alexandre Dumas
(père et fils) ayant été mises à l'index, (déc. 22 juin
1863), un catholique ne saurait les lire sans pécher
gravement et sans s'exposer à tomber sous les censures
de l'Eglise. C'est pourquoi, si votre journal, malgré cet
avis, publie Le Comte de Monte-Christo par Alexandre
Dumas, Sa Grandeur sera forcée de rappeler aux fidèles
les règles de l'Index à ce sujet.
Votre humble serviteur,
Alfred Archambeault,
Chancelier.
136 MÉLANGES
Qui pourrait trouver à redire à cette démarche de
l'autoriti? diocésaine ? Un journal annonce la publica-
tion d'un roman à l'Index. L'Ordinaire avertit ce
journal que cette publication ne peut être faite dans
une feuille catholique. Bien de plus correct ; l'évêque
en agissant ainsi, accomplit un devoir de justice et de
charité.
Mais M. Beaugrand a d'autres notions, tout-à-fait
spéciales, sur la juridiction, les devoirs, les pouvoirs et
le caractère de l'épiscopat. Et, en réponse à M. le cha-
noine Archambeault, il publiait dans la Patrie de
samedi une lettre qui est un chef-d'œuvre d'impudence
et de grossièreté, en même temps que l'acte d'insu-
bordination et de révolte contre les prescriptions de
l'Eglise, le plus scandaleux qu'un homme se disant
catholique ait commis depuis longtemps dans cette
province.
M. Beaugrand prétend que c'est un 'piège qu'il a
tendu à son archevêque, qu'il a voulu le faire tomber
dans un panneau, qu'il a fait un pari dont l'enjeu
était un panier de Champagne, et la condition un acte
de l'autorité diocésaine. En un mot M. Beaugrand
raconte que, voyant les Trois Mousquetaires publiés
par le Monde avec la permission de L'Ordinaire (?) il
a parié que la Patrie recevrait un monitum de l'évê-
ché si elle annonçait la publication de Monte-Ghristo.
Il faut citer cela :
" Tout cela est le résultat d'un pari. Une dizaine
d'amis intimes se trouvaient réunis chez moi, il y a une
quinzaine et nous devisions de choses et d'autres : de
théâtre et d'opéra, de littérature et d'histoire, de jour-
naux et de discipline ecclésiastique.
MÉLANGES 137
— Comment se fait-il, disait un camarade, que le
théâtre français fasse salle comble tous les soirs et que le
Monde ait la permission de l'Ordinaire de publier Les
Trois Mousquetaires de Dumas, alors que le Canada-
Revue a été censuré par mandement pour avoir annoncé
la publication du même ouvrage.
— Comment et pourquoi ? répondis-je. Tout bonne-
ment une question de politique, une question de rouge
et de bleu. Que la Patrie annonce demain un feuilleton
de Dumas père et je parie que l'Archevêché intervien-
dra dans les huit jours pour nous faire défense de
publier.
— Allons donc ! c'est de l'exagération. L'autorité
ecclésiastique n'osera pas intervenir contre la Patrie
alors qu'elle a accordé la permission au Monde.
— Je vous parie que si, répondis-je, et nous allons
tenter l'expérience dès demain en annonçant la publi-
cation du plus moral des livres de Dumas père, le
Comte de Monte-Christo. Vous verrez venir l'interdic-
tion dans la huitaine, sans cela je m'engage à vous
payer un panier de Champagne.
— Accepté — et le pari tient bon.
Et voilà, M. le Chanoine, pourquoi nous ne publie-
rons pas le Monte-Christo vous laissant le soin de décider
si j'ai perdu ou gagné mon pari."
Telle est l'histoire que nous raconte M. Beaugrand.
Accèptons-la comme elle nous est donnée, et voyons
sous quel jour elle nous montre le directeur delà Patrie.
Voici un directeur de journal soi-disant catholique,
qui se vante d'avoir voulu jouer un tour à son arche-
vêque, d'avoir tenté de discréditer son autorité, de le
livrer aux railleries des impies et des hérétiques, de
138 MÉLANGES
ruiner son prestige; en un mot, voici un catholique qui
se glorifie d'avoir voulu jeter un évêque en pâture au
mépris public.
C'est là le rôle odieux que veut se donner M. Beau-
grand.
Dieu merci, il a manqué son effet. En admettant que
son fameux pari ne soit pas une fable arrangée après
coup, il n'a pas atteint son but qui, d'après lui, était de
taxer Mgr l'archevêque de Montréal d'inconséquence
et d'injustice.
Le Monde n'avait pas reçu le visa de l'Ordinaire
pour la publication des Trois Mousquetaires. Il avait
prétendu que le roman tel que publié était une œuvre
refaite et émondée, et même à l'aide de ces représenta-
tions, il n'avait pas obtenu l'autorisation de publier ce
feuilleton. Dès que l'attention de l'Ordinaire fut appelée
sur la véritable nature de l'œuvre, le Monde reçut un
avertissement en même temps que la Patrie. Donc
l'autorité diocésaine de Montréal n'a pas deux poids et
deux mesures.
M. Beaugrand donne la politique comme raison dé
la partialité chimérique qu'il dénonce : le Monde est
un journal bleu, la Patrie un journal rouge ! Le Monde
un journal conservateur ! elle est bien bonne celle-là !
'Lq Monde a fait plus de mal au parti conservateur
depuis un an que la Patrie depuis cinq ans. Cette
finesse de M. Beaugrand est d'une jolie ineptie, on
l'admettra.
En somme M. Beaugrand, en voulant humilier son
archevêque, n'a fait de mal qu'à lui-même. Il a joué le
rôle d'un gamin qui rate sa gaminerie, et sa lettre qui
vise au persiflage spirituel n'est qu'une longue et plate
polissonnerie.
MÉLANGES 139
LA FAMEUSE ÉPITRE DE M. BEAU-
GRAND
22 février 1894.
A part les injures à l'adresse de son Ordinaire, l'épître
de M. Beangrand contient plus d'une perle.
En voici une qui jette beaucoup de lumière sur ses
prédilections en fait de littérature contemporaine :
" S'il m'était permis d'offrir des conseils à l'autorité
religieuse, au sujet de la question qui nous occupe, je
proposerais l'établissement d'une librairie archiépisco-
pale où tous les journaux du pays, anglais comme fran-
çais, seraient forcés d'acheter les romans qu'ils vou-
draient publier en feuilleton. Un saint prêtre, avec des
talents littéraires bien connus, — l'abbé Baillargé, par
exemple, — serait chargé de revoir, de corriger, de rogner
ou d'amplifier les œuvres d'Alphonse Daudet, de Jules
Claretie, de Hector Malot, de Paul Bourget, d'Emile
Richehourg, de Georges Ohnet, de Dumas père et fils,
de Balzac, d'Eugène Sue, en un mot de tous ces écri-
vains qui font la gloire de la France et le désespoir
de ceux qui, ayant la tournure d'esprit voulue, comme
les rédacteurs de la Vérité, du Courrier du Canada et
de la Minerve, trouveraient des obscénités, dans les
pages si orthodoxes de Jean de Calais ou de Geneviève
de Brabant. "
Ipse magister dixit, les écrivains qui font la gloire
de la France ce sont les Dumas, les Balzac, les Eugène
Sue, etc., c'est-à-dire des malfaiteurs intellectuels, qui
140 MÉLANGES
ont corrompu bien des cœurs, et rempli de leurs détes-
tables sophismes des multitudes d'intelligences,
Eugène Sue, le feuilletoniste du Juif- Errant et
des Mystères de Paris, où la thèse mensongère, calom-
niatrice et anti-sociale le dispute à l'immoralité des
tableaux ; Alexandre Dumas, père, l'un des plus grands
corrupteurs de ce siècle ; Alexandre Dumas, fils, l'apôtre
du divorce et du libre amour ; Balzac, l'initiateur du
réalisme et le théoricien de l'adultère ; George Ohnet,
l'auteur de La comtesse Sarah, Alphonse Daudet, l'au-
teur de Sapho, Paul Bourget, l'auteur de Physiologie
de l'amour moderne, tous ces empoisonneurs du roman
contemporain, voilà les maîtres de la Patrie, voilà les
grands écrivains que vénère M. Beaugrand et qu'il pro-
pose à l'admiration publique comme les plus pures
gloires de la France !
Il a du toupet, le journaliste-gavroche qui trouve
spirituel et convenable de jouer des tours — mal montés
— à son archevêque.
Au cours de son épître monumentale, monsieur Beau-
grand nous décoche ce trait mortel :
" J'allais oublier de dire qu'afin que personne n'en
ignore les mouchards et les Escobars qui rédigent le
Courrier du Canada et qui veulent singer l'inquisi-
tion des anciens jours, avaient dénoncé la publication
de Monte-Christo dans la Patrie, dans l'espoir d'attirer
sur nous les foudres ecclésiastiques. Notre innocente
supercherie va les faire rire jaune."
Non, Gavroche, il n'y a pas de mouchards ni d'Esco-
bars dans les bureaux du Courrier du Canada. Il n'y
a que des journalistes qui se battent toujours front levé
et visière découverte, qui ne dissimulent jamais leurs
MÉLANGES 141
couleurs, qui ne reculent point devant les préjugés, et
qui se font un vrai plaisir de fouailler les cyniques et
de balafrer la face insolente des marchands de pour-
riture.
Le Courrier du Canada a publié dans son numéro
du 13 février les lignes suivantes :
" De mieux en mieux !
" Il ne se gênent pas dans le choix de leurs feuille-
tons nos confrères du Monde et de la Patrie !
" Le Monde publie depuis des semaines Les trois
Mousquetaires d'Alexandre Dumas, et son numéro de
samedi nous en apportait une page des plus épicées
avec gravure ad hoc.
" Les lauriers du Monde empêchaient la Patrie de
dormir, et elle annonce à son de trompe qu'elle va
.publier Monte-Christo. On ne semble pas du tout se
douter au Monde et à la Patrie que tous les romans
d'Alexandre Dumas sont à l'Index,"
C'était notre droit de signaler la sereine impudence
avec laquelle des journaux catholiques offraient en
pâture à leurs lecteurs des œuvres mauvaises et cou-
damnées par l'Eglise,
Tous les romans d'Alexandre Dumas, père et fils, ont
été mis à l'Index in odium auctoris. Par conséquent
il est défendu de les publier et de les lire et il est
absurde de prétendre les expurger.
Une œuvre comme les Trois Mousquetaires ne s'ex-
purge pas. Pour assainir le livre il faudrait le brûler.
Et toutes les coupures du monde ne sauraient suspendre
l'interdiction décrétée par la congrégation de l'Index.
Ce n'est pas pour le plaisir haineux et méprisable de
nuire à des journaux hostiles que nous avons pris cette
142 MÉLANGES
attitude. C'est pour réagir une fois de plus contre le cou-
rant désastreux qui entraîne aux lectures meurtrières
un si grand nombre d'intelligences. C'est pour com-
battre ce fléau de la littérature dépravée, qui a conduit
la France à tant de décadences, et qui commence à exer-
cer en ce pays de si cruels ravages.
Et les injures du faiseur de tours qui dirige la Patrie
ne nous empêcheront pas de signaler le péril, chaque
fois que ce sera nécessaire.
Çà et là.
UN CARDINAL A QUEBEC
1659 — 1886
10 juin 1886.
" Sur les six heures du soir, arriva de France à
" Québec le premier vaisseau, qui nous donne un évê-
" que, avec M. Charni, le P. Lallemant et deux prêtres."
Ainsi s'exprimait le Père de Quen, dans le Journal des
Jésuites, le 16 juin 1659, il y a deux cent vingt-sept
ans.
Cet évêque, c'était François-Xavier de Laval-Mont-
morency, abbé de Montigny, titulaire in partibus infi-
delium de Pétrée, en Arabie, et vicaire apostolique de
Québec.
Il n'était pas attendu, cette année-là, dans la pauvre
colonie. Eien n'était prêt pour le recevoir. Les EE, PP.
Jésuites, les Dames de l'Hôtel-Dieu et les religieuses
Ursulines durent tour à tour lui donner l'abri de leur
toit, en attendant qu'il eut une résidence épiscopale.
Derrière lui, en France, il avait laissé de nombreuses
difiBcultés. Du côté de l'Etat, des parlements, qui s'in-
séraient alors volontiers dans les affaires ecclésiasti-
ques, des obstacles auraient surgi. On avait essayé
d'entraver l'action du Siège apostolique, que l'on accu-
144 MÉLANGES
sait d'avoir commis uu empiétement sur les privilèges
et les libertés de l'église gallicane.
Des juridictions jalouses avaient aussi tenté d'étouf-
fer dans son germe cette église de Québec, à laquelle la
Providence réservait de si glorieuses destinées. Mais
Eome l'avait emporté. A force de persévérance et de
fermeté, le Pape avait fait prévaloir ses vues ; et, au
lieu d'un évêque de Québec qui aurait été suffragant
d'un archevêque français, il avait nommé, de sa pleine
initiative et de sa suprême autorité, un vicaire aposto-
lique de la Nouvelle-France, relevant directement et
uniquement du Saiut-Siège. Uuion étroite de l'Eglise
de Québec avec l'Eglise de Ptomc, mère et maîtresse de
toutes les églises, voilà donc le sceau immortel dont les
premières pages de notre histoire religieuse portent la
glorieuse empreinte.
Mais en dépit de cette noble origine, quelle humilité,
quelle fragilité, et quels périls, au début de ce premier
épiscopat canadien ! Contestation de juridiction ecclé-
siastique, tracasseries et persécutions de gouverneurs
trop imbus des maximes césariennes, missions lointaines
et périlleuses, défaut de ressources pour les œuvres les
plus indispensables, tout se réunissait pour hérisser
d'obstacles la route de l'évêque de Pétrée, pour paraly-
ser et stériliser le présent, et pour compromettre l'avenir.
Deux siècles ont passé sur cette chrétienté naissante.
Jetons un coup d'œil sur ce qui se déroule en ce moment
à nos regards. Le frêle arbuste planté sur le roc de
Québec, a poussé des racines profondes et puissantes.
Battu par les orages, souvent courbé jusqu'au sol et
secoué par la fureur des vents, frappé quelquefois par
la foudre que sollicitent les sommets, il a grandi sous
MÉLANGES 145
les âpres morsures de l'aquilon. Sa cime s'est élevée
graduellement au-dessus des ruines et des décombres
que le temps accumulait autour de lui ; son tronc
vigoureux s'est couvert de branches florissantes; ces
branches ont porté des fleurs et des fruits, et, devenant
fécondes elles-mêmes, ont étendu leurs rameaux sur la
moitié d'un continent. Aujourd'hui, c'est un grand
arbre deux fois séculaire, qui met à l'ombre des peuples
entiers, qui porte sur son écorce durcie par les ans les
cicatrices glorieuses de ses combats, qui surabonde' de
sève et de vie, et voit pleuvoir sur sa tête les rosées et
les bénédictions du Ciel.
Deux siècles ont passé ! Deux siècles de luttes, deux
siècles de périls, deux siècles d'épreuves douloureuses,
deux siècles de crises, mais aussi deux siècles de vic-
toires ! Laval et Saint- Vallier ont sauvegardé la liberté
et la dignité de la mître contre les empiétements des
gouverneurs et des Conseils ; Briand et Plessis ont
déjoué les efforts tentés pour mettre le sacerdoce sous
la domination du trône ; et, aux deux époques, l'Eglise
canadienne a vu son indépendance triompher des embû-
ches semées sur ses pas.
Deux siècles ont passé! Laval a été nommé évêque
de Québec en 1674, par la nomination directe du Saint-
Siège, de qui le nouveau diocèse a relevé dès lors sans
intermédiaire. Plessis a fait échouer, en 1810, les intri-
gues de ceux qui voulaient mettre la main sur la nomi-
nation aux cures, et refusaient au représentant du Saint-
Siège la juridiction épiscopale indépendante, quant au
spirituel, de la Couronne anglaise.
En dépit du gallicanisme, comme de l'anglicanisme,
10
146 MÉLANGES
l'Eglise de Québec est restée étroitement unie au Siège
de Pierre.
Gloire en soit rendue à Dieu, il nous est donné
aujourd'hui de voir le sublime couronnement de ces
deux siècles marqués, d'un côté, par de si étranges vicis-
situdes, et, de l'autre, par une union si inaltérable et si
constante avec l'Eglise-mère. La main d'un pape s'est
étendue encore une fois sur le Canada catholique, pour
le bénir au nom du Christ, Mais, en se retirant, elle a
laissé sur nous un rayon de gloire qui nous désigne aux
regards de l'univers chrétien. Le quinzième successeur
de Laval, héritier de ses vertus et de son zèle apostolique,
est revêtu de l'auguste pourpre qui rappelle le sang des
martyrs et des confesseurs. L'évêque de Québec n'est
plus un pauvre vicaire apostolique à qui l'on dispute
sa juridiction, et qui doit lutter à la fois contre l'espace,
l'ignorance et la barbarie. C'est un prince de l'Eglise,
un des collaborateurs de son chef vénérable, un des
membres de cet illustre sénat qui fait les papes sous
l'inspiration de l'Esprit divin, et qui, uni au Pontife
Suprême, est l'administrateur et le directeur de l'empire
spirituel du monde.
Depuis trois jours, le Canada catholique, le Canada
tout entier, tressaille d'allégresse et de fierté. Le palais
de notre vénérable pasteur est assiégé par une foule
enthousiaste. Le représentant de notre très aimée Sou-
veraine en cette province, successeur des d'Argenson,
des Frontenac, et des Denonville, est allé saluer le
représentant du Pontife suprême, successeur des Laval
et des Saint- Vallier. Un parlement, qui possède parmi
ses attributions quelques-unes de celles de l'ancien
Conseil Souverain, a voulu rendre solennellement hom-
MÉLANGES 147
mage au nouveau prince spirituel, dont les prédécesseurs
participaient autrefois aux délibérations de ce corps
administratif.
C'est un grand spectacle que celui auquel nous assis-
tons depuis trois jours, un spectacle d'autant plus beau,
qu'il est plus inaccoutumé dans notre siècle. Le Canada,
qui entre aujourd'hui dans le concert of&ciel des gran-
des nations catholiques, donne en ce moment au monde
l'exemple d'un pays où l'Eglise et la patrie célèbrent
avec le même élan et le même enthousiasme un mémo-
rable événement religieux.
Honneur à Léon XIII qui nous a conféré cette gloire,
dont le pur éclat rayonnera dans nos annales. Honneur
à Mgr Taschereau, cardinal-archevêque de Québec, par
qui nous vient cette faveur insigne, et dont le nom
déjà historique acquiert un nouveau titre au respect de
la nation canadienne. Honneur et reconnaissance à cette
Eglise romaine, qui nous a enfantés à la vie religieuse,
qui nous a servi de boussole lorsque les nuages de l'ad-
versité assombrissaient notre horizon, et avec laquelle
nous voulons rester perpétuellement et indissoluble-
ment unis, jusqu'à la consommation de nos destinées
terrestres.
LE LAURIER YANKEE ET LE SIR WIL-
FRID BRITANNIQUE
4 septembre 1897.
Nous relisions ces jours-ci avec un vif intérêt le dis-
cours prononcé par M. Laurier au banquet donné en
148 MÉLANGES
son honneur, à Boston, par la Société Saint-Jean-Bap-
tiste de cette ville, le 17 novembre 1891,
Eien de plus instructif que ces lectures rétrospectives
qui mettent souvent eu pleine lumière bien des chan-
gements de front et des palinodies.
Dans le discours dont il s'agit, entre autres choses
M. Laurier disait :
" Il est des gens de mou pays qui disent qu'une fédé-
ration impériale, c'est-à-dire une fédération entre l' An-
gleterre et ses colonies, serait la meilleure alternative
ponr le Canada. En autant que la doctrine Monroe
est applicable au Canada, je suis en faveur de la doc-
trine Monroe. Je ne veux pas de l'intervention de
l'Europe dans nos affaires, et ce serait un suicide de la
part du Canada que de s'engager dans une fédération
qui le forcerait à prendre part à toutes les guerres que
la Grande-Bretagne, par suite de sa position, est con-
stamment obligée de soutenir dans les différentes par-
ties du monde. Cette considération seule suffit pour
détourner le peuple du Canada d'une telle idée. Ou
nous dit encore qu'on devrait établir une ligue entre
l'Angleterre et ses possessions en vertu de laquelle
nous ferions le commerce entre nous et l'empire britan-
nique, à l'exclusion du reste du monde.
" Je n'ai que ceci à dire au sujet de cette idée : elle
est absolument absurde. Je préfère le dollar yankee
au shilling britannique, surtout lorsque le dollar est si
proche et le shilling si éloigné. Si le commerce peut
être britannique et profitable en même temps, je n'ai
pas d'objection ; mais si le commerce pour être profi-
table doit être américain, je suis en faveur du commerce
américain."
MÉLANGES 149
Ainsi parlait M. Laurier à Boston en 1891.
Qu'aurait dit notre silver-tongued si, durant les fêtes
jubilaires, à Londres, au milieu de l'une de ses effusions
impérialistes, quelqu'un était venu lui jeter à la figure,
en présence de son auditoire anglais, cette parole de son
discours de 1891 : " en autant que la doctrine Monroe
est applicable au Canada, je suis en faveur de la doc-
trine Monroe ; " ou cette autre : " je préfère le dollar
yankee au shilling britannique ? "
Qu'aurait-il dit si on était venu lui rappeler qu'en
1891 il protestait contre une union plus intime entre
l'Angleterre et ses colonies, il repoussait l'idée de rela-
tions commerciales plus étroites entre celle-ci et la
métropole.
Sir Wilfrid, si anglais — " british to tlie core " — en
1897, était bien américain en 1891 !
Cela démontre que notre premier-ministre est terri-
blement ondoyant et divers, qu'il n'a guère de fixité,
guère de suite dans ses doctrines, qu'il est variable et
changeant plus que de raison dans ses opinions et ses
programmes.
Le Laurier yankee de 1891 a fait place au Sir
Wilfrid Laurier anglais et impérialiste de 1897.
Que sera notre mobile grand homme dans deux ou
trois ans ?
CAVOUR ET LAURIER
30 mai 1898.
Sir Wilfrid Laurier, notre premier-ministre, vient de
prononcer un éloge funèbre de M. Gladstone, que ses
150 MÉLANGES
thuriféraires portent aux nues. C'est un chef-d'œuvre,
s'écrient eu chœur les chauffeurs de l'enthousiasme
ministériel, jamais l'éloquence canadienne ne s'est élevée
aussi haut.
Au risque de passer pour un fâcheux, nous voulons
remettre un peu les choses au point. Nous avons lu et
relu attentivement le dernier morceau oratoire de sir
Wilfrid Laurier. Ce n'est point une pièce sans valeur ;
elle est travaillée, trop travaillée peut-être, elle est
sonore, elle brille par la variété et le choix des épithètes,
elle a du mouvement et de l'éclat. Mais il lui manque
une qualité essentielle, la mesure, et une autre non
moins importante, la simplicité. A notre gré, M. Laurier
a déjà fait beaucoup mieux. Son mémorable éloge de
sir John Macdonald, en 1891, l'emporte de beaucoup
sur cet éloge de Gladstone.
Mais nous n'avons pas pris la plume pour écrire un
article de critique littéraire. Nous l'avons prise pour
faire entendre une protestation indignée contre l'inso-
lente admiration que sir Wilfrid Laurier n'a pas eu
honte de professer envers l'un des plus grands malfai-
teurs politiques que notre âge ait connus.
Le premier-ministre a voulu magnifier son héros en
le comparant à trois grandes figures contemporaines ;
et pour compagnons de gloire il est allé lui choisir Bis-
marck, Lincoln et Cavour !
Ne disons rien de Bismarck et de Lincoln, quoique
le premier ait bien des tares dans la renommée que lui
a valu son brutal génie, et qu'il ait manqué au second
bien des éléments de grandeur. Arrivons à Cavour, et
disons sans ambages à M. Laurier, ce que nous avons
sur le cœur.
MÉLANGES 151
Voici ses paroles :
" Ce dernier demi siècle dans lequel nous vivons, a
produit bien des hommes fortement doués, qui, dans
différentes sphères, ont attiré sur eux l'attention du
monde. Mais parmi les hommes qui ont illustré cet âge
il me semble qu'aux yeux de la postérité, quatre vont
survivre à tous les autres et les éclipser. Cavour, Lin-
coln, Bismark et Gladstone. Si nous considérons sim-
plement la grandeur des résultats obtenus comparée à
l'exiguité des moyens, si nous nous rappelons que du
petit royaume de Sardaigne est sortie l'Italie une, nous
devons en conclure que le comte de Cavour était incon-
testablement un homme d'Etat d'une habileté et d'une
prescience merveilleuses."
Ainsi, M. de Cavour, ministre de Victor-Emmanuel,
est, aux yeux de M. Laurier, l'un des quatre plus grands
hommes de notre âge ! Eh bien, cette audacieuse et
mensongère apothéose ne passera pas, sans que nous
ayons au moins fait entendre un cri de réprobation.
Ouvrons l'histoire de notre temps. Le nom de Cavour
est inscrit en sombres caractères sur quelques-unes de
ses pages les plus honteuses. Ce premier ministre du
Piémont a eu pour suprême habileté la déloyauté et la
perfidie. Fourbe, intrigant, calomniateur, spoliateur
sans scrupule et sans foi, il a édifié sur le mensonge,
sur le vol et sur l'iniquité un édifice politique dont les
assises sont déjà chancelantes.
C'est Cavour qui s'est servi, avec une scélératesse
consommée, de la fameuse formule : " l'Eglise libre dans
l'Etat libre."
Voici en quels termes écrasants Mgr Dupanloup a
jugé l'homme et son œuvre dans sa brochure : " La
152 MÉLANGES
convention du 15 se]ytembre et V Encyclique du 8
décembre " :
" Et d'abord " l'Eglise libre dans l'Etat libre." L'Eglise
libre, c'est pour le Piémont, depuis quinze ans : tous
les biens de l'Eglise confisqués ; les ordres religieux
supprimés; les religieuses jetées dans la rue; les évê-
ques en prison ; les clercs soumis à la conscription ;
les évêchés vacants ; les immunités ecclésiastiques,
stipulées par un traité, abolies ; la loi Siccardi, votée
aux cris de : Vive Siccardi ! A bas les 'prêtres ! La
loi sur le mariage civil, votée, le 5 juin 1852, malgré le
Pape, malgré le concordat, malgré les évêques...
" M. de Cavour s'aboucbait avec les chefs des sociétés
secrètes, et traçait de concert avec La Farina, président
de la Société Natiouale, tous les plans des futures révo-
lutions, en prenant soin toutefois de lui dire : " Vous,
vous n'êtes pas ministre, vous pouvez agir librement :
mais sachez que si je suis interpellé à la Chambre, ou
molesté par la diplomatie, je vous renierai ". — Tels
sont les " moyens moraux " que M. de Cavour mit au
service de " ses aspirations nationales " ; et le " droit
nouveau " qu'il inventa...
" Après les " Ptévolutions " et les " Annexions "
vinrent les " Invasions." Tous les voiles ont été levés
sur l'expédition de Garibaldi. Tout le monde sait que
M, de Cavour désavoua Garibaldi devant la France et
devant l'Europe ; il écrivit même au roi de Naples que
des vaisseaux sardes partaient pour arrêter l'aventurier,
— Et c'est lui qui l'envoyait
" Alors M. de Cavour, triomphant, déclara du haut
de la tribune piémontaise, que ces mémorables événe-
ments étaient " la conséquence nécessaire de la politique
MÉLANGES 153
piémontaise depuis douze ans ; " et enivré de ses succès,
s'écria enfin, jetant ce défi à notre armée, à notre parole
et à notre politique déclarée : " Il nous faut Rome pour
capitale, et nous y serons dans six mois."
" Et le parlement, sanctionnant cette déclaration par
un vote solennel, proclama Eome capitale de l'Italie.
(29 mars 1861).
" Voilà l'homme et voilà le gouvernement, qui, quel-
ques mois après, ouvraient avec le gouvernement fran-
çais les négociations qui ont abouti à la convention du
15 septembre."
Telle est la vraie figure de ce Cavour, que sir Wilfrid
Laurier a exalté comme l'un des quatre plus grands
hommes de notre époque.
Ah ! si le premier-ministre avait le sens catholique,
jamais une telle parole ne serait venue se placer sur ses
lèvies. Cavour a été, dans notre siècle, un des plus mal-
honnêtes, un des plus perfides et un des plus pervers
ennemis de l'Eglise. Durant sa campagne pour l'uni-
fication de l'Italie et contre le Pape, il a introduit dans
la diplomatie des procédés et des tactiques misérables
qui feront la honte de notre âge. Et M. Laurier lui
dresse un piédestal.
Ce que vous avez glorifié dans la personne de Cavour,
sir Wilfrid, c'est le mensonge, la déloyauté, la mauvaise
foi, l'hypocrisie, la violence et la rapine. Ce sont les
Légations et la Romague, les Marches et l'Ombrie
volées au Saint-Siège. C'est Garibaldi soutenu dans ses
invasions de bandit contre les Etats catholiques. C'est
Castelfidardo et Lorette, Lamoricière écrasé dans un
guet-à-pens, Pimodan tué à la fleur de l'âge et de
l'héroïsme, les soldats du Pape égorgés, Ancône bom-
154 MÉLANGES
bardée, les Etats de l'Eglise inondés de sang et couverts
de ruines, en pleine paix, au mépris du droit naturel et
du droit international.
Voilà l'œuvre dont sir Wilfrid Laurier a osé célébrer
le souvenir dans le Parlement canadien.
Si le premier-ministre voulait entrer dans la voie,
toujours épineuse, des comparaisons, que n'a-t-il choisi
ses modèles dans des sphères plus hautes et plus pures ?
Dieu merci, notre âge a connu des grands hommes d'une
autre stature et d'une autre valeur morale que celle du
piémontais Cavour. Sir Wilfrid aurait pu choisir entre
les O'Connell, les Manning, les DonosoCortès.lesWind-
thorst ou les Garcia Moreno, qui tous ont mieux servi
que Cavour la société, la vérité et l'humanité. Il aurait
pu surtout faire rayonner la pure et éclatante figure de
cet homme au génie profond et lumineux, à la vaste
science, maître dans les lettres et dans la diplomatie la
plus haute, penseur, écrivain et politique sans supérieur,
qui, (le l'aveu des incroyants comme des croyants, s'il
n'était pas le vicaire de Jésus-Christ sur la terre, serait
encore le plus grand des contemporains. Nous avons
nommé Léon XIII.
Léon XIII et Cavour ! Et, aux yeux de Sir Wilfrid,
Cavour plus grand que Léon XIII !
Pauvre M. Laurier ! Comme l'homme véritable se
démasque souvent chez lui ! Et comme le fond du cœur
paraît vite, lorsqu'il oublie son rôle !
Nous connaissons depuis longtemps les admirations,
les prédilections de M. Laurier. Nous savons de vieille
date quelle est la galerie de ses grands hommes. Et son
apothéose de Cavour n'est qu'une illustration nouvelle
de ses tendances et de sa formation intellectuelle et
politique.
MÉLANGES 155
LE COMTE DE FRONTENAC
1698 — 1898
28 novembre 1898.
Il y a deux cents ans aujourd'hui, expirait à Québec
un homme qui, depuis un quart de siècle, remplissait
de sa grande figure et de son nom retentissant toute
l'Amérique Septentrionale. Cet homme, avec des res-
sources restreintes avait conduit et fait réussir des entre-
prises considérables ; avait vaincu des flottes et des
armées redoutables, relevé et soutenu un pays qu'il avait
trouvé sur le " penchant de sa ruine " ; avait conquis
un irrésistible ascendant, mélange de crainte et d'admi-
ration, sur les nations guerrières des grands lacs ; avait
couvert de gloire et de prestige le drapeau de la France,
et fait parvenir l'écho de ses merveilleux exploits jus-
qu'à Versailles, au milieu des splendeurs triomphales du
grand règne. Si le drapeau blanc flottait encore sur les
hauteurs de Québec, s'il y avait encore une Nouvelle-
France, on le devait à cet illustre mort qui s'était
appelé haut et puissant seigneur Louis de Buade, comte
de Palluau et de Frontenac, gouverneur et lieutenant-
général de la Nouvelle-France.
Quelle physionomie originale et attachante que celle
de ce guerrier et de cet administrateur ! Avec ses défauts
et ses qualités, avec ses erreurs et ses éclatants servi-
ces, il captive l'imagination et commande la sympathie ;
et son histoire constitue l'une des pages les plus bril-
lantes de DOS annales.
156 MÉLANGES
C'était avant tout un lutteur. Il était fait pour les
temps de crise, et c'est au milieu des périls que ses
fortes qualités se déployaient surtout avec efiScacité.
Le terre-à-terre de la vie administrative ne lui allait pas,
et sa combativité, ardente jusqu'au milieu des glaces
de l'âge, le poussait dans cette sphère à de fâcheux
extrêmes. Mais que le pays fût menacé par l'Anglais
ou l'Iroquois, que les sombres nuages s'amoncelassent
à l'horizon de la Nouvelle-France, et le vieux soldat
des guerres de Crête et d'Italie grandissait jusqu'aux
proportions héroïques.
C'est ainsi que nous le montre la statue d'Hébert,
qui restera pour la postérité sa représentation idéale,
puisque nous n'avons pas son vrai portrait. La bouil-
lante valeur, le défi, l'assurance du succès, l'inspiration
guerrière revivent dans ce bronze artistique qui orne la
façade de notre Palais législatif. Le Frontenac de nos
vieilles annales, le voilà ! Et son geste sculptural noua
donne presque l'illusion de l'accent avec lequel il jeta à
l'envoyé de Phipps cette célèbre parole : " Allez dire à
votre maître que je vais lui répondre par la bouche de
mes canons."
En 1690, Frontenac a véritablement été le sauveur
de la colonie. Et cette grande action a jeté un manteau
de gloire sur les fautes dont sa carrière ne fut pas
exempte. Après tant de pages écrites sur lui, cette
appréciation de Charlevoix reste encore la meilleure :
" Il mourut comme il avait vécu, chéri de plusieurs,
estimé de tous, et avec la gloire d'avoir, sans presqu'au-
cun secours de France, soutenu et augmenté même une
colonie ouverte et attaquée de toutes parts, et qu'il avait
trouvée sur le penchant de sa ruine. Il paraissait avoir
MÉLANGES 157
un grand fonds de religion, et il en donna constamment
jusqu'à sa mort des marques publiques. On ne l'accusa
jamais d'être intéressé ; mais on avait de la peine à
concilier la piété dont il faisait profession, avec la con-
duite qu'il tenait à l'égard des personnes contre les-
quelles il s'était laissé prévenir, L'âcreté de son humeur
un peu atrabilaire, et une jalousie basse dont il ne se
défit jamais, l'ont empêché de goûter tout le fruit de
ses succès, et ont un peu démenti son caractère, où il y
avait de la fermeté, de la noblesse et de l'élévation.
Après tout, la Nouvelle-France lui devait tout ce qu'elle
était à sa mort, et l'on s'aperçut bientôt du grand vide
qu'il y laissait."
La fin de Frontenac fut celle d'un chrétien. Il fit
son testament le 22 novembre devant maître Eageot et
Genaple, notaires à Québec, Il intimait sa volonté d'être
inhumé dans l'église des Récollets, dont il avait été le
syndic apostolique. Il laissait à ces religieux, pour qui
ses prédilections avaient toujours été très marquées,
quinze cents livres à charge de célébrer pour le testateur
une messe quotidienne pendant un an, puis à perpétuité
un service anniversaire à la date de sa mort, ce service
devant être pour le repos de son âme et de celle de Mme
de Frontenac, après la mort de celle-ci.
Il ordonnait aussi de mettre son cœur dans un coffret,
qui devrait être placé dans une chapelle de l'église
Saint-Nicolas-des-Champs, à Paris, où se trouvaient
déjà les restes mortels de Mme de Montmort, sa sœur.
Il léguait à M. de Champigny, l'intendant, avec qui il
avait eu de violents conflits, un crucifix de bois de
calambourg, et un reliquaire à Madame de Champigny.
L'apaisement se faisait au seuil du tombeau. Mgr de
158 MÉLANGES
Saint- Vallier, qui avait eu à soutenir plus d'une lutte
avec le gouverneur, était venu souvent le visiter. Enfin,
après avoir reçu les derniers sacrements de la main du
Père Olivier Goyer, il expirait le 22 novembre 1698,
à l'âge de soixante-dix-huit ans.
Nous sommes aujourd'hui au deuxième centenaire
de sa mort. Et après deux siècles sa mémoire et ses
hauts faits sont vivants parmi nous. Sa statue trône
majestueusement au fronton de notre Palais législatif.
Un château, qui porte son nom glorieux, a surgi sur
la cime du rocher d'où il lança à l'amiral Phipps son
immortelle apostrophe, tandis qu'à deux pas se dresse
le monument où Champlain vient d'apparaître, dans
une apothéose, à nos regards émus. Dualité frappante,
qui nous montre le fondateur et le sauveur de la Nou-
velle-France unis dans la reconnaissante admiration de
la postérité !
Nous n'avons pas voulu laisser passer ce deuxième
centenaire sans le saluer de la plume et du cœur, nous
souvenant que le culte des gloires de la patrie est un
des éléments de la grandeur nationale.
LA SAINT-JEAN-BAPTISTE
24 juin 1899.
Lundi, la fête nationale sera célébrée solennellement
à Québec. C'est un beau jour pour nous tous, un jour
de publique allégresse et de fortifiante émotion.
On se demande parfois, et plusieurs de nos journaux
MÉLANGES 159
se sont posé cette question depuis quelques jours : à
quoi bon ces démonstrations patriotiques, si elles n'abou-
tissent pas à un résultat pratique, tangible ? Nous ne
sommes pas absolument de cet avis. Sans doute, si l'on
peut arriver, un jour de Saint-Jean-Baptiste, à fonder
une œuvre utile, à créer, par exemple, un mouvement
de colonisation sérieux et entouré de toutes les garan-
ties de succès, c'est à merveille. Mais nous croyons
cela difficile. Et l'expérience du passé nous paraît
démontrer que ce n'est guère un jour de célébration
nationale que l'on peut espérer organiser une entre-
prise. Certes on peut jeter des germes, semer des idées,
ouvrir des horizons ; mais faire vraiment des affaires le
jour de la Saint- Jean-Baptiste, cela nous paraît un peu
problématique.
Il ne faudrait pas oublier que la Saint-Jeau-Baptiste
est une fête, et pas autre chose. C'est une fête qui, dès
l'origine, a eu pour unique objet d'évoquer nos grands
souvenirs, de resserrer nos rangs, d'alimenter dans les
âmes la flamme patriotique. Raviver la foi nationale,
rapprocher les cœurs, imposer une trêve aux dissen-
sions, produire une détente dans les combats de partis,
élever les esprits au-dessus des mesquins intérêts du
moment, et par-dessus tout faire aimer la patrie, voilà
le but de la Saint-Jean-Baptiste. Il est grand, il est
noble, et, même si elle ne produit pas d'autre résultat,
nous disons que cette fête n'est pas inutile.
Si, en outre, on parvient ce jour- là à faire du pratique,
suivant le terme consacré, tant mieux. Mais notre fête
nationale a sa raison d'être sans cela. Quand bien même
elle s'écoulerait tout entière sans que nous sortions un
instant de l'idéal, nous en sommes encore, nous en
160 MÉLANGES
sommes quand même. Il y aura toujours assez de prose
sur la terre, et il est pour les peuples des aliments plus
dangereux que l'idéal. Elevons ce jour-là nos esprits et
nos cœurs; comprenons qu'en dehors de nos conflits
passagers, il y a des principes immortels qui doivent
nous tenir unis, et que nous avons un trésor commun à
défendre ; oublions un peu nos rancunes ; pénétrons-
nous des enseignements lumineux de notre histoire. Et
si nous entrons bien dans cet ordre d'idées et de senti-
ments, le 24 juin ne sera pas un jour stérile.
Donc, lundi, drapeaux au vent, feuille d'érable à la
boutonnière, et vive la patrie canadienne !
SUR LA. TOMBE DU XIXème SIECLE
31 décembre 1900.
Un siècle expire ; un siècle naît !
Oui, nous assistons à la transition solennelle d'une
période séculaire à une autre. Et malgré tout ce que
l'on pourra dire sur ce qu'il y a de conventionnel
dans cette division des âges et dans cette classification
du temps, nous ne pouvons nous empêcher de ressentir
profondément la spéciale gravité de l'heure que nous
traversons.
Sans doute, il n'y aura rien de vraiment changé dans
le monde, dans les conditions politiques et économi-
ques des peuples, parce qu'un nouveau millésime aura,
demain, remplacé celui dont nous datons aujourd'hui
cette feuille éphémère. Lorsque le timbre de nos hor-
MÉLANGES 161
loges aura sonné cette nuit, son douzième coup, il ne
se produira pas assurément de changements à vue dans
l'univers. Mais il n'en est pas moins incontestable que
certaines évolutions nationales, religieuses, sociales, com-
mencées silencieusement dans la dernière période du
siècle qui finit, s'achèveront avec éclat durant le cours
du siècle qui va s'ouvrir.
Que l'on crie à la convention tant que l'on voudra,
on n'empêchera pas que la succession des événements,
l'orientation des idées, l'action des doctrines, la nature
du mouvement intellectuel, l'enchaînement logique des
faits sociaux et politiques, ne donnent à l'ensemble de
telle ou telle période séculaire une physionomie carac-
téristique,ne lui confèrent une sorte de prodigieuse entité,
ne lui constituent une personnalité grandiose et mysté-
rieuse, et que l'histoire humaine ne fasse un grand pas
lorsque cette personnalité s'évanouit dans le gouffre du
passé !
Que l'on crie à la convention tant que l'on voudra,
on n'empêchera pas qu'il n'y ait eu un siècle des Croi-
sades, un siècle de la Kenaissance et de la Eéforme, un
siècle de Louis XIV, un siècle de l'Eucyclopédie, et que
chacun d'eux ne nous apparaisse nettement avec sa
figure distinctive !
Que l'on crie à la convention tant que l'on voudra,
on n'empêchera pas, enfin, qu'il n'y ait eu un dix-neu-
vième siècle, siècle de transformation et de tempêtes,
de lutte entre le doute et la foi, de progrès scientifique
et de conflits sociaux ; que ce siècle dans lequel nous
sommes nés et nous avons grandi, dont nous avons
respires à pleins poumons la brûlante atmosphère, dont
nous étions habitués à prononcer le nom avec le nôtre,
U
162 MÉLANGES
ne soit tout à l'heure un siècle mort, auquel nous
aurons survécu pour être jetés dans le courant inconnu
d'un siècle nouveau !
Non, ce passage d'un siècle à un autre n'est pas une
chose banale ! Voir finir sous nos yeux une époque his-
torique, lui voir prendre sa place définitive dans les
longues annales de l'humanité, cela produit sur l'ima-
gination et sur la pensée une impression très vivace et
bien naturelle !
Le voilà donc terminé ce tumultueux, cet orageux,
ce brillant et complexe XIXe siècle. Quelle carrière
dramatique et mouvementée il a fournie ! Il naît au
bruit d'un régime qui s'écroule, et le fracas des batailles
retentit autour de son berceau. Sa première période se
résume tout entière dans le duel prodigieux d'un homme
contre le monde, dans la lutte gigantesque de Napoléon
contre les rois et les peuples. Quinze ans les pages de
cette merveilleuse et sanglante épopée s'écrivent à coup
de sabre et de canon. Puis le colosse tombe sous le
souffle de Dieu, dont il a été l'instrument providentiel;
il va mourir au milieu des flots, sur un rocher solitaire,
et sa pathétique agonie, sa tombe lointaine autour de
laquelle l'Océan monte la garde, font entrer dans la
légende son nom qui remplissait déjà l'histoire.
A l'autre extrémité du siècle une autre grande figure
nous apparait. Elle est moins éblouissante, moins domi-
natrice, moins fascinatrice peut-être, mais plus pure,
plus noble, plus attachante dans sa rayonnante et sereine
majesté. Léon XIII, captif dans son palais, mais roi du
monde par la hauteur de son génie aussi bien que par
la sublimité de sa mission et de son autorité surnaturelle.
Léon XIII fermant le siècle ouvert par Napoléon, quel
spectacle et quel contraste !
MÉLANGES 163
Si VOUS laissez votre pensée voler de l'un à l'autre,
elle est saisie par la grandeur et la multiplicité des
événements: révolutions, guerres, conquêtes, déplace-
ment des centres d'action, conflits de races, de croyances
et de doctrines ! Ah ! les nations n'ont jamais vécu une
vie plus intense et plus ardente que pendant les cent
ans qui seront terminés ce soir !
Mais enfin ce siècle, notre siècle expirant, que faut-il
en penser ? Est-ce un des grands siècles de l'histoire
universelle ? Oui, sans aucun doute. Il a enfanté des
œuvres prodigieuses et donné le jour à des hommes
puissants par la science et le génie. Il a accompli des
merveilles ; il a transporté les montagnes, annulé l'es-
pace, maîtrisé la foudre, mêlé les flots des océans, scruté
l'immensité des cieux et les profondeurs du globe.
Hélas ! nous voudrions pouvoir arracher de ses
annales bien des pages honteuses et douloureuses, où
sont inscrits des attentats au droit, des trahisons, des
lâchetés, des apostasies, des blasphèmes et des cris de
haine. Le XIXe siècle a vu trop souvent la lutte entre
le bien et le mal se terminer par le triomphe du mal.
Trop souvent, il a vu la faiblesse opprimée, la justice
sacrifiée, la vérité méconnue. Mais il a vu aussi s'ac-
complir des prodiges de foi, de charité' et de dévoue-
ment. S'il a été le siècle de Proudhon, de Bismarck, de
Cavour, de Strauss et de Renan, il a été également le
siècle du curé d'Ars, de Dom Bosco, de LaMoricière,
de Garcia Moreno, de Pie IX et de Léon XIII. Il nous
semble que, malgré ses erreurs et ses fautes, la postérité
le placera bien au-dessus du dix-huitième siècle, époque
de corruption musquée et d'impiété élégante, où le règne
des sophistes et des courtisanes servit de prélude à
l'avènement monstrueux de la guillotine.
164 MÉLANGES
Le voilà qui s'efface à l'horizon de l'histoire, ce siècle
qui a remué taut de problèmes, fait germer tant d'idées,
modifié si profondément la physionomie de l'univers.
Il fuit inexorablement, il hâte son déclin, il se précipite
devant nous dans les abîmes du temps, comme le soleil
qui s'enfonce sous nos yeux derrière les monts lointains,
lorsque sa course apparente au-dessus de notre hémis-
phère est terminée. A mesure que nous traçons ces lignes,
il s'évanouit. ...Tout à l'heure, il sera disparu, et nous
aurons assisté à cette chose rare et émouvante : le cou-
chant d'un siècle !
Adieu donc, ô XIXe siècle! siècle de progrès et
de décadence, de lumière et de ténèbres, de liberté et de
servitude, siècle hardi âans ses aspirations et incertain
dans ses voies, siècle fertile en prodiges et en nau-
frages !
Et salut à toi, ô XXe siècle ! qui nous arrive enve-
loppé de mystère, et dont notre regard inquiet est impuis-
sant à sonder les perspectives. Puisses-tu apporter au
monde tourmenté un peu de cette paix qu'il n'a guère
connue durant le siècle évanoui, et avec la paix la pos-
session de ces deux biens inestimables pour les indivi-
dus comme pour les peuples : la vérité et la liberté.
La question des écoles du Manitoba.
LES AMIS DE L'ELECTEUR AU
MANITOBA
13 août 1889.
Si nous étions l'Electeur, comme nous profiterions de
ce qui se passe actuellement au Manitoba pour injurier
M. Laurier et son parti !
En effet le ministère libéral de Winnipeg, acclamé à
sa naissance et porté aux nues sans cesse par notre
presse grite-rouge, menace en ce moment les intérêts
les plus vitaux de l'élément catholique et français au
Manitoba.
Le lieutenant de M. Greenway, le procureur-général
Martin, a prononcé à Brandon, en l'honneur de M. Dal-
ton McCarthy, un discours fanatique et digne en tous
points de la ligue des droits égaux.
Nous reproduisons du Manitoba, dans notre numéro
de ce jour, une analyse de, ses déclarations.
Voilà donc le procureur-général du gouvernement
libéral du Manitoba qui pousse le cri de guerre contre
les écoles séparées et la langue française. Que pense
de cela l'Electeur ? Va-t-il essayer de faire croire à son
monde que M. Martin est un tory déguisé ?
Il paraît de plus en plus évident que ce ministère
166 MÉLANGES
Greenway, cher à l'Electeur, est à préparer une cam-
pagne anticatholique et antifrançaise, qui va mettre
le feu au Manitoba.
Nous croyons qu'il va trouver dans la constitution
un obstacle invincible à ses projets.
Il est vraiment singulier que YElecteur n'ait pas
encore lancé ses foudres contre ses amis de Winnipeg.
Dénoncer M. McCarthy, c'est très bien. Mais dire leurs
vérités à MM. Smart, Martin, Charlton, ce serait encore
plus méritoire.
Allons, un bon mouvement!
LA CRISE AU MANITOBA
16 août 1889.
L'Electeur d'hier matin avait un grand article pour
établir que le gouvernement libéral du Manitoba est
innocent de tous les mauvais desseins qu'on lui a attri-
bués
Hélas ! au moment même où, tout à fait rassuré, il
donnait cours à son optimisme, une dépêche imprimée
à sa quatrième page, annonçait la démission de l'hono-
rable James Prendergast et la crise ministérielle du
Manitoba.
La signification de cet événement est éclatante. M.
Prendergast ne remet pas son portefeuille sans raison
grave. UElecteur disait dans l'article que nous venons
de mentionner : " M, Prendergast s'est empressé lui
" aussi de déclarer qu'il donnerait sa démission s'ils
MÉLANGES 167
" persistaient à faire cause commune avec l'agitateur
" tory" Eh bien, il vient de donner sa démission. Donc
ses collègues sont décidés à faire cause commune avec
les fanatiques. Il n'y a pas à sortir de là.
Et cependant ce fameux cabinet raanitobain, c'est un
cabinet grit, une administration chère à l'Electeur et à
tout le parti libéral. Greenway et ses collègues ne sont
certainement pas des bleus-tories-orangistes ; et les
voilà bras dessus bras dessous avec M. Dalton McCar-
thy !
Mais l'Electeur n'entend que d'une oreille, et il est
tellement désireux de frapper sur le parti conservateur
qu'il trouve moyen de mettre en cause, dans la crise du
Manitoba, le cabinet fédéral et de faire rentrer discrète-
ment dans la coulisse le cabinet Greenway.
31 octobre 1889.
Il y a quelques jours, le procureur-général Martin,
de Winnipeg, annonçait pompeusement que le gouver-
nement Greenway allait marcher résolument dans la voie
des réformes, quant à la langae française et à la loi
d'éducation.
Cela signifiait que les ministreaux du Manitoba veu-
lent abolir là-bas l'usage officiel de notre langue et les
écoles séparées.
Or ces fanfarons du fanatisme oublient une chose.
C'est que sur leur chemin se dresse un invincible obs-
tacle : la constitution du pays.
La constitution du Canada, et en particulier la con-
stitution du Manitoba, interdisent au gouvernement de
168 MÉLANGES
Winnipeg toute tentative abolitionniste, du genre de
celle qui est annoncée par M, Martin le brouillon.
On l'a affirmé plusieurs fois. Mais il ne suffit pas de
l'affirmer, il faut le prouver. Nous allons le faire de
manière à enlever tout doute aux plus fanatiques.
Le gouvernement de la province du Manitoba a été
constitué par une loi (33 Vict., chapitre III) du Parle-
ment canadien, sanctionnée le 12 mai 1870. C'est cette
loi qui forme la constitution du Manitoba.
Or que dit-elle au sujet des écoles :
" 22. Dans la province, la législature pourra exclu-
sivement décréter les lois relatives à l'éducation, sujettes
et conformes aux dispositions suivantes :
" 1** Piien dans ces lois ne devra préjudicier à aucun
droit ou privilège conféré, lors de l'Union, par la loi on
par la coutume, à aucune classe particulière de per-
sonnes dans la province, relativement aux écoles sépa-
rées (denominational schools).
" 2'' Il pourra être interjeté appel au gouverneur-
général en conseil de tout acte ou décision de la législa-
ture de la province ou de toute autorité provinciale
affectant quelqu'un des droits ou privilèges de la mino-
rité protestante ou catholique romaine des sujets de Sa
Majesté relativement à l'éducation."
On remarquera ici que cette clause est beaucoup plus
satisfaisante que la clause analogue de l'acte constitu-
tionnel de 1867. En effet la clause 93 de celui-ci décrète
que rien dans les lois des provinces sur l'éducation " ne
devra préjudicier à aucun droit ou privilège conféré, lors
de l'union, jmr la loi, à aucune classe particulière de
personnes dans la province, relativement aux écoles sépa-
rées." Ce sont ces mots : j^^i'^' l<^ loi, qui ont fait naî-
MÉLANGES 169
tre la fameuse question des écoles du Nouveau-Bruns-
wick. Avant la confédération nos coreligionnaires du
Nouveau-Biunswick jouissaient des avantages des éco-
les séparées, mais non en vertu d'une loi. Lorsque la
législature leur enleva ces avantages, ils réclamèrent en
s'appuyant sur la clause 93 de l'acte de l'Amérique
Britannique du Nord. Mais leurs adversaires soutin-
rent que cette clause ne pouvait être invoquée dans ce
cas, parce que les écoles séparées n'étaient pas établies
jpar la loi au Nouveau-Brunswick, à l'époque de l'union
fédérale.
11 n'en est pas de même du Manitoba. L'acte consti-
tutionnel de 1870 dit: " par la loi ou par la coutume."
De sorte qu'il n'y a pas d'échappatoire possible. Nos '
coreligionnaires de la Rivière-Rouge avaient, en vertu
de la coutume, des écoles à eux, des écoles catholiques,
au moment de leur entrée dans la Confédération. Donc
la législature du Manitoba ne peut porter préjudice à
leurs droits quant aux écoles séparées.
Cette clause 22, relative à l'éducation, de l'acte de
1870, a d'autant plus d'importance et de portée, qu'elle
a subi l'épreuve de la discussion et du vote, dans le
débat sur le bill constituant la province du Manitoba.
On lit à la page lôlG des Dominion parlia.mentary
debates de 1870 :
" M. Oliver propose que la clause concernant l'édu-
cation soit biffée.
" L'honorable M. Chauveau espère que l'amendement
ne sera pas adopté. Il est désirable de protéger la mino-
rité au Manitoba contre le grand danger des dissensions
religieuses relativement à l'éducation. Il ne saurait y
avoir de meilleur modèle à suivre, en ce cas, que l'Acte
170 MÉLANGES
d'Union, qui donne protection entière aux minorités.
Il est impossible de dire qui formera la majorité là-bas,
les protestants ou les catholiques. Si la population doit
venir de l'autre côté des mers, alors les protestants
seront en majorité. Si, comme on l'a déclaré, Mauitoba
doit être une réserve française, alors les catholiques
seront en majorité. Que ce soit les uns ou les autres
qui dominent, il est à désirer que la nouvelle province
soit préservée des discussions qui ont fait tant de mal
dans les vieilles provinces du Canada
" L'honorable M, McDougall dit que l'effet de cette
clause, si elle n'est pas biffée, sera de fixer des lois que
la législature locale ne ijourra changer dans l'avenir,
et que ce serait mieux de laisser la question à déci-
der aux autorités locales, comme dans les autres pro-
vinces.
" L'honorable sir George Cartier fait allusion à la
manière dont la Eivière- Rouge fut colonisée, et rappelle
les subventions en terres qui ont été accordées au clergé
pour les fins d'éducation.
" M. Mackenzie se dit prêt à laisser la question sous la
juridiction exclusive de la législature locale. L'Acte de
l'Amérique Britannique du Nord donnait toute la pro-
tection nécessaire aux minorités ; et les autorités locales
comprennent leurs besoins mieux que le parlement
central...
" Après une longue discussion le vote est pris sur
l'amendement: pour 34, contre 81."
Nous avons insisté sur ce débat et ce vote, parce qu'il
accentue la portée de la clause 22, favorable à la mino-
rité catholique.
Maintenant, quant à langue française, elle est aussi
MÉLANGES 171
soigneusement protégée que les écoles confessionnelles.
Qu'on lise la clause 23 de la loi de 1870 :
" 23. L'usage de la langue française ou de la langue
anglaise sera facultatif dans les débats des Chambres
de la législature ; mais dans la rédaction des archives,
procès- verbaux et journaux respec' ifs de ces chambres,
l'usage de ces deux langues sera obligatoire ; et dans
toute plaidoirie ou pièce de procédure par devant les
tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada, qui
sont établis sous l'autorité de " l'Acte de l'Amérique
Britannique du Nord, 1867," et par devant tous les tri-
bunaux ou émanant des tribunaux de la province, il
pourra être également fait usage, à volonté, de l'une ou
de l'autre de ces langues.
" Les actes de la législature seront imprimés et
publiés dans les deux langues"
Voilà qui est péreraptoire. Comment les ministreaux
de Winnipeg pourront-ils regimber devant une disposi-
tion aussi formelle ?
Vont-ils essayer d'amender leur constitution ? C'est
la loi fédérale de 1870 qui forme la constitution. Et
elle ne donne pas à la législature manitobaine le pouvoir
d'amendement. L'assemblée législative de Winnipeg
n'a pas le droit de toucher à la loi fédérale.
MM. Greenway et Martin vont-ils s'adresser au par-
lement fédéral ? On a dit que M. McCarthy devait se
lever, à la prochaine session, pour demander à la Cham-
bre des Communes d'amender l'acte du Manitoba. Mais
ici un autre obstacle infranchissable surgit. Des doutes
s'étant élevés sur le pouvoir qu'avait le parlement cana-
dien d'adopter la loi constituant la province du Mani-
toba, le gouvernement canadien obtint du Parlement
172 MÉLANGES
impérial, en 1871, une loi de ratification (34-35 Vict.,
chap. 28). La clause 5 se lit comme suit :
" 5. Les actes suivants passés par le dit parlement
du Canada, et respectivement intitulés: " Acte concer-
nant le gouvernement ])rovisoire de la Terre de
Rupert et du Territoire du Nord-Ouest après que ces
territoires auront été unis au Canada, et Acte pour
amender et continuer l'acte trente-deux et trente-trois
Victoria, chajntre trois, et pour établir et constituer
le gouve^^nement de la province de Manitoha," seront
et sont considérés avoir été valides à toutes fins, à
compter de la date où, au nom de la Eeine, ils ont reçu
la sanction du gouverneur-général de la dite Puissance
du Canada."
Mais dans la question qui nous occupe, la clause
la plus importante est sans contredit la clause 6^ qui
enlève nettement au Parlement fédéral et à la lésis-
lature provinciale le pouvoir d'amender l'acte de 1870.
voici cette clause :
" 6. Excepté tel que prescrit par la troisième section
du présent acte (relative au changement des limites
des provinces), le parlement du Canada n'aura 'pas
compétence pour changer les dispositions de l'acte en
dernier lieu mentionné du dit parlement, en ce qui
concerne la province du Manitoha, ni d'aucun autre
acte établissant à l'avenir de nouvelles provinces dans
la dite Puissance, sujet toujours au droit de la législa-
ture de Manitoba de changer, de temps à autre, les
dispositions d'aucune loi concernant la qualification des
électeurs et des députés à l'Assemblée législative et de
décréter des lois relatives aux élections dans la dite
province."
MÉLANGES 173
La constitution du Manitoba est donc au-dessus des
atteintes de la législature manitobaine. Elle ne peut
être amendée davantage par le Parlement fédéral. Si
MM, Greenway et Martin veulent abolir l'usage oËficiel
de la langue française et les écoles séparées, ils doivent
commencer par demander au Parlement impérial des
amendements à leur constitution. Sans cette précaution,
et s'ils veulent passer outre, ils ne sont que des révo-
lutionnaires au petit pied.
On verra quel espèce d'accueil ils recevront à Lon-
dres,
Ah ! ils ne sont pas maîtres de la position, les poten-
tats de Winnipeg !
LE FANATISME AU MANITOBA
6 novembre 1890.
Les fanatiques du Manitoba poursuivent leur œuvre
de persécution et d'ostracisme.
La dépêche suivante de Winnipeg nous montre à
quels excès peut se porter le gouvernement Greenway ;
" Winnipeg, 4. — A la séance de la chambre ce soir, il
y avait une foule immense, comprenant des membres
du clergé, catholique et protestant, actuellement en cette
ville.
" Le discours du procureur général Martin sur le pro-
jet de loi pour abolir les écoles séparées a duré quatre
heures.
" Il a parlé très longuement du droit que les législa-
tures locales avaient de légiférer en matière d'éducation.
174 MÉLANGES
Il a prétendu que l'Acte de l'Amérique Britannique du
Nord donnait un pouvoir complet aux législatures sur
ce sujet. Il a cherché à faire ressortir les avantages qui
résulteraient pour la province du projet de loi abolis-
sant les écoles séparées, et a prétendu que ce bill avait
l'appui des neuf dixièmes de la population du Mani-
toba...
" Il a nié qu'aucun traité ou convention ait été fait
entre la province du Manitoba et le gouvernement du
Canada, en 1870, et donnant aux Canadiens-français
droit à un système d'éducation séparée. Il a dit que si
tel avait été le cas en 1870, cela ne pouvait lier la pro-
vince pour l'avenir et qu'il était grandement temps
qu'elle s'émancipât,
" L'honorable M. Martin a dit que si, comme on l'avait
prétendu, les catholiques refusaient de payer les taxes
d'écoles si on ne maintenait pas leurs écoles, le gouver-
nement se hâterait d'adopter des mesures énergiques
pour forcer les catholiques à payer ces taxes."
C'est bien ! que M. Martin poursuive sa triste beso-
gne ! ^ Il trouvera sur sa route des obstacles sur les-
quels toute sa jactance, toute sa fureur anti catholique
et antifrançaise iront se briser, et des écueils qui feront
sombrer sa fortune politique.
1 — Les lois iniques proposées par le gouvernement Green-
way furent adoptées le 31 mars 1889. Depuis cette date
néfaste, les écoles séparées confessionnelles n'ont plus droit
de cité au Manitoba. Et cela en dépit des sauvegardes de la
constitution.
MÉLANGES 175
L'ATTITUDE DU GLOBE
7 février 1891.
L'Etendard s'est décidé à se jeter dans la lutte contre
le gouvernement fédéral, et en faveur dn parti libéral ^
Une de ses raisons, c'est la loi des écoles du Mani-
toba, et le fait que cette loi n'a pas encore été désavouée.
On dirait vraiment que notre confrère de Y Etendard
oublie que ces lois iniques ont été proposées par un
gouvernement libéral, ennemi du cabinet d'Ottawa, et
ami de l'opposition fédérale.
Quant au désaveu de ces lois, le gouvernement n'a
pas encore fait connaître ses intentions. Et, dans tous
les cas, qu'est-ce que l'Etendard peut attendre du parti
grit-libéral ?
Nous lui signalons, et nous signalons à la province
de Québec tout entière l'article suivant publié par le
Globe du 3 février courant. C'est le programme du
parti libéral sur cette question du désaveu des lois
scolaires du Manitoba,
Kous appelons l'attention de nos lecteurs et de tout
l'électorat sur cet article :
" La cour du Manitoba au complet a soutenu la déci-
sion du juge Killam déclarant que la loi scolaire de cette
1 — Le parlement fédéral venait d'être dissous et des élec-
tions générales avaient lieu en ce moment. En vertu de la
constitution, le gouvernement du Canada peut désavouer
toute loi provinciale, mais ce droit de veto doit être exercé
dans le délai d'un an. Pour la loi des écoles manitobaines, ce
délai expirait le 11 avril 1891.
176 MÉLANGES
province est intra vires. Le juge en chef Taylor et le
juge Bain ont adopté l'opinion du juge Killarn, et le juge
Dubuc seul a exprime son dissentiment. La période
pendant laquelle cette loi peut être désavouée sera pro-
bablement close avant que la cour suprême puisse por-
ter un jugement. Poussés par cette crainte et antici-
pant la décision qui vient d'être rendue, les adversaires
de la loi au Manitoba et à Québec ont déjà commencé à
s'agiter afin d'obtenir un désaveu de la part du gouver-
neur en conseil à Ottawa. L'attitude qu'ils assument
ainsi est digne d'être signalée. Pendant qu'ils criaient
avec rage contre le désaveu de la loi des biens des Jésuites,
ils basaient leurs prétentions sur le fait que la législature
de Québec n'avait fait qu'user de son droit constitutionnel
de l'adopter. La constitutionnalité de la loi des jésuites ne
fut pas alors garantie par les officiers en loi de la. cou-
ronne en Angleterre, et par conséquent aucun tribunal
de justice dans ce pays n'a été à même d'en décider.
Donc en demandant le désaveu de la loi des écoles
manitobaines, ces provinces abandonnent la doctrine des
droits provinciaux qu'ils invoquaient en faveur du bill
des Jésuites, et ils demandent au gouvernement de la
Puissance d'exécuter un semblable changement de front,
bien que la constitutionalité de la mesure ait été réglée
par deux cours de justice. Nous ignorons quelle ligne de
conduite le Gouvernement va tenir. Le parti libéral
marchera sans aucun doute dans la voie d.roite et s'en
tiendra aux droits provinciaux, comme il a fait à
plusieurs reprises dans le passé."
Voilà l'attitude du parti libéral, de l'opposition, sur
cette question du désaveu des lois du Manitoba !
L'organe en chef de l'opposition, le Globe, nous
MÉLANGES 177
apprend que si l'opposition arrive au pouvoir, les lois
iniques du gouvernement Greenway - Martin seront
maintenues.
Qu'est-ce que notre confrère peut donc attendre de
la chute de Sir John ?
U Etendard dénonce Sir John, " ce centralisateur à
outrance, si empressé de désavouer les lois passées par
les législatures."
Et la loi des biens des Jésuites, Sir John l'a-t-il désa-
vouée? A-t-on déjà oublié sa noble attitude et ses
nobles paroles, en certain lieu ? A-t-on déjà oublié la
fermeté, le courage et l'habileté suprêmes avec lesquelles
il a fait face aux passions déchaînées, et muselé le fana-
tisme sectaire ?
Ce grand service que Sir John nous a rendu n'a-t-il
laissé aucune trace dans certaines mémoires ?
Sir John a joué incontestablement sa popularité dans
Ontario, en cette circonstance. Il a risqué de briser son
parti.
Devons-nous l'en récompenser en décrétant sa déché-
ance ?
Et le parti dont le Glohe est l'organe offre-t-il bien
des garanties à VEtendard, lorsque le journal grit pro-
clame que l'opposition libérale sera favorable au main-
tien des lois du Manitoba ?
Où est donc la logique dans cette attitude et dans
cette argumentation ?
12
178 MÉLANGES
LARMES DE CROCODILE
17 mars 1891.
Le preraier-QuL'bec de l'Electeur de ce matin est un
des articles les plus impudents et les plus hypocrites
qui aient jamais paru dans un journal canadien.
Nous allons citer intégralement ces lignes qui pei-
gnent proprement le journal qui les publie.
" C'en est fait.
" Le gouvernement fédéral a décidé de ne pas désa-
vouer ou contester la légalité de la loi des écoles du
Manitoba.
" Inutile pour nos coreligionnaires de l'Ouest d'espé-
rer davantage, la décision est donnée.
" Cette décision du gouvernement fédéral créera un
profond désappointement dans le cœur de tous les bons
catholiques du Dominion. Quant à nouSj'^nous nous y
attendions. Nous ne pouvions espérer autre chose d'un
gouvernement tory, mais nous aurons au moins le cou-
rage de dire à Vépiscopat de cette iwovince qu'il n'a
jyas j)arlé assez tôt, qu'il a eu trop de scrupules, en
attendant, pour plaider la cause de la minorité catho-
lique du Manitoba, que la décision fut prise à Ottawa,
" Avec un tribunal aussi mal disposé il eût fallu se
défendre avec énergie. Nos plus puissantes influences
ne sont intervenues que lorsque le jugement était rendu.
Le parti tory n'en souffrira pas puisque les élections
sont maintenant faites, mais pour nos pauvres coreli-
cionnaires du Manitoba l'on ne saurait en dire autant."
Un journal qui aurait fait une lutte ardente, con-
stante, acharnée, désespérée, pour obtenir le désaveu de
MÉLANGES 179
la loi manitobaine, pourrait à la rigueur publier un
article comme celui-là.
Mais V Electeur n'a rien fait dans ce sens !
Il n'a pas lutté pour obtenir le désaveu !
Il n'a publié aucun de ces articles flamboyants dont
il est coutumier quand il veut ameuter l'opinion !
Il a eu peur de compromettre son chef, M. Laurier.
Durant les élections ^ il s'est soigneusement abstenu
d'agiter la question du désaveu parce que cela pouvait
nuire à M. Cartwright dans Ontario.
Et maintenant, après le rapport du ministre de la
Justice, il pousse un cri de détresse ; il verse des lar-
mes sur les pauvres catholiques du Manitoba, persécu-
tés par ses amis ou ses alliés, les Martin et les Gresn-
way, ministres libéraux ! !
Que ne protestait-il, que n'embouchait-il le clairon
des batailles, quand son chef de file, l'organe accrédité
du parti libéral d'Ontario, le Globe, proclamait d'avance
la doctrine libérale sur cette question ?
En effet, au début des élections, le 3 février, le Globe
publiait un article que nous avons cité dans notre
numéro du 7 février dernier, et dans lequel il était
déclaré que le parti libéral s'opposerait au désaveu.
Voilà ce que l'organe en chef du parti libéral annon-
çait à l'électorat dès l'ouverture de la campagne.
VEledeur a-t-il répudié cet article ?
A-t-il protesté contre sa publication ?
A-t-il dégagé la responsabilité du chef de l'opposition,
M. Laurier ?
1 _ Elles s'étaient terminées le 5 mars par la victoire du
ministère présidé par Sir John Macdonald.
180 MÉLANGES
M. Laurier lui-même a-t-il parlé du désaveu durant
les élections ?
A-t-il formulé un programme sur cette question si
importante ?
Non, rien, silence sur toute la ligue.
Mieux que cela, l'Electeur a pris position contre le
désaveu.
Voici la preuve de notre assertion.
L'Electeur du 24 mars disait :
" Nous croyons savoir que dans la lettre collective
qui sera publiée prochainement par les évêques du
Canada au sujet de la loi des écoles du Manitoba,
Leurs Grandeurs reconnaissent la justesse du inin-
cipe posé par Vhonorahle M. Mercier, qu'une loi pro-
vinciale inconstitutionnelle ne doit pas être désavouée
par le gouvernement central mais déclarée nulle par
les tribunaux. L'on ne demandera donc pas le désa-
veu de la loi mais simplement que la question soit
soumise aux tribunaux."
Que signifiait cela, sinon que d'après le principe posé
par M. Mercier, le gouvernement ne devait pas désa-
vouer la loi.
Dans son numéro du 2 avril, l'Electeur disait encore :
" Dans son dernier numéro, la Vérité revient à la
charge au sujet de la calomnie inventée par la presse
tory que l'honorable M. Laurier aurait donné à M.
Watson, député de Marquette, la promesse solennelle
que le parti libéral ne demanderait pas le désaveu de la
loi scolaire du Manitoba.
" Nous avons déjà publié la dénégation formelle des
intéressés. En fait, M. Laurier n'a jamais promis rien
de semblable ; tous ceux qui sont au courant des choses
MÉLANGES 181
politiques le savent et la Vérité est injuste en feignant
de l'ignorer.
" M. Laurier n'a jamais fait pareille promesse, mais
l'eût-il fait, il n'aurait pas été en désaccord avec les
évêques du Canada, qui, dans leur lettre collective aa
gouvernement, demandent, croyons-nous, non pas que
la loi soit désavouée, mais qu'elle soit soumise aux
tribunaux, qui ne peuvent manquer de la déclarer
inconstitutionnelle."
Où étaient donc les foudres de l'Electeur en ce
moment ?
Ne ressort-il pas clairement de ces citations que
l'organe libéral ne demandait pas le désaveu, mais
favorisait plutôt l'idée de faire déclarer la loi inconsti-
tutionnelle d'après le principe posé par M. Mercier ?
Il ne saurait y avoir deux manières d'interp éter
l'attitude de l'Electeur jusqu'à aujourd'hui.
Et, lorsque les choses arrivent précisément comme
l'Electeur le demandait, après le Globe, ce journal impu-
dent s'en vient hypocritement déplorer que la loi no
soit pas désavouée, et il pousse l'audace jusqu'à atta-
quer l'épiscopat à ce sujet ! !
En vérité c'est un étrange spectacle.
LA. LOI DES ECOLES DU MANITOBA
4 avril 1891.
Il y a déjà plus d'un an, dans le Courrier du 31
octobre 1889, nous exposions toute la question des
écoles du Manitoba.
182 MÉLANGES
C'était avant l'adoption des lois Martin. Depuis lors
le cabinet de Winnipeg est entré à pleines voiles dans la
persécution, et la législation qu'on redoutait en octcbre
1889 a été édictée par la législature du Manitoba.
Les clauses odieuses de cette loi n'ont pas encore été
citées dans nos journaux. 11 importe de les faire con-
naître pour bien faire juger l'état de la question.
Le but de la loi est d'établir dans la province du
Manitoba un système d'écoles publiques, non confes-
sionnelles, pour remplacer les écoles confessionnelles,
catholiques ou protestantes, qui existaient jusque-là, et
étaient subventionnées par la province proportionnelle-
ment au nombre des élèves respectifs de ces écoles.
L'abolition des écoles séparées et l'établissement des
écoles publiques, où les enfants catholiques et protes-
tants iront ensemble, tel est l'objet de la loi.
Voici maintenant les clauses les plus importantes :
La clause 8 dit :
" Les écoles publiques seront entièrement non-con-
fessionnelles, et aucun exercice religieux n'y sera per-
mis excepté tel que pourvu plus haut."
La clause 89, sous-section I, dit :
" Pour compléter la subvention de la législature, ce
sera le devoir du conseil de chaque municipalité rurale
de prélever et collecter chaque année par imposition sur
la propriété dans la municipalité, une somme égale à
vingt piastres par chaque mois durant lequel l'école a
été tenue dans chaque district scolaire, etc."
L'article 108, sous-section 3, dit :
" Aucune école non conduite d'après toutes les pro-
visions de cet acte ou d'aucun autre acte en force, ou
d'après les règlements du département de l'éducation
MÉLANGES 183
OU du Conseil ne sera réputée une école publique dans
le sens de la loi, et aucune telle école ne pourra parti-
ciper à la subvention législative."
L'article 179 dit :
" Dans les cas où, avant la mise en force de cet acte,
des districts scolaires catholiques ont été établis tel que
mentionné dans la section précédente, ces districts sco-
laires catholiques, après la mise en force de cette loi,
cesseront d'exister, et leur actif et leur passif seront
assumés par le district de l'école publique."
Voilà, dans ses dispositions principales, relativement
à la question qui nous occupe, la loi scolaire du Mani-
toba adoptée l'an dernier.
Cette loi viole-t-elle l'article 22 de l'acte constitu-
tionnel qui a créé la province du Manitoba en 1870 ?
Pour nous il n'y a aucun doute qu'elle le viole, en
dépit de l'opinion judiciaire émise par les magistrats de
Winnipeg.
Nous discuterons lundi cette opinion.
6 avril 1891.
Nous avons donné samedi le texte des clauses prin-
cipales de la loi scolaire adoptée par la législature de
cette province, l'année dernière.
Les catholiques du Manitoba, leur illustre arche-
vêque en tête, protestèrent éuergiquement contre cette
législation inique, et résolurent d'en appeler aux tribu-
naux de leur pays.
En vertu de la clause 89, sous-section 1, le conseil
municipal avait le droit de prélever une taxe scolaire
sur la propriété pour le soutien des écoles publiques :
184 MÉLANGES
" Pour compléter la subvention de la législature, ce
sera le devoir du conseil de chaque municipalité rurale,
de prélever et collecter par impositions sur la propriété
imposable dans la municipalité, une somme égale à
vingt piastres par chaque mois durant lequel l'école a
été tenue dans chaque district scolaire, etc."
Conformément à cette clause, le conseil de Winnipeg
passa un règlement pour l'imposition d'une taxe scolaire.
Nos coreligionnaires résolurent de résister, et M. Barrett,
de Winnipeg, citoyen important, refusa de payer la taxe,
afin de faire un test case.
La cause fut plaidée devant le juge Killam, en pre-
mière instance. Après une longue plaidorie, elle fut
prise en délibéré, et le juge Killam finit par rendre un
jugement affirmant la validité du règlement municipal
et la constitutionnalité de la loi.
Voici les motifs du jugement tels qu'exposés par le
juge Killam, et ensuite par les juges Taylor et Bain, de
la cour d'Appel.
D'abord la clause 93 de l'acte de l'Amérique du Nord
ne s'applique pas au Manitoba, car cette clause dit qu'au-
cune province ne pourra préjudicier aux droits des mino-
rités quant aux écoles séparées dont elles jouissaient
par la loi avant l'union. Or au Manitoba, il n'y avait
pas de loi scolaire d'aucune sorte avant l'union.
Mais il y a la clause 22 de l'acte du Manitoba :
" 22. Dans la province, la législature pourra exclu-
sivement décréter les lois relatives à l'éducation, sujettes
et conformes aux dispositions suivantes :
" 1^ Eieu dans ces lois ne devra préjudicier à aucun
droit ou privilège conféré, lors de l'Union, par la loi ou
2)ar la coutume à aucune classe particulière de per-
MÉLANGES 185
sonnes dans la province, relativement aux écoles sépa-
rées (denominational schools)."
Cette clause défendait-elle à la législature du Mani-
toba d'adopter la loi des Ecoles publiques de 1890 ?
Non, dit le juge Killam. Car elle n'enlève aux catholi-
ques aucun des droits ou privilèges dont ils jouissaient
avant l'union.
Avant l'union les catholiques jouissaient, en fait,
d'écoles dirigées par eux, suivant leurs vues, et soute-
nues par leurs deniers. Le gouvernement d'Assiniboine
ne donnait pas d'argent pour l'éducation. Il n'y avait
pas dans la province d'éducation aidée par l'Etat. Cha-
que confession pouvait avoir ses écoles et les soutenir
avec ses propres ressources. L'Etat ne s'en occupait
d'aucune façon. Telle était la situation lors de l'union.
La loi de 1890 n'enlève pas aux catholiques les pri-
vilèges dont ils jouissaient avant l'union au point de
vue scolaire. Après comme avant cette loi, ils ont le
droit de tenir des écoles catholiques et de les soutenir
par leurs contributions particulières.
En résumé le juge Killam adoptait la théorie sui-
vante : Les catholiques, avant l'union, jouissant sim-
plement d'écoles libres non subventionnées par l'Etat,
et la loi de 1890 ne leur enlevant pas le droit d'avoir
des écoles libres non subventionnées par l'Etat, cette
loi est constitutionnelle et ne viole pas l'article 22 de
l'acte du Manitoba.
C'est cette théorie qui a prévalu devant la cour
d'appel où M. Barrett porta sa cause. Les juges Taylor
et Bain maintinrent le jugement du juge Killam, le 2
février dernier, le juge Dubuc enregistrant seul son
dissentiment.
186 MÉLANGES
7 avril 1891.
Nous avons exposé hier la théorie des magistrats
manitobains.
Toute spécieuse qu'elle puisse être, nous croyons
qu'elle ne peut tenir devant l'examen des faits et de la
loi.
Pour nous, la loi de 18î0 rend la position des catho-
liques du Manitoba moins bonne qu'avant l'union, elle
leur enlève un privilège qu'ils avaient avant l'union.
De l'aveu même du juge Killam, tout est là, c'est là le
nœud de la question. Si la loi fait perdre aux catholi-
ques un privilège scolaire possédé par eux avant l'union,
elle est ultra vires.
Quel est donc ce privilège que la loi nouvelle leur
enlève. Le voici : c'est le privilège de soutenir leurs
écoles sans être forcés de payer pour les écoles des
autres. Certes, voilà un dioit — plus qu'un privilège —
voilà un droit incontestable. Leur religion leur interdit
d'envoyer leurs enfants aux écoles neutres ; il leur faut
des écoles catholiques. Avant l'union ils avaient ces
écoles, ils payaient pour ces écoles, et ils ne payaient
pour aucune autre. Us n'étaient pas obligés de soutenir
de leurs deniers des écoles neutres créées par l'Etat, en
même temps qu'ils soutenaient leurs écoles catholiques.
En un mot ils n'étaient pas assujettis à une double
taxe scolaire.
Or la nouvelle loi les assujettit à cette double taxe
de la manière suivante. La section 108 de la loi dit:
" 108. Aucune école non conduite d'après toutes les
provisions de cet acte ou d'aucun autre acte en force,
ou d'après les règlements du département de l'éduca-
tion ou du Conseil ne sera réputée uue école publique
MÉLANGES 187
dans le sens de la loi, et aucune telle école ne pourra
'participer à la subvention législative"
Voilà donc les écoles catholiques exclues de la sub-
vention législative.
La section 89 dit :
" 89. Pour compléter la subvention de la législature,
ce sera le devoir du conseil de chaque municipalité
rurale, de prélever et collecter chaque année par impo-
sition sur la propriété imposable dans la munici-
palité, une somme égale à vingt piastres par chaque
mois durant lequel l'école a été tenue dans chaque dis-
trict scolaire, etc."
Voilà maintenant une taxe imposée sur la propriété
pour le soutien des écoles neutres.
Quelle est après cela la position des catholiques ?
Leurs écoles sont exclues de la subvention législa-
tive ; ils devront les soutenir par leurs contributions
particulières. Mais en même temps ils devront payer la
taxe scolaire pour les écoles neutres où leur religion
leur défend d'envoyer leurs enfants.
Ils paient leur part du revenu public comme les autres.
On attribuera malgré eux une partie de ce revenu à
subventionner les écoles neutres dont ils ne peuvent se
servir. Et de plus on les assujettira à la taxe scolaire
municipale imposée sur la propriété pour soutenir ces
écoles neutres que leur foi leur interdit. Les voilà donc
forcés de payer deux fois pour les écoles : une fois pour
les écoles qu'ils repoussent, et une fois pour les écoles
dont ils ont besoin.
Eh bien nous disons que c'est là enlever aux catholi-
ques un des droits qu'ils avaient avant l'union, relati-
vement aux écoles séparées : le droit d'avoir leurs écoles
188 MÉLANGES
séparées catholiques, sans être taxés en même temps
pour des écoles que repousse leur conscience.
Si l'on avait dit simplement aux catholique par la loi
de 1890: nous allons vous remettre dans l'état où vous
étiez avant l'union; nous allons abolir toutes les sub-
ventions scolaires, et chaque confession aura les écoles
qu'elle voudra, sans payer pour celles des autres, alors
la loi aurait été constitutionnelle incontestablement.
Mais on leur dit : nous allons créer des écoles publiques,
neutres, qni n'existaient pas avant l'union, nous allons
vous forcer à payer une taxe pour soutenir ces écoles,
et après cela vous aurez, si vous le voulez, d'autres
écoles à vous, pour lesquelles vous débourserez encore ;
nous vous forçons à payer pour des écoles auxquelles
votre Eglise vous défend d'envoyer vos enfants, mais
nous vous laissons généreusement la liberté de payer
deux fois, et de soutenir aussi des écoles catholiques si
vous le jugez bon.
Et l'on prétendra que cette loi de 1890 n'enlève aux
catholiques aucun des droits, aucun des privilèges qu'ils
avaient avant l'union !
Avant l'union, ils étaient libres absolument, et ils ne
payaient que pour les écoles approuvées par leur foi.
Citons encore une fois l'article 22 de l'acte constitu-
tionnel de la province du Manitoba, 1870 :
" 22. Dans la province, la législature pourra exclusi-
vement décréter les lois relatives à l'éducation, sujettes
et conformes aux dispositions suivantes :
" 1" Eien dans ces lois ne devra préjudicier à aucun
droit ou privilège conféré, lors de l'Union, par la loi ou
par la coutume à aucune classe particulière de person-
MÉLANGES 189
nés dans la province, relativement aux écoles séparées
(denominational schools)."
Quel est l'un des principes essentiels du système des
écoles séparées (dénominationnelles) en ce pays. L'un
des principes essentiels de ce système, c'est que le chef
de famille peut choisir l'école selon sa foi, sans être
obligé de payer pour aucune autre. Voilà eu deux
mots ce que c'est que le système des écoles séparées en
ce pays. Il n'y a qu'à ouvrir l'histoire de notre pays
et les débats de nos assemblées pour s'en convaincre.
L'acte 22 de la constitution du Manitoba garantit aux
catholiques de cette province la jouissance de ce sys-
tème d'écoles séparées dans son intégrité.
Or la loi de 1890 viole l'un des principes fondamen-
taux du système : la garantie de n'être pas taxé pour
une éducation que la conscience repousse.
Donc cette loi est inconstitutionnelle. Nous ne
croyons pas qu'on puisse contester la justesse de notre
raisonnement. Et nous sommes convaincu qu'en défi-
nitive ce sont les principes que nous venons d'exposer
qui triompheront.
Le télégraphe nous a apporté la nouvelle que le
ministre de la justice, Sir John Thompson, vient de faire
un rapport recommandant au gouvernement fédéral de
ne pas soumettre la loi scolaire du Manitoba à l'exer-
cice du désaveu, mais de lui laisser subir l'épreuve des
tribunaux jusqu'à la dernière juridiction.
Nous avons hâte de lire le rapport de l'homme émi-
nent qui préside au département de la justice. Il est
catholique lui-même, et catholique fervent. Il est de
plus un des premiers légistes de la confédération. Son
190 MÉLANGES
rapport doit avoir une grande valeur et nous espérons
qu'il sera publié le plus tôt possible.
La loi scolaire du Manitoba est, à nos yeux, certai-
nement inconstitutionnelle, et, dans tous les cas, pour
tout homme ayant le respect du droit, de la justice et
de la liberté, elle constitue une monstrueuse ijiiquité,
un crime politique.
Nos seigneurs les évêques viennent d'envoyer une
pétition au gouvernement, demandant le redresse ment
de ce grief, sans préciser le moyen à adopter.
Le désaveu était un de ces moyens. On a peut-être
jugé qu'il était dangereux dans la circonstance actuelle.
Soit, mais il y en a d'autres. Nous avons la confiance
qu'ils seront employés le plus promptement possible, et
que les tyranneaux de Winnipeg n'auront pas libre car-
rière dans leur néfaste entreprise.
APRES COUP
10 avril 1891.
Après Y Electeur, la Justice et plusieurs autres jour-
naux libéraux essaient de faire de l'agitation avec la
question du désaveu des écoles du Manitoba.
Ils n'en ont pas le droit. Car si le gouvernement
fédéral a commis une faute en ne désavouant pas la loi
scolaire du Manitoba, leur parti est complice de cette
faute.
Mais qu'est-ce que le gouvernement a fait ? A-t-il
dit qu'il refusait d'écouter les griefs des catholiques du
MÉLANGES 191
Manitoba ? Non, il a déclaré seulement que les tribunaux
étant saisis de la question, on doit attendre que leur
décision finale soit rendue ; et que si, après cela, les
griefs des catholiques subsistent, alors on pourra appli-
quer les autres remèdes indiqués par la constitution.
Nous citons cette partie du rapport de Sir Jobu
Thompson :
" On en a appelé de cette décision (de la Cour du
Banc de la Eeine du Manitoba) à la Cour Suprême du
Canada. La question viendra probablement devant ce
tribunal dans le cours du mois prochain. Si l'appel est
maintenu, ces lois seront annulées par décision judi-
ciaire et la minorité catholique du Manitoba sera pro-
tégée. La loi en question restera en vigueur jusqu'à ce
qu'elle soit révoquée, et ceux dont la majorité de l'as-
semblée législative représente les vues, admettront que
cette matière a été traitée de manière à sauvegarder les
droits constitutionnels de la province.
" Si le jugement de la. Cour du Banc de la Eeine du
Manitoba est maintenu par la Cour Suprême, il sera
alors temps pour Votre Excellence de prendre en con-
sidération les requêtes qui vous ont été présentées par
les catholiques du Manitoba et dans lesquelles ils
demandent le redressement de leurs griefs en vertu des
sous-sections 2 et 3 de la section 22 de la " Loi du
Manitoba," qui seront annexées à ce rapport, et analo-
gues aux dispositions de l'Acte de l'Amérique Britan-
nique du Nord concernant les mêmes matières dans les
autres provinces."
Les sections 2 et 3 mentionnées dans cette citation
sont les suivantes :
" 2, Il pourra être interjeté appel au gouverneur-
192 MÉLANGES
général en conseil de tout acte ou décision de la législa-
ture de la province ou de toute autorité provinciale
affectant quelqu'un des droits ou privilèges de la mino-
rité protestante ou catholique romaine des sujets de Sa
Majesté relativement à l'éducation.
" 3. Dans le cas où la province refuserait d'adopter
une loi provinciale dans le but d'assurer le droit de la
minorité, tel qu'exprimé par un arrêt du gouverneur en
conseil, ou dans le cas où une décision du conseil en
appel ne sera pas dûment exécutée par l'autorité pro-
vinciale, alors et dans tous les cas, en autant que les
circonstances dans chaque cas l'exigeront, le parlement
du Canada pourra y porter remède à l'aide d'une loi
assurant l'exécution des dispositions de cette section et
de toute décision du gouverneur-général en conseil
d'après cette section."
La porte reste donc ouverte au redressement des
griefs de nos frères les catholiques du Manitoba.
Nous avons la ferme confiance que la Cour Suprême
ou le Conseil Privé vont déclarer la loi ultra vires.
Mais, dans le cas contraire même, le ministre de la
justice nous fait entrevoir d'autres moyens de remédier
au mal.
Sans doute, il y a retard. Mais ce n'est pas la pre-
mière fois que le temps entre comme un élément néces-
saire dans la réparation d'une injustice. Pour notre
part nous aimerions à voir adopter les moyens les plus
prompts. Mais nous savons que des autorités éminentes
n'ont pas jugé à propos d'insister absolument sur le
désaveu, à cause des conséquences possibles.
Résumons la position :
La loi scolaire du Manitoba a été présentée par un
MÉLANGES 193
gouvernement libéral, le gouvernement Greenway- Mar-
tin, et adoptée par une législature libérale.
Son auteur M. Martin a été le candidat libéral, le
candidat de M. Laurier à Selkirk, aux dernières élections
fédérales.
Le Globe, organe du parti libéral, a déclaré que ce
parti serait hostile au désaveu de la loi.
M. Laurier, le chef du parti libéral, a gardé un silence
de mort sur cette question durant la campagne électorale ;
et par ses doctrines, nous savons qu'il est, lui aussi, hos-
tile au désaveu de la loi.
Les autorités les plus respectables, tout en demandant
le redressement des grief-, ne demandent pas le désaveu,
et laissent au gouvernement le choix du moyen.
Et enfin le gouvernement annonce qu'il va attendre
la décision des tribunaux avant de décider quel moyen
sera choisi.
Eh bien, dans de telles circonstances, nous nions abso-
lument à l'opposition libérale le droit d'élever la voix
pour censurer la décision du cabinet fédéral.
LE TRIOMPHE DU DROIT
29 octobre 1891.
Nous saluons avec bonheur le jugement impatiem-
ment attendu, de la Cour Suprême, dans la question des
écoles du Manitoba.
A l'unanimité, le plus haut tribunal du pays a
déclaré inconstitutionnelle et ultra vires l'inique légis-
lation scolaire de MM. Greenway et Martin.
13
194 MÉLANGES
Nous félicitons nos frères de la province manitobaine
de leur éclatante victoire. Le bon droit a triomphé ;
Dieu en soit loué.
Nous ne pouvons nous empêcher de faire observer
que cette solution est plus heureuse et plus satisfai-
sante que si le gouvernement fédéral eut désavoué la
loi Martin.
Le désaveu pouvait faire éclater une crise fédérale et
provinciale, et n'aurait pas tranché la question, puisque
la législature de Winnipeg pouvait encore adopter la
même loi. Tandis que le jugement de la Cour Suprême
fait sortir cette question orageuse du domaine politique,
et la règle d'une façon souveraine et pacifique.
Le gouvernement fédéral a eu confiance en la consti-
tution et en la force du droit. L'événement lui donne
raison. L'autorité de la constitution est affirmée dans
une décision retentissante, qui servira de sauvegarde
pour les minorités à l'avenir.
Ce jugement est donc un grand et un heureux évé-
nement, qui fortifie beaucoup l'édifice de la confédéra-
tion canadienne.
LE JUGEMENT DU CONSEIL PRIVE
Le gouvernement manitobain porta en appel devant le
Conseil Privé impérial le jugement de la Cour Suprême du
Canada, qui avait tant réjoui les catholiques. Nouveaux délais,
nouveaux retards, nouvelle incertitude du résultat ! Ce ne
fut que le 30 juillet 1892 que le haut tribunal rendit son juge-
ment. Cette décision était malheureusement défavorable à la
MÉLANGES 195
minorité, et déclarait la loi Greenway constitutionnelle. Elle
nous inspira les commentaires suivants :
20 août 1892.
L'émotion causée par le jugement du Conseil Privé
dans l'affaire des écoles du Manitoba n'est pas encore
apaisée et ne s'apaisera pas de sitôt.
Cette décision extraordinaire est en effet la négation
des garanties les plus positives, les plus solennelles, en
faveur de la minorité, dans une de nos provinces cana-
diennes.
Plus nous relisons ce jugement, moins nous pouvons
en admettre le bien fondé.
Leurs Seigneuries nous paraissent n'avoir tenu aucun
compte de la situation acquise de la minorité manito-
baine.
La loi constitutionnelle de 1870, que nous avons
souvent citée, garantissait à la minorité mauitobaine
le droit de conserver les écoles séparées, si ce droit
existait, par la coutume, avant l'entrée du Manitoba
dans la confédération.
Or, avant cette entrée, par la coiUicme, les catholi-
ques, les anglicans, les presbytériens, avaient leurs écoles
confessionnelles : et, point important, la compagnie de
la baie d'Hudson accordait des subventions en terres
aux différentes communions pour le soutien de leurs
écoles.
N'étaient-ce pas là vraiment les écoles séparées à
peu près telles qu'elles existent dans Ontario et Québec ?
Ces subventions en terres de la compagnie, c'était une
subvention de l'Etat, car l'Etat alors c'était la compa-
gnie.
Donc, par la coutume, les différentes confessions au
196 MÉLANGES
Manitoba jouissaient du système des écoles séparées
dans toute sa plénitude.
Le Conseil Privé n'est pas de cet avis. Il raisonne
comme suit :
Avant l'union les catholiques jouissaient, en fait,
d'écoles dirigées par eux suivant leurs vues, et soute-
nues par leurs deniers. Chaque communion pouvait
avoir ses écoles et les soutenir avec ses propres ressour-
ces. L'Etat ne s'en occupait d'aucune façon. Telle était
la situation lors de l'union. La loi de 1890 n'enlève
pas aux catholiques les privilèges dont ils jouissaient
avant l'union au point de vue scolaire. Après comme
avant cette loi, ils ont le droit d'ouvrir des écoles catho-
liques et de les soutenir par leurs contributions parti-
culières; par conséquent la loi de 1890 ne viole pas la
clause 22 de l'acte constitutionnel de 1870.
Lin tel raisonnement nous paraît étrangement défec-
tueux. D'après le Conseil Privé, la loi Greenway n'en-
lève aux catholiques aucun des privilèges dont ils jouis-
saient avant l'union. Mais ils jouissaient alors du
privilège d'avoir leurs écoles, de payer pour ces écoles,
et de ne fayer "pour aucune autre. Et la législation
de 1890, tout en leur laissant la liberté de soutenir à
leurs frais des écoles confessionnelles, les force à payer
pour le soutien des écoles neutres. N'est-ce pas là la
perte d'un privilège ? N'est-ce pas là une injustice poli-
tique ?
Leur conscience interdit à nos coreligionnaires du
Manitoba d'envoyer leurs enfants aux écoles neutres ;
il leur faut des écoles catholiques. Avant l'union ils
avaient ces écoles, et ils ne payaient pour aucune autre.
Ils n'étaient pas obligés de soutenir de leurs deniers des
MÉLANGES 197
écoles neutres créées par l'Etat, en même temps qu'ils
soutenaient leurs écoles. En un mot ils n'étaient pas
assujettis à une double taxe scolaire.
Or la loi de 1890 les assujettit à cette double taxe,
nous l'avons déjà établi dans ce journal, en citant les
clauses 108 et 89.
" Voilà maintenant, disions-nous, une taxe imposée
sur la propriété pour le soutien des écoles neutres.
" Quelle est, après cela, la position des catholiques ?
" Leurs écoles sont exclues de la subvention législa-
tive ; ils devront les soutenir par leurs contributions
particulières. Mais en même temps ils devront payer
la taxe scolaire pour les écoles neutres où leur religion
leur défend d'envoyer leurs enfants.
" Eh bien, nous disons que c'est là enlever aux catho-
liques un des droits qu'ils avaient avant l'union, relati-
vement aux écoles séparées : le droit d'avoir leurs écoles
séparées catholiques, sans être taxés en même temps
pour des écoles que repousse leur conscience.
" L'article 22 de la constitution du Manitoba garan-
tit aux catholiques de cette province la jouissance du
système des écoles séparées dans son intégrité.
" Or la loi de 1890 viole l'un des principes fonda-
mentaux du système : la garantie de n'être pas taxé pour
une éducation que leur conscience repousse.
" Donc cette loi est inconstitutionnelle."
C'est ce que notre Cour Suprême avait décidé à l'una-
nimité.
Le Conseil privé arrive à une conclusion contraire au
moyen d'une dissertation où l'esprit de l'acte constitu-
tionnel de 1870 est complètement méconnu.
198 MÉLANGES
LE TEMPS EST VENU
5 octobre 1892.
La nouvelle requête de Mgr Taché que nous publions
ailleurs, prouve que le vaillant évêque n'a rien aban-
donné des droits de son peuple. Le Mail surtout s'en
aperçoit bien. Le voilà qui recommence ses attaques
contre le vénérable jjrélat et les catholiques.
On parle dehome rule, de l'autonomie des provinces,
etc. Comme si nous voulions tout bouleverser ! Que
demande donc Mgr Taché, que demandons-nous tous
ensemble ? Nous citons quelques paragraphes de la
pétition de l'archevêque de Saint- Boniface :
" 7" Que le 21 mars 1891, l'honorable ministre de la
justice a fait un rapport sur les deux actes mentionnés
plus haut (58 Vict., chap. 37-38) et que ce rapport se
termine comme suit :
" Si la lutte légale devait se terminer par le main-
" tien de la décision de la Cour du Banc de la Eeine
" (adverse aux vues catholiques) le temps serait venu
" pour Votre Excellence de prendre en considération
" des pétitions qui lui ont été présentées au nom
" des catholiques romains du Manitoba pour le redres-
" sèment de leurs griefs eu vertu des sous-sections 2 et
" 3 de la section 22 de l'acte du Manitoba cité dans la
" première partie de ce rapport et qui sont analogues
" aux dispositions prises par " l'Acte de l'Amérique Bri-
" tannique du Nord " à l'égard des autres provinces.
" 8" Que le comité judiciaire du Conseil privé de Sa
Majesté a maintenu la décision de la Cour du Banc de
la Eeine.
MÉLANGES 199
" 9" Que votre pétitionnaire croit que le temps est
venu maintenant " pour Votre Excellence de prendre
les pétitions en considération " telles qu'elles ont été
présentées au nom " des catholiques romains du Mani-
toba pour le redressement de leurs griefs en vertu
des sous-sections 2 et 3 de la section 22 de l'Acte du
Manitoba " et il est " devenu nécessaire d'avoir recours
aux pouvoirs fédéraux pour la protection de la minorité
catholique romaine."
" Votre pétitionnaire, par suite, demande :
" 1" Que Votre Excellence le Gouverneur-Général
en Conseil écoute l'appel des catholiques romains du
Manitoba et le prenne en considération, et prenne tou-
tes mesures ou donne tous ordres qu'il jugera bons pour
4ue cet appel soit écouté et pris en considération,
" 2" Que tels ordres soient donnés et telles mesures
prises pour le secours des catholiques du Manitoba que
Votre ExcoUeuce en Conseil jugera à propos."
L'autonomie provinciale, le home rule n'ont absolu-
ment rien à faire ici.
Par l'acte du Manitoba de 1870, les catholiques de
cette province ont droit à leurs écoles séparées. Et pour
le cas où un gouvernement injuste viendrait à toucher à
ce privilège, pouvoir est donné au parlement fédéral de
remédier au mal. Puisque ce pouvoir est donné au par-
lement fédéral, il n'y a donc aucun empiétement, aucune
inconstitutionnalité à lui demander qu'il l'exerce.
Le temps est venu, comme dit Mgr Taché, de prendre
une décision. Nous croyons sincèrement que le gouver-
nement ne gagne rien à temporiser. La presse fanatique
profite de ces délais pour soulever l'opinion, au lieu de
lui faire comprendre que pour vivre en paix sur ce sol
200 MÉLANGES
il faut respecter les droits de chacun, surtout lorsque
ces droits ont ëté solennellement garantis par la consti-
tution.
Les pétitions de Mgr Taché et des catholiques manitobains
furent déférées à un sous-comité du Conseil privé fédéral,
qui siégea le 26 novembre 1892, et fit un rapport adopté par
l'Exécutif canadien le 29 décembre. En vertu de l'arrêté en
conseil qui fut pris ce jour-là, le 21 janvier 1893 fut fixé pour
l'audition des pétitionnaires et de leurs contradicteurs. A
cette date, M. Ewart, avocat de la minorité catholique, com-
parut pour ses clients ; le gouvernement du Manitoba fit
défaut. Après une longue plaidoirie, le Conseil privé mit la
cause à l'étude. Il s'agissait de déterminer si, d'après la loi
constitutionnelle de 18C7, et d'après la loi de 1870 qui avait
créé la province du Manitoba, le gouvernement fédéral avait,
en l'état où se trouvait la question, le pouvoir d'intervenir
dans la législation scolaire de cette province, pour remédier
aux griefs des catholiques.
Le 22 février 1893, le Conseil privé fédéral ordonna la pré-
paration d'une cause, comportant une série de questions qui
seraient soumises à la Cour Suprême pour obtenir une déci-
sion juridique sur laquelle pourrait ensuite s'appuyer le gou-
vernement. Après une assez longue procédure, la cause fut
préparée et déférée finalement à la^Cour Suprême par un
arrêté ministériel du 31 juillet 1893. Elle fut entendue par ce
tribunal le 17 octobre. Et le 20 février 1894, la Cour Suprême
rendit un jugement par lequel elle déclarait que, dans l'es-
pèce, la voie de l'appel au Conseil privé fédéral était fermée
à la minorité plaignante. Cette fois, les catholiques manito-
bains furent tentés de se décourager et de courber la tête
devant la clameur de leurs adversaires qui déclaraient la
question morte et enterrée. Cependant, ils ne voulurent pas
capituler, et soutenus moralement et pécuniairement par les
ministres fédéraux eux-mêmes, ils portèrent la cause en appel
devant le Conseil privé impérial où elle fut plaidée au mois
de décembre 1894. Le résultat, comme on le verra plus loin,
fut pour eux une victoire éclatante.
MÉLANGES 201
Dans l'intervalle, les discussions et les controverses politi-
ques au sujet de la question des écoles, se poursuivirent avec
plus de vivacité que jamais. Les griefs de la minorité catho-
lique des Territoires du Nord-Ouest vinrent même leur donner
un nouvel aliment.
LA MOTION DE M. TARTE
-^ 7 mars 1893.
La Chambre des Communes a été saisie hier de la
question des écoles du Manitoba, par M. Tarte qui a
proposé la motion suivante :
" Que cette chambre désire exprimer sa désapproba-
tion de l'action du gouvernement relativement à la
question des écoles du Manitoba, à propos de laquelle
le cabinet a prétendu assumer des fonctions judiciaires
qui sont en conflit avec son devoir comme aviseur
constitutionnel de la Couronne, cette prétention étant
complètement contraire à la loi, et tendant, si on l'ap-
prouve, à la subversion absolue du principe de la res-
ponsabilité ministérielle,"
Cette motion de non-confiance proposée par M. Tarte
n'aborde pas la question carrément. Après avoir tant
réclamé les droits de la minorité manitobaine, après
avoir tant crié que l'esprit de parti devait être oublié
dans une question aussi grave, son seul but est de rallier
autant de votes que possible contre le gouvernement.
Il y a un hiatus entre le discours de M. Tarte et sa
motion. Ayant à choisir entre une affirmation catégo-
rique et directe du droit de nos coreligionnaires mani-
tobains aux écoles Réparées, et une proposition de blâme
202 MÉLANGES
contre le gouvernement, basée sur la tactique de celui-ci,
il s'est écarté de la première et s'est rabattu sur la
seconde.
La motion de M. Tarte pourra lui donner plus de
votes telle qu'elle est rédigée que si elle l'eut été autre-
ment. Mais lors même qu'elle serait adoptée, elle n'ap-
porterait aucune solution à la question des écoles. Car
elle n'a pour objot que de déclarer incorrecte, au point
de vue constitutionnel, l'action du gouvernement lors-
qu'il assume des fonctions judiciaires.
Bien des députés qui sont hostiles aux droits de la
minorité manitobaine, pourront voter pour la motion de
M. Tarte qui condamne purement et simplement une
certaine ligne de conduite du gouvernement.
De même bien des membres de la chambre des com-
munes qui sont favorables aux droits de nos frères du
Manitoba, pourront voter contre la motion de M. Tarte.
C'est la meilleure preuve que cette motion ne touche
vraiment pas au mérite de la question.
L'OPPOSITION A LA PAROLE
16 mars 1894.
VElecteur défend M. Laurier, et essaie d'établir que
l'opposition et son chef ont une attitude franche dans la
question des écoles.
Toutefois, il laisse entendre que tout n'est pas har-
monie dans le parti libéral à ce sujet :
" Nous ne nous dissimulons pas, dit-il, les difficultés
MÉLANGES 203
de la question des ëcoles. Ces difficultés sont encore
aggravées par la méchanceté avec laquelle les compa-
triotes conservateurs de M. Laurier les exploitent contre
lui au lieu de l'aider patriotiquement."
Il ne s'agit pas d'aider M. Laurier ou n'importe quel
homme public : il s'agit de savoir s'il y a un parti poli-
tique qui est disposé à rendre justice aux minorités
catholiques. Pour nous, voilà la seule question.
Aider M. Laurier ! A quoi ?... A monter au pouvoir,
et à introduire dans le budget fédéral la Clique évincée
de Québec ? Pour en courir le risque il faudrait au
moins des déclarations et un programme que ne nous
offre pas le parti libéral.
Le parti libéral veut-il se déclarer favorable au désa-
veu des lois scolaires iniques ? Veut-il s'engager à faire
passer des lois remédiatrices, s'il arrive au pouvoir ?
Qu'il parle, qu'il se prononce, qu'il soit catégorique !
Le temps des équivoques, le temps des motions
Tarte est passé.
Il ne s'agit pas de faire le jeu d'un parti ou de l'autre ;
il s'agit de savoir s'il y a un des deux partis qui est
disposé à rendre justice à nos coreligionnaires.
Si les deux partis sont au même point, si les deux
partis ne veulent pas se compromettre, si les deux par-
tis sont d'accord pour dire que les législatures du Mani-
toba et de l'Ouest ont le droit d'opprimer les catholi-
ques sans intervention du pouvoir fédéral, alors de quel
front le parti libéral réclamerait-il notre concours ?
Des déclarations sympathiques et éloquentes il y en
a, il y en aura des deux côtés. Sir John Thompson est
plus favorable, en principe, que sir Ptichard Cartwright
aux écoles séparées. Et l'honorable M. Angers est, nous
204 MÉLANGES
le savons, plus véritablement et ardemment dévoué à la
cause des minorités que MM. Laurier et Langelier.
Ce qu'il nous faut ce sont des actes, ce sont des faits,
ce sont des programmes.
Le gouvernement fédéral, par raison politique, par
crainte de compromettre son existence, par raison d'Etat
ou autrement a refusé d'intervenir. Nous avons nette-
ment et loyalement exprimé notre manière de voir à ce
sujet.
Maintenant c'est au tour de la gauche.
Oui ou non, l'opposition, comme parti, est-elle prête
à censurer le gouvernement pour n'avoir pas désavoué
l'ordonnance Haultain ? ^
Il importe que le pays ait une réponse à cette ques-
tion.
Le parlement siège à Ottawa. L'opposition a la parole.
LES RESPONSABILITES
20 mars 1894.
Le Cultivateur disait dans son dernier numéro :
" Hélas ! oui, la question des écoles est enterrée !
" Enterrée par les criviinelles et traîtresses i^rocé-
dures du cabinet de la Puissance.
" Qui les a appuyés, ces procédures ? La Minerve,
ses confrères en dévotion officielle, les députés qui sui-
1 — En 1892, la législature des Territoires du Nord-Ouest
avait adopté une ordonnance qui lésait gravement les droits
de la minorité catholique.
MÉLANGES 205
vent quand même le cabinet et, par malheur, les dupes
au Manitoba de tout ce monde ministériel lié pieds et
poings au toryisme d'Ontario.
" N'est-ce pas Sir John Thompson qui a suggéré et
fait accepter, — grâce à son titre de catholique, — par
Mgr Taché et son entourage, la référence aux cours de
justice, la référence qui a eu pour résultat le jugement
du Conseil Privé d'Angleterre, en premier lieu."
C'est vraiment se moquer du public que de fausser
ainsi les faits.
La question des écoles de Manitoba a pris la tour-
nure que l'on sait par le consentement à peu près una-
nime de tous les intéressés.
Nos amis du Manitoba eux-mêmes craignaient le désa-
veu. M. Prendergast l'admet franchement dans sa lettre
à M. Angers ^. On avait peur des résultats de l'agita-
tion que les Martin et les Greeuway avaient soulevé.
Mgr Taché constate cet état d'esprit dans sa brochure
publiée il y a trois mois ;
" A Manitoba, tant parmi les libéraux que parmi les
1 — M. Prendergast (aujourd'hui le juge Prendergast),
député de la Vérendrj-e, et l'un des champions les plus actifs
de la minorité catholique, à ce moment, avait écrit à l'hono-
rable M. Angers, le 25 novembre 1893, une lettre où se trou-
vaient les lignes suivantes : " Quant au désaveu, la minorité
catholique du Manitoba a pu avoir tort de ne pas le récla-
mer, mais la loyauté m'oblige à vous dire qu'elle serait mal
venue de se plaindre aujourd'hui de ne pas l'avoir obtenu.
Loin d'y voir le salut, tous les députés de la minorité, tant au
local qu'au fédéral, tant libéraux que conservateurs (et mon
opinion n'a pas changé depuis), ont été unanimes à y voir
une source de difficultés insui-montables dont la cause pour-
rait se trouver irrévocablement compromise."
206 MÉLANGES
conservateurs, le désaveu était la plus impopulaire des
mesures grâce à celui exercé contre les chemins de fer.
Sur la question des écoles elle-même, on redoutait
l'agitation que ce désaveu pouvait créer ; d'ailleurs,
l'unanimité du vote sur la motion Blake faisait espérer
une solution avantageuse, quoique différente. Tout le
monde sait ici que je ne partageai pas cette illusion."
Sa Grandeur Mgr l'archevêque de Saint-Boniface
fait ici allusion à la motion Blake.
Le Cultivateur a-t-il perdu le souvenir de cette
motion fameuse ? Nous allons la lui remettre sous les
yeux:
" Que dans les occasions solennelles, quand il s'agit
du désaveu d'une législation scolaire ou de l'appel
contre cette législation, l'Exécutif ne procède pas sans
avoir soumis à un haut tribunal judiciaire les questions
importantes de loi ou de fait, de manière à ce que les
parties intéressées puissent être représentées et que
l'Exécutif puisse obtenir des informations pour sa gou-
verne."
Voici comment Mgr Taché commente cette résolution •
" Je prie ceux qui nous accusent de la responsabilité
de ne point avoir obtenu le désaveu, de méditer cette
résolution et de lire attentivement le discours par lequel
M. Blake l'a appuyée. Ce discours est au Hansard de
1890. Comme tous mes lecteurs n'ont pas la facilité de
se procurer ce document, je vais lui emprunter quelques
courts extraits. M. Blake dit :
" On convient généralement maintenant qu'un acte
.' nul (void) ne devrait pas être désavoué mais doit
«* être laissé à l'action des cours... Mon opinion person-
" nelle est que, quand, en opposition aux vues de
MÉLANGES 207
" l'Exécutif ou de la Législature d'une province, on
" songe à désavouer un acte comme ultra vires, il faut
" avoir recours aux tribunaux, et que ce recours doit
" avoir lieu dans certains cas, quand la disposition de
" l'opinion publique rend à propos la solution des pro-
" blêmes légaux par leur séparation d'avec ces éléments
" de passion ou d'opportunité qu'à tort ou h raison on
" attribue souvent aux corps politiques. Je recomman-
" derais aussi toujours ce recours dans tous les cas
" d'appel en matière d'éducation, qui provoque néces-
" sairement les sentiments auxquels je viens de faire
" allusion ; j'aurai la franchise d'avouer que ce senti-
" ment est un de ceux auxquels est due la motion que
" je propose... Quand vous vous occupez des clauses
" de l'appel en matière d'éducation, ^^ar exemple dans
" le cas du Manitoha... il est important que l'Exécutif
" politique ne s'arroge pas des pouvoirs judiciaires... Il
" devrait avoir le pouvoir d'appeler à son aide le juge-
" ment des tribunaux pour en arriver à une solution
" correcte... L'union absolue des fonctions executives,
" législatives et judiciaires serait une tyrannie absolue.
" Je ne dis pas non plus qu'elles doivent être toujours
" et absolument séparées, je ne me propose aucunement
" de dégager l'Exécutif de ses pouvoirs... mais simple-
" ment d'en faciliter le meilleur accomplissement pos-
" sible."...
• " Tout ceci est parfaitement clair. L'honorable M.
Blake propose qu'en manière d'éducation, par exemple
dans le cas du Manitoba le gouvernement n'use pas du
pouvoir de désavouer des lois provinciales, ni même
d'entendre l'appel contre ces lois, sans avoir au préa-
lable soumis la chose à un haut tribunal judiciaire, pour
208 MÉLANGES
recevoir des lumières et une direction qui, tout en lais-
sant la responsabilité ultérieure à l'Exécutif, lui per-
mettait d'agir plus sûrement, avec moins de passion, et,
par cela même, faire moins de victimes des expédients
politiques. C'était un nouveau rouage qui était proposé
à l'administration.
" Sir John A. MacDonald remercia M. Blake et insista
sur deux points : 1" Que le recours aux tribunaux tel
que proposé soit appuyé sur une loi dont les dispositions
seraient telles que dans tous les cas on pourrait en
appeler au Conseil Privé. 2^ Que cette opinion deman-
dée et reçue des hauts tribunaux ne pourrait jamais
être qu'un conseil qui n'enlèverait en aucune manière la
responsabilité du gouvernement. Encore une fois j'ose
prier le lecteur de peser ces importantes déclarations ;
elles ont leur valeur pour le passé et peuvent en avoir
pour l'avenir.
" Après ces explications du premier ministre, la
motion de M. Blake fut votée à l'unanimité des deux
côtés de la Chambre par la gauche comme par la droite ;
par les libéraux comme par les conservateurs ; par ceux
qui m'attribuent aujourd'hui la responsabilité qu'ils ont
assumée alors comme par ceux qui ont la loyauté de
reconnaitre que la question du désaveu a été tuée là
dans les Communes."
Voilà les faits. Le Cultivateur les connaît comme
nous. Comment peut-il venir diviser les responsabili-
tés, et dissimuler le rôle qu'a joué le parti libéral dans
cette affaire ?
C'est la motion Blake qui a préparé les voies aux
procédures devant les tribunaux. Cette motion est née
dans les rangs du parti libéral. Et elle a été votée par
MÉLANGES 209
les deux partis. Donc les deux partis sont responsa-
bles de ce qui a suivi.
C'est au parlement canadien tout entier qu'il faut
s'en prendre de l'état déplorable où se trouve aujour-
d'hui la question des écoles du Mauitoba. Et le renvoi
aux tribunaux, que dénonce le Galtivateur, a eu pour
premier auteur un des chefs du parti dans les rangs
duquel siège M. Tarte.
Va-t-on cesser de torturer et de dénaturer les faits
pour traiter et maltraiter cette douloureuse question des
écoles ?
Pourquoi ne pas dire toute la vérité ?
La vérité, c'est que les deux partis ont peur de cette
question.
La vérité, c'est qu'elle embarrasse également la gau-
che et la droite, le gouvernement et l'opposition, à
cause des passions sectaires et des intérêts politiques.
Ayons donc le courage de l'avouer ; efforçons-nous tous
ensemble de faire entendre la voix de la raison par-
dessus la voix du fanatisme, défaire prévaloir à gauche
et à droite l'amour de la justice sur les conseils pusilla-
nimes de la crainte ; et cessons d'avoir deux poids et
deux mesures.
Voilà la seule ligne de conduite que doivent adopter
les amis sincères de la cause catholique, dans les cir-
constances actuelles.
14
210 MÉLANGES
UNE IMPORTANTE NOUVELLE
27 juillet 1894.
Une dépêche d'Ottawa nous apportait hier la nou-
velle suivante :
" Ottawa, 25. — Le conseil des ministres a eu aujour-
d'hui une longue séance durant laquelle il s*est occupé,
dit-on, de la requête des évêques au sujet des écoles du
Manitoba et du Nord- Ouest,
" Sir John Thompson, dit-on encore, a soumis à l'ap-
probation de ses collègues un arrêté en conseil d'une
grande énergie et qui fera sensation. Des représenta-
tions seraient faites aux gouvernements du Manitoba
et du Nord-Ouest dans une forme telle qu'elles équi-
vaudraient à des ordres.
" On ajoute de plus que la position prise par le gou-
vernement est une revendication sans équivoque des
droits de la justice et des catholiques.
" Interrogés à ce sujet, les ministres répondent que
si la rumeur est vraie, elle ne pourra pas être confirmée
avant que toute l'affaire ait été soumise au gouverneur
général."
Nous avons à maintes reprises dit notre pensée, et
toute notre pensée sur la question des écoles.
Nous avons demandé justice pour les minorités du
Manitoba et de l'Ouest,
Nous accueillons avec satisfaction tout ce qui peut
indiquer que la question va entrer dans une nouvelle
phase.
MÉLANGES 211
Le devoir du pouvoir central est de faire respecter
la constitution, et d'imposer aux majorités locales le
respect des minorités ^.
M. LAURIER À WINNIPEG
6 septembre 1894.
Enfin M. Laurier est arrivé à Winnipeg, et il a parlé
de la question des écoles !
Et qu'a-t-il dit ?
Rien du tout !
Voilà la position nettement définie,
M. Laurier a battu la lame, s'est répandu en généra-
lités, en vagues déclamations. Et la conclusion qu'on
peut tirer de toutes ses paroles, c'est que le chef libéral
ne veut pas se compromettre ni compromettre son parti
sur la question des écoles.
Procédons par ordre. M. Laurier a touché deux fois
cette question : le soir de son arrivée à Winnipeg,
devant l'assemblée libérale, et le lendemain devant la
délégation catholique.
Quelles ont été ses paroles devant l'assemblée libérale ?
Les voici :
" Je crois fortement aux droits provinciaux. Aux
Communes, j'ai défendu l'autorité de la province du
1 Le 26 juillet 1894 le gouvernement fédéral avait effecti-
vement adopté un arrêté en conseil en vertu duquel des repré
sentations furent faites aux gouvernements du Manitoba et
des Territoires. On les priait de faire droit aux griefs légi-
times des minorités.
212 MÉLANGES
Maaitoba. Lorsque j'ai pris en main la pétition de mes
coreligionnaires du Manitoba, qui se plaignent de la
législation du Manitoba, je me suis demandé : de quoi
se plaignent-ils ? J'ai pris la pétition du défunt arche-
vêque— un homme qui, je crois, était respecté dans
cette province par ses amis comme par ses adversaires, —
j'ai pris cette pétition de l'archevêque et de plusieurs
autres signataires et la plainte qu'elle contenait était
que les membres du gouvernement du Manitoba — je
parle ici en présence de ces membres — avaient adopté une
législation qui, au lieu de donner à la minorité des écoles
publiques leur imposait des écoles protestantes et les
obligeaient ainsi d'envoyer leurs enfants catholiques à
des écoles protestantes,
" D'un autre côté, le gouvernement du Manitoba
niait cette prétention in toto ; il n'admettait pas que la
législation eût l'effet qu'on lui reprochait ; il prétendait
que les enfants catholiques n'étaient pas forcés de sui-
vre des écoles protestantes. J'ai dit au gouvernement
fédéral auquel était adressée la pétition : Voici une sim-
ple question de fait. C'est à vous de prouver si les faits
énoncés sont vrais ou faux." Au lieu d'agir comme je
leur conseillais, ils en ont appelé au pays et ont éludé
la question.
" J'ai fait plus — je leur ai dit comme je le dis aujour-
d'hui : si les plaintes des catholiques sont fondées, s'il
est vrai que des enfants catholiques sont obligés de
suivre des écoles protestantes, c'est un outrage telle-
ment caractérisé contre la liberté de conscience, qu'aucun
pays ne le supporterait. J'ai dit devant la Chambre :
" Prouvez-moi que les plaintes de la minorité catho-
lique sont fondées, que leurs droits sont violés, au
MÉLANGES 213
point d'être obligés d'envoyer leurs enfants à des écoles
dont l'enseignement religieux est protestant, et je suis
prêt à me présenter devant la population du Manitoba
et à leur dire que cette législation ne peut pas durer.
" Je n'ai pas d'autre cbose à dire à Winnipeg que ce
que j'ai dit au Parlement, à Québec et ailleurs."
Comme nos lecteurs peuvent le constater d'un coup
d'œil, c'est toujours la même balançoire ; si les écoles
sont vraiment protestantes, si les catholiques sont for-
cés d'envoyer leurs enfants aux écoles protestantes, si
tel est le résultat des lois scolaires manitobaines, M.
Laurier daignera proclamer à tous venants que ces lois
sont vilaines et donnent une entorse à la justice.
Voilà tout.
Le lendemain, même antienne. Qu'on lise ce compte
rendu de l'entrevue de M. Laurier avec la délégation
catholique :
" Winnipeg, 5. — C'est hier matin que l'honorable
Wilfrid Laurier a reçu les catholiques qui désiraient le
rencontrer à propos des écoles du Manitoba. La délé-
gation lui présenta d'abord une adresse de bienvenue
de la part dos catholiques et déclara qu'elle désirait
profiter de sa visite à Winnipeg pour lui soumettre les
griefs des catholiques en rapport avec cette grave ques-
tion des écoles. Avant d'exprimer une opinion, M. Lau-
rier a demandé à plusieurs délégués de faire connaître
leurs vues. Cela lui a donné occasion d'entendre discu-
ter de nouveau toute la législation scolaire de la pro-
vince du Manitoba.
" En réponse au chef de l'opposition, les délégués ont
déclaré que les catholiques n'avaient pas jugé à propos
de soumettre leurs griefs à l'honorable M. Foster et à
214 MÉLANGES
l'honorable M. Angers, lors de la visite de ces derniers
en septembre 1893, Ils n'ont pas cru la chose utile
parce que le gouvernement fédéral, s'il faut en juger par
sa conduite antérieure, ne paraît pas disposé à proposer
une législation réparatrice. La grande majorité des
partisans du gouvernement est hostile à une semblable
mesure.
" M. Laurier a répliqué qu'il croyait qu'il eût été plus
pratique et plus rationnel de soumettre la question à
ceux qui ont le pouvoir et la responsabilité de la résoudre.
" Le gouvernement, a dit le chef de l'opposition, est
" plus influent qu'un seul. Il a le pouvoir, je ne l'ai pas.
" Vous ne voulez pas soumettre vos griefs aux minis-
" très, parce que, dans votre opinion, vous ne pourrez
" pas obtenir justice d'eux. Je crois que votre devoir
" est de faire connaître telle opinion au gouvernement
" qui a la responsabilité et le pouvoir.
" Supposez, interrompit M. Golden, que sir John
" Thompson propose une loi réparatrice ; en votre qua-
" lité de chef de l'opposition, lui donneriez-vous votre
" concours pour le redressement de nos griefs ?
" M. Laurier. — Si, après avoir étudié les deux côtés
" de la question, je trouve que les catholiques sont
" obligés d'envoyer leurs enfants à des écoles protes-
" tantes, je crois que cette cause serait entendue par le
" parlement avec impartialité, et pourrait y être discu-
" tée aussi avantageusement qu'aucune autre.
" Plusieurs des plaintes de la députation sont nou-
" velles pour moi, elles n'ont jamais été formulées dans
" aucune des pétitions qui ont été envoyées à Ottawa,
" et encore une fois, ces faits devraient être portés à la
" connaissance des ministres."
MÉLANGES 215
" M. Laurier a terminé en remerciant la délégation
des renseignements qu'elle venait de lui fournir."
C'est bien la même ritournelle, n'est-ce pis ? " Si je
reconnais que les catholiques sont forcés d'envoyer
leurs enfants aux écoles protestantes..." Il ne sort pas
de là, M. Laurier.
Ou conçoit que cette attitude jette le désarroi dans
les rangs de nos libéraux. L'impression est désastreuse.
On en trouve une trace dans cette appréciation du
Monde, dont nos lecteurs connaissent les allures :
" M. Laurier a été prudent, c'est vrai, mais il ne
manquera pas de gens dans son propre parti qui trou-
veront que sa réponse est remarquablement vague pour
ne pas dire vide.
" A une députation qui lui criait; " Sauvez-nous
puisque le gouvernement nous abandonne," il a répondu :
" Mes amis, adressez-vous au gouvernement. Je n'ai
rien de bon à vous proposer."
" De fait M. Laurier s'est borné à si thèse de la der-
nière session : " Si les écoles sont protestantes au
lieu d'être neutres, je les combattrai."
Le Monde a mis le doigt sur la plaie : M. Laurier
lâche les écoles séparées dans l'Ouest. Ses déclarations
sont déplorables, non pas seulement à cause de leurs si
et de leurs détours sans franchise, mais encore et sur-
tout à cause de cette quasi reconnaissance des écoles
neutres, M. Laurier se tue à répéter : si les écoles sont
protestantes, si les catholiques sont forcés d'envoyer
leurs enfants à des écoles vraiment protestantes, je dirai
que la loi est injuste.
Mais alors, M. Laurier est d'avis que, si les écoles
ne sont pas protestantes, et qu'elles soient simplement
216 MÉLANGES
neutres, la loi est juste et ne doit pas être attaquée.
C'est une prodigieuse erreur. C'est l'abandon du prin-
cipe des dcoles séparées, confessionnelles. C'est une
véritable trahison.
Qu'on soit embarrassé de cette question, qu'on soit
effrayé des périls qu'elle comporte, des difficultés qu'elle
soulève, des crises nationales qu'elle peut provoquer,
nous comprenons cela jusqu'à un certain point, encore
que les hommes publics fédéraux nous semblent pous-
ser trop loin la crainte et la prudence, dans cette con-
joncture. Mais qu'un homme politique pousse la pusil-
lanimité jusqu'à sacrifier le principe des écoles séparées,
jusqu'à en faire bon marché, cela c'est trop fort.
C'est une honteuse capitulation que M. Laurier vient
de commettre à Winnipeg,
Désormais on sera fixé sur le compte du chef de
l'opposition. On saura où il est, ce qu'il veut, et ce
qu'on peut attendre de lui quant à la question des
écoles.
Il n'y a plus d'équivoque possible.
LA POSITION DE M, LAURIER
25 septembre 1894.
On lit dans le National :
" La Croix demandait bruyamment si oui ou non, M.
Laurier avait reconnu à Saint-Lin, que les écoles sépa-
rées du Manitoba sont des établissements protestants ?
Eh ! que nous importe au fond ce que M. Laurier a pu
dire ? Son opinion ne changera pas l'état des choses, du
MÉLANGES 217
moins de quelque temps, puisqu'il n'est pas encore
ministre. Ne rompons pas les chiens en détournant
l'attention des ministres qui peuvent tout, pour l'attirer
sur le chef de l'opposition qui ne peut rien. Quand ce
dernier sera au pouvoir, alors nous le sommerons d'agir
ainsi que nous le disions la semaine dernière. "
Le National pose mal la question. On ne somme pas
M. Laurier d'agir. On le somme de donner nettement
sou programme sur cette question vitale.
Poussé au pied du mur, il tâtonne, il se répand en
déclamations vagues, il nous accable de si, et ce qu'on
peut déduire de plus clair de tous ses discours, c'est qu'il
est favorable aux écoles neutres.
Voilà pourquoi on attache tant d'importance à ce que
M. Laurier a pu dire.
Le chef de l'opposition demande qu'on lui donne le
pouvoir. On veut savoir quel usage il en ferait.
C'est raisonnable et légitime, n'en déplaise au
National.
LA VICTOIRE DES CATHOLIQUES
DEVANT LE CONSEIL PRIVÉ
30 janvier 1895.
Nous accueillons avec bonheur la nouvelle, publiée
hier dans notre dernière édition, que les catholiques du
Manitoba ont réussi dans leur appel de la décision de
la Cour Suprême.
Comme on le sait, la Cour Suprême avait déclaré que
les catholiques n'avaient pas droit d'en appeler au gou-
218 • MÉLANGES
verneur général en conseil de la violation de leurs droits
scolaires par la législature du Manitoba.
C'est ce jugement qui vient d'être renversé par le
Conseil Privé. Le plus haut tribunal de l'empire a
décidé que la voie de l'appel au gouverneur général en
conseil est encore ouverte pour les catholiques du Mani-
toba.
Nous exprimons l'ardent espoir que cet important
arrêt fasse entrer la question dans une phase nouvelle,
qui se terminera, par la victoire du droit et de la consti-
tution.
M. LAURIER A MONTREAL
20 février 1895.
M, Laurier a parlé à Montréal.
Ses organes font beaucoup de bruit autour de son dis-
cours et de l'assemblée libérale du parc Sohraer.
Nous laissons de côté tous les commentaires, nous
laissons de côté tous les hors-d'œuvre dont la harangue
du chef de l'opposition est émaillée, et nous allons droit
à la partie qui nous paraît la plus importante dans le
moment actuel.
M. Laurier a parlé de la question des écoles.
Qu'a-t-il dit ?
Nous reproduisons ses paroles in extenso telles que
nous les apporte la Patrie, l'organe libéral de Montréal :
" Je suis heureux d'abandonner pour un moment le
domaine de l'économie politique pour discuter une ques-
tion qui intéresse particulièrement les gens de Mont-
réal, la question des écoles du Manitoba. J'ai déjà parlé
MÉLANGES 219
plusieurs fois sur ce sujet à Toronto, Winnipeg et Vic-
toria. Je vous assure que j'avais beaucoup plus de
plaisir à discuter cette question à Winnipeg ou à Toronto
plutôt qu'à Montréal, parce que là, j'éprouvais le plaisir
d'un homme qui combat pour une bonne cause. J'ai
déjà parlé fréquemment des écoles du Manitoba mais
je n'ai pas réussi à satisfaire les conservateurs ; plus je
discute la question, moins ils sont satisfaits. La diffi-
culté n'est pas nouvelle. En 1894, elle est venue devant
le Parlement, lorsque le gouvernement, après s'être
d'abord adressé aux cours, s'est de nouveau vu en face
de la question. Ils ont cherché à la soumettre encore
aux tribunaux et ils ont réussi. C'est alors que j'ai
déclaré en Chambre que ce n'était pas une question de
droit, mais une question de fait. J'ai pris la pétition
adressée au gouvernement par l'évêque de Saint-Boni-
face, le très regretté Mgr Taché, dans laquelle il décla-
rait que, sous prétexte d'introduire au Manitoba des
écoles publiques, on établissait réellement des écoles
protestantes. J'ai demandé au gouvernement pourquoi
s'adresser aux tribunaux : Si ce sont des écoles i^rotes-
tantes, c'est un outrage que ne supportera jamais un
pays libre. Cette déclaration, je l'ai répétée, pas une fois,
mais dix fois, dans Ontario. Il y a quinze jours, je la
répétais à Toronto. Mais les journaux conservateurs
demandent : pourquoi Laurier ne va-t-il pas plus loin ?
Eh bien, messieurs, comparez mon langage avec celui
des ministres. Dans les pays constitutionnels, il y a
deux côtés : le gouvernement et l'opposition. J'ai indi-
qué ma position. Il y a ici des conservateurs. Y en
a-t-il un qui puisse me dire quelle est la politique du
gouvernement ?
220 MÉLANGES
" Quelqu'un peut-il ine citer une déclaration de M,
Ouimet, de M, Angers ou de M. Caron ? J'ai déclaré
que c'était une question de fait et que si elle était con-
forme à ce que disait Mgr Taché, c'était un outrage into-
lérable. La presse conservatrice dit que ce n'est pas
aller assez loin. S'il en est ainsi, quel ne doit pas être
le mépris dont nous pouvons accabler un gouvernement
qui n'a pas encore trouvé un mot à dire, une opinion à
exprimer sur la question ? Si je ne vais pas assez loin,
que le gouvernement fasse davantage. Je défie M.
Angers d'en faire autant, A Vaudreuil, M. Angers a
dit qu'il se couperait la main, si justice n'était pas ren-
due, et pourtant je crois qu'il a encore ses deux fnains.
Il a même encore ses deux pieds pour sauter par-dessus
la constitution. Je défie M. Ouimet, je défie M. Caron
d'en dire autant. Lorsque les ministres français du
cabinet en auront fait autant que moi, je tiendrai compte
de leurs attaques; mais, jusque-là, je les traiterai avec
le plus profond dédain."
Voilà les paroles de M. Laurier,
Elles sont conformes au langage équivoque et vague
qu'il a tenu jusqu'à présent.
Allons plus loin, elles sont la manifestation réitérée
d'un état d'esprit absolument repréhensible au point de
vue catholique.
Pour M. Laurier, toute la question est dans cette
phrase : " Si les écoles du Manitoba sont protestantes."
Eh bien, M. Laurier, chef de parti, canadien-français
et catholique, a l'irréparable malheur, soit par malhon-
nêteté politique, soit par une criminelle ignorance des
vérités de la foi, de poser à faux cette grande et vitale
question.
MÉLANGES 221
Non, monsieur, ce n'est pas en disant : Si les écoles
sont protestantes, que l'on arrivera à une solution juste.
Sans doute, si les (écoles sont protestantes, c'est une
abomination; mais si les écoles sont neutres, cela ne
vaut guère mieux.
Le vrai terrain où doit être placé le débat, c'est celui
des écoles séparées : les protestants ayant leurs écoles
protestantes, les catholiques ayant leurs écoles catholi-
ques. Dans un pays mixte comme le nôtre, voilà le
véritable moclus Vivendi, le seul qui soit pratique et
qui puisse donner satisfaction à toutes les consciences.
Il est clair que M. Laurier n'envisage pas la question
à ce point de vue. Son idéal, c'est l'école neutre, l'école
sans enseignement religieux, l'école sans credo.
La religion hors l'école, telle paraît être sa prédilec-
tion secrète. Tous les enfants du peuple s'asseyant sur
les mêmes bancs, sans distinction de races ni de croyan-
ces, le même maître donnant à tous le même enseigne-
ment d'où l'on bannira l'élément religieux, laissant uni-
quement à la famille le soin de l'introduire dans l'édu-
cation, voilà son rêve.
Eh bien ! ce rêve est une chimère. Et pis que cela,
M. Laurier, c'est une apostasie !
Ah ! étant ce que vous êtes, et pensant ce que vous
pensez, vous faites preuve d'une incroyable audace en
apostrophant M. Angers et ses collègues comme vous
l'avez fait à Montréal. Voulez-vous savoir ce qne font
M. Angers et ses collègues depuis deux ans ? Pendant
que vous contiez fleurette à Jos. Martin et à Greenway,'
d'une part, et que vous essayiez, d'autre part, à blaguer
les catholiques avec votre balançoire oratoire qui pen-
chait toujours du côté de l'école neutre, M. Angers et
222 MÉLANGES
ses collègues catholiques luttaient silencieusement, mais
avec une indomptable énergie, pour le triomphe et la
résurrection des écoles séparées. Lorsque le jugement
de la Cour Suprême semblait enterrer la question, au
moment même où vous, M. Laurier, et votre organe le
Globe, proclamiez avec joie que c'était là une question
morte, M, Angers et ses collègues organisaient la résis-
tance, déterminaient les catholiques à porter encore une
fois la cause au Conseil Privé, en dépit de certaines
préventions respectables, et entraînaient tous les mem-
bres du cabinet fédéral avec quelques amis — quatorze
répondants en tout, — à souscrire la somme nécessaire
aux frais d'appel, $8,000 environ, croyons-nous. Et
cela pour ressusciter cette question proclamée morte,
avec exultation, par le parti libéral.
Grâce à leurs efforts, grâce à leurs sacrifices, elle est
ressuscitée, cette question brûlante. Aujourd'hui, merci
à M. Angers et à ses collègues, commence à luire pour
les catholiques du Manitoba l'aurore de la justice.
Le 26 février, mardi prochain, l'appel des catholiques
va être entendu.
C'est le premier pas dans la voie de la réparation.
Et voici ce qui va suivre, Nous ne sommes pas par-
tisan quand même du cabinet fédéral, nous ne lui som-
mes pas inféodé, nous ne lui sommes attaché par aucun
lien, et, surtout depuis un an, nous avons tenu à garder
envers lui une attitude indépendante, précisément en
vue de cette question des écoles. Eh bien, nous sommes
heureux de pouvoir le dire aujourd'hui, le gouvernement
fédéral est déterminé h. rendre justice à la minorité
opprimée du Manitoba. Il est déterminé à faire res-
pecter la constitution, coûte que coûte. Il est déter-
MÉLANGES 223
miné à redresser les griefs. Il est déterminé à rendre
aux catholiques de la province manitobaine les écoles
séparées qu'ils ont perdues.
Ce n'est pas un vain langage que nous tenons en ce
moment. Nous ne prétendons pas avoir autorité pour
faire ces déclarations, mais nous savons que des actes
justifieront nos paroles.
Et lorsque ces actes s'accompliront, lorsque le pro-
gramme du gouvernement recevra ses développements,
laissant de côté toute autre considération, nous applau-
dirons à ces actes, tous les bons citoyens, tous les amis
de l'ordre, de la constitution et de la justice y applau-
diront comme nous.
Et alors M. Laurier, emporté par le courant, lâchant
enfin ses écoles neutres, et se mettant piteusement à la
remorque, se prononcera à contre-cœur pour les écoles
séparées.
Mais nous ne lui promettons pas qu'il obtiendra, avec
cette conversion tardive, le même succès que les ou
vriers de la onzième heure dont parle l'Evangile.
UN ARTICLE DU HAMILTON SPEG-
TATOR
28 février 1895.
Nous avions noté spécialement un article du Hamil-
ton SiJedator, sur la question des écoles, dans l'inten-
tion d'y répondre.
Les journaux libéraux, YEledeur et la Patrie, nous
224 MÉLANGES
apportent cet article, ce qui nous épargne la peine de
le traduire. Le voici :
" On a suggéré au gouvernement du Dominion de
donner à la minorité catholique du Manitobaune partie
de ce que les anglais appellent les terrains scolaires de
cette province, pour aider cette minorité à soutenir ses
écoles séparées.
" Ces terrains ont été donnés au Manitoba par acte du
parlement pour des fins scolaires. On peut alléguer que
]e pouvoir qui donne peut aussi ôter. Quoi qu'il en soit,
ces terrains appartiennent ou à la population du Mani-
toba ou à celle du Dominion. Nous ne croyons pas que
le gouvernement du Dominion puisse être induit à com-
mettre celte injustice, de donner ce qui appartient à
tout le Dominion dans le but de faire enseigner une cer-
taine religion à une certaine secte.
" Si ces terres appartiennent au Manitoba à condition
qu'elles servent à des fins d'éducation, cette province
peut eu disposer comme elle l'entendra, aussi longtemps
que la condition sera observée. Une subvention de la
part du gouvernement du Dominion — une subvention
prise sur l'argent du peuple entier pour faire ensei-
gner une religion spéciale à une secte — cela donnerait
lieu aux mêmes objections que de donner une subven-
tion en terres du Dominion.
" Il nous semble que l'action — ou plutôt l'inaction du
gouvernement du Dominion dans l'affaire des biens des
Jésuites dans la Province de Québec, est un bon précé-
dent à suivre.
" Dans ce cas on n'est pas intervenu sur le terrain des
droits de la province de Québec et les gens de Québec
ont été satisfaits. Si la même règle est suivie dans
MÉLANGES 225
cette affaire du Manitoba, les Qiiébecquois n'ont pas le
droit d'être mécontents.
La doctrine des droits des provinces doit être appli-
quée à toute les provinces ou à aucune.
Le Hamilton Spectator est un des principaux orga-
nes conservateurs protestants de la province d'Ontario,
et, par conséquent, son attitude vaut la peine qu'on s'en
occupe.
Cette attitude prouve que le gouvernement fédéral ne
s'est pas mis une petite besogne sur les bras, en entre-
prenant de régler la question des écoles et de rendre
justice à la minorité catholique.
Comme on le voit, nous n'essayons pas de dissimuler
ou de masquer la situation. Nous sommes d'avis que
cette question brûlante, plus que toute aiitre, commande
la plus absolue franchise.
Nous reconnaissons donc volontiers que le Hamilton
Spectator, journal conservateur important, commence à
montrer les grosses dents au gouvernement à propos de
la question des écoles.
Et nous sommes heureux de saisir cette occasion pour
dire notre façon de penser au groupe dont ce grand jour-
nal se fait l'écho.
Cette façon de penser, la voici : c'est que, quels que
soient les préjugés, quelles que soient les répugnances
de l'école, des hommes, des politiciens dont le Spectator
reflète les idées, il faut que la question des écoles soit
réglée dans le sens de la justice et de la constitution.
Et elle le sera.
Voilà quatre ans qu'elle est posée devant l'opinion,
voilà quatre ans qu'elle trouble les esprits, qu'elle divise
les partis, qu'elle agite le parlement et l'électorat, qu'elle
15
226 MÉLANGES
est une source de malaise, de conflit, de défiance. Elle
est devenue un danger pour la paix et le progrès de
cette Confédération.
Il est temps d'en finir.
Le Hamilton Spectator déplace malhonnêtement la
question. Il rappelle le non désaveu de la loi des biens
des Jésuites, et il s'écrie : on n'est pas intervenu alors,
qu'on n'intervienne pas aujourd'hui et tout sera bien.
Eh bien, non, tout ne serait pas bien ; car en interve-
nant alors, on aurait certainement violé l'esprit de la
constitution, et en intervenant aujourd'hui, ou ne fera
qu'obéir à la constitution.
Dans le cas de la loi des biens des Jésuites, on voulait
faire désavouer une législation par laquelle la province
de Québec affectait à certaines fins les deniers publics
dont elle avait l'incontestable disposition. Désavouer la
loi, c'eût été empiéter sur les droits constitutionnels de la
province de Québec.
Dans le cas actuel, au contraire, c'est le gouverne-
ment du Manitoba qui a outrepassé ses droits en violen-
tant la minorité ; et le gouvernement fédéral, en interve-
nant pour protéger la minorité, ne fera que se conformer
à ce que prévoit la constitution en pareil cas. Le Spec-
tator connaît-il la clause 22 de l'acte du Manitoba. Nous
allons la lui mettre sous les yeux :
" 22. Dans la province du Manitoba, la législature
pourra exclusivement décréter des lois relatives à l'édu-
cation, sujettes aux dispositions suivantes :
*• (1). Eien dans ces lois ne devra préjudiciel à aucun
droit ou privilège conféré, lors de l'union, par la loi ou
par la coutume à aucune classe particulière de personnes
dans la province relativement aux écoles séparées.
MÉLANGES 227
" (2). Il pourra être interjeté appel au gouverneur
général en conseil de tout acte ou décision de là légis-
lature de la province ou de toute autorité provinciale
affectant quelqu'un des droits ou privilèges de la mino-
rité protestante ou catholique romaine des sujets de
Sa Majesté relativement à l'éducation.
" (3). Dans le cas où il ne serait pas décrété par telle loi
provinciale que, de temps à autre, le gouverneur géné-
ral en conseil jugera nécessaire pour donner suite et
exécution aux dispositions du présent article — ou dans
le cas où quelque décision du gouverneur général en
conseil, sur appel interjeté en vertu du présent article,
ne serait pas dûment mise à exécution par l'autorité
provinciale compétente — alors en tout tel cas, et en
tant seulement que les circonstances de chaque cas
l'exigeront, le parlement du Canada pourra décréter des
lois propres à y remédier pour donner suite et exécu-
tion aux dispositions du présent article, ainsi qu'à toute
décision rendue par le gouverneur général en conseil
sous l'autorité du présent article."
Voilà la constitution.
Le plus haut tribunal de l'empire vient de décider
qu'en vertu de cette clause le gouvernement fédéral a
le droit d'intervenir.
Que le Spectator nous cite un article spécial de la
constitution qui enjoignît au gouvernement fédéral de
désavouer la loi des Jésuites. Nous l'en défions.
Bien au contraire, les aviseurs légaux de la Couronne
en Angleterre, ont déclaré officiellement que le cabinet
d'Ottawa avait agi conformément à la constitution en
ne la désavouant pas.
228 MÉLANGES
Le Hamilton Spedator devra reconnaître lui-même
que sa position est insoutenable.
Mais qu'il le reconnaisse ou non, ce qui doit se faire
se fera,
La question des écoles est devenue une de ces grandes
questions constitutionnelles et politiques dont la solu-
tion s'impose aux hommes d'Etat dignes de ce nom ;
une de ces questions dont les annales parlementaires
anglaises, en ce siècle, nous ont transmis plus d'un
exemple mémorable, et qui ont été réglées par la sagesse
opportune et l'esprit d'équité de grands ministres et de
grands citoyens, tels que Wellington, pour ne citer qu'un
nom, réglant la question catholique en 1829, en dépit
de préjugés séculaires.
Notre pays est dans un de ces moments solennels où
la voix des préjugés doit se taire, nous en avertissons
le Hamilton Spedator.
Il faut que le parti conservateur règle la question
des écoles et protège la minorité, ou qu'il tombe.
Si le Hamilton Spedator veut que le parti conser-
vateur tombe, qu'il persévère dans la voie indiquée par
son article.
Pour nous, nous voulons que justice soit rendue par
le parti conservateur, nous savons qu'elle le sera, et
nous afiBrmons que malgré tous les préjugés, le parti
conservateur triomphera en rendant justice.
MÉLANGES 229
LES FANATIQUES ET LE GOUVERNE-
MENT
1er mars 1895.
Les fanatiques de Toronto se trémoussent.
Une dépêche annonce que certains meneurs prépa-
rent une immense démonstration soit-disant conserva-
trice, pour protester contre la politique réparatrice du
gouvernement dans la question des écoles.
On veut intimider sir MacKenzie Bowell et ses col-
lègues. On veut les menacer de la mort politique s'ils
rendent justice à la minorité.
Et bien, soit ! Il est aussi bon que la question se
pose nettement.
Et il vaut peut-être mieux que les positions se des-
sinent et s'accusent.
Nous ne ferons pas de menaces au gouvernement,
nous ; nous n'en avons pas à lui faire, car nous savons
qu'il est décidé à protéger la minorité.
Mais nous dirons aux fanatiques du News et à ses
pareils qu'ils ne sont pas le parti conservateur, et qu'ils
ne mèneront pas le parti conservateur.
Nous leur dirons que le jeu qu'ils veulent jouer se
joue à deux.
Nous leur dirons que s'ils veulent empêcher le gou-
vernement d'exécuter la décision du plus haut tribunal
de l'empire, de faire respecter la constitution, et de
secourir une minorité opprimée dans ses droits constitu-
tionnels, ils font aussi bien de se préparer à aller passer
vingt ans dans les froides régions de l'opposition.
Les gens du News, les partisans et les complices
honteux de McCarthy, ces pseudo-conservateurs, dépu-
230 MÉLANGES
tés, journalistes ou tireurs de ficelles qui pactisent en
sous-main avec la P. P. A., nous les connaissons.
Il n'y en a pas de plus affamés, de plus attachés au
pouvoir, de plus ardents à la curée.
Qu'ils choisissent entre la satisfaction de leurs haines
et de leurs misérables préjugés, et la ruine, l'effondre-
ment, l'annihilation politiques.
Car pour nous notre résolution est prise ; et nous ne
parlons pas en notre nom seul, mais au nom de l'opi-
nion conservatrice en cette province.
Nous sacrifierons tout au triomphe de la justice et
de la constitution. Nous briserons tous les obstacles
qui se dresseront sur notre route.
Nous romprons avec quiconque s'écartera de cette
voie. Et s'il faut que notre parti tombe au milieu de
cette crise, au moins nous aurons sauvé l'honneur de
notre drapeau, le drapeau de Lafontaine, de Morin, de
Taché et de Cartier.
Mais le parti conservateur ne tombera pas. Il va se
grandir en rendant justice aux faibles, malgré les rugis-
sements du fanatisme, et il va remporter la victoire en
ralliant à sa cause tous les meilleurs éléments de la
Confédération.
LE DISCOURS DE M. LAURIER
ET LES QUESTIONS DU COURRIER DU CANADA
14 mars 1895.
M. Laurier a prononcé ses oiacles à Saint- Roch, avant-
hier soir.
MÉLANGES 231
VEiecteur et l'Evénement rapportent longuement
son discours, et nous l'avons lu attentivement.
Qu'y a-t-il dans cette harangue ? A part les attaques
à l'adresse de ses adversaires, rien ou presque rien.
M. Laurier s'est beaucoup occupé de notre journal.
Il tenait le Courrier du Canada à la main, et à plus
d'une reprise il a lancé ses foudres contre son directeur,
M. Chapais. Mais il a complètement négligé de répon-
dre aux questions que nous lui avons posées.
Voici quelles étaient ces questions :
" M. Laurier est à Québec.
" Aurait-il l'obligeance de donner son avis sur quel-
ques questions très actuelles.
" Que pense-t-il de l'article du Glohe ^ du 6 mars cou-
rant?
" Est-il d'opinion que le gouvernement fédéral doit
intervenir dans la question des écoles du Manitoba ?
"N'est-il pas d'avis que la conduite de ses amis Green-
way, Martin, Sifton, chefs libéraux du Manitoba, a été
déloyale, lâche et brutale dans cette affaire ?
" Va-t-il flétrir ces hommes, ses alliés, comme ils le
méritent ?
" Est-il prêt à déclarer comme VEiecteur que le gou-
vernement fédéral a forfait à son devoir en ne désa-
vouant pas la loi de 1890 et celle de 1894 ?
' " Nous aimerions beaucoup à entendre M. Laurier
donner des réponses franches et catégoriques à ces ques-
tions pertinentes."
1 _ Le Globe de Toronto, le plus important organe du parti
libéral au Canada, avait publié un article à sensation dans
lequel il protestait énergiquement contre toute intervention
fédérale dans les affaires scolaires du Manitoba.
232 MÉLANGES
Ces questions n'avaient, croyons-nous, rien de mal-
honnête, rien de déloyal, rien d'inopportun. M. Laurier
est chef de parti, il demande la confiance de l'électorat,
et tout électeur, à plus forte raison tout organe de l'opi-
nion publique, a le droit de lui demander quelles sont
ses vues et quel est son programme.
Le Globe, le plus important journal de l'opposition,
vient de se déclarer contre l'intervention fédérale dans
le système scolaire du Manitoba. Il importe que nous
sachions si cette politique est celle de M. Laurier, de
M. Laurier qui répète toujours en termes habilement
vagues qu'il rendra justice s'il arrive au pouvoir.
11 rendra justice, comment ? par quel moyen ?... 11
n'y a qu'un seul moyen, l'intervention ; or, le Globe
dit : Pas d'intervention ! 11 est bien naturel qu'on
demande à M. Laurier de contredire le Globe.
MM. Greenway, Martin, Sifton, sont les chefs du
parti libéral au Manitoba. Ils ont reçu M. Laurier en
triomphe l'automne dernier à Winnipeg. Et ces mêmes
hommes sont les auteurs de la persécution dirigée con-
tre les catholiques. Lorsque la presse libérale maudit
MM. Bowell, Haggart, Tupper, etc., qui ne sont pas les
auteurs de la persécution, nous aurions voulu entendre
M. Laurier dénoncer les vrais auteurs du mal, les
Greenway et consorts, et donner ainsi une preuve de sa
sincérité et de sa justice.
VElecteur, la Patrie, fulminent contre le gouverne-
ment fédéral parce qu'il n'a pas appliqué le désaveu
aux lois scolaires du Manitoba. 11 nous paraissait im-
portant que M. Laurier, dont le rôle naturel est de
censurer le gouvernement, fît connaître son opinion
quant à ce non désaveu. S'il croit le gouvernement
MÉLANGES 233
digne de censure, qu'il le dise; si au contraire, il croit
que le gouvernement a mieux fait de ne pas appliquer
le désaveu, — et en réalité, telle est son opinion, — il est
intéressant de savoir que notre presse libérale flétrit le
gouvernement pour une ligne de conduite dont M. Lau-
rier est complice dans son cœur.
Comme on le voit, toutes nos questions étaient perti-
nentes et touchaient à des sujets d'une palpitante actua-
lité.
M. Laurier pouvait ne pas s'occuper de ces questions,
il pouvait ne pas les avoir lues, il pouvait prétendre les
ignorer. Mais ce qu'il y a de grave, c'est qu'il s'en est
occupé et qu'il n'y a pas répondu.
Nous allons citer le compte rendu de l'Electeur «t
celui de l'Evénement, Voici d'abord l'Electeur :
" Aujourd'hui, les journaux à bons principes, comme
le Courrier du Canada, ne s'adressent pas à leurs amis
pour savoir ce qu'ils vont faire, mais c'est à moi. Je suis
•prêt à répondre aux questions du " Courrier" Avant
longtemps je serai Premier-ministre du Canada
(appel) et alors je ne reculerai pas de vaut les responsabi-
lités qu'il me faudra assumer."
Le compte rendu de Y Evénement est plus long :
" A ce sujet, il est très intéressant de lire les jour-
naux conservateurs, les journaux à bons principes. Je
tiens dans ma main le Courrier du Canada qui me
pose des questions auxquelles j'aurai occasion de
répondre dans un instant.
" Jusqu'ici j'avais cru que je n'étais rien qu'un sim-
ple député représentant Québec-Est aux Communes ;
mais à lire le Courrier, je serais tenté de croire que je
vais devenir premier ministre du Canada, puisqu'il
234 MÉLANGES
s'adresse à moi et me demande de régler la question des
écoles. Il est possible que lorsque le peuple se sera
prononcé je devienne quelque chose. Il est possible
que je sois un jour premier ministre du Canada. Mais
en attendant, pourquoi le Courrier ne s'adresse-t-il pas
à Sir Adolphe Caron, à l'honorable M. Angers et à sir
Mackenzie Bowell ? On ne fait pas cela. C'est Laurier
qui doit se prononcer, c'est lui qui doit indiquer la voie
à suivre, c'est lui qui doit enseigner aux ministres la
vraie manière de régler cette grande question.
" Evidemment, les organes à bons principes savent
que leurs ministres ne sont pas sur un lit de roses et ils
ont la naïveté de l'avouer. Quant à moi, j'avoue fran-
chement que cela ne me fait pas de peine de voir le
gouvernement dans l'embarras (rires et appl.).
" A la rigueur, je ne vois pas pourquoi je serais
obligé de me prononcer. Mais comme ^e me suis tou-
jours efforcé d'avoir le courage de mes convictions, je
tiens à déclarer ici que je suis 'prêt à accepter la res-
ponsahilité du régleraient de cette question lorsque le
temps viendra (appl.)."
C'est clair, n'est-ce pas ! M, Laurier prendra la res-
ponsabilité du règlement de la question des écoles
quand il sera premier ministre ! ! !
Quel sera ce règlement ?... quelle sera sa portée ?...
sera-t-il dans le sens du Glohe ou dans celui de VElec-
teurl... Vous saurez cela plus tard ; en attendant votez
pour moi et mes candidats.
Voilà l'attitude de M. Laurier.
Eh bien, nous disons que c'est l'attitude d'un fourbe.
M. Laurier ne veut pas dire s'il approuve ou désap-
prouve le Olobe.
MÉLANGES 235
Il ne veut pas dire s'il condamne ou ne condamne
pas Greenway, Martin et consorts.
Il ne veut pas dire s'il blâme ou ne blâme pas le
gouvernement pour n'avoir pas désavoué les lois de
1890 et de 1894.
Muet sur toute la ligne.
M. Laurier n'est pas un chef de parti, c'est un sphinx.
Nous dénonçons son attitude à tous les gens de bonne
foi.
Il prétend que nous ne nous adressons pas à nos
amis pour savoir ce qu'ils vont faire.
C'est faux. Nous avons demandé au gouvernement
fédéral de rendre justice, nous lui avons demandé d'in-
tervenir dans la question scolaire, nous avons posé car-
rément notre ultimatum, et le gouvernement a déjà
commencé à nous répondre en entendant avec toute la
célérité possible l'appel des catholiques. Nous avons le
ferme espoir qu'il va continuer à suivre cette voie.
Et nous devons à la justice de proclamer que, dès à
présent, l'attitude du cabinet fédéral est dix fois plus
courageuse et plus nette que l'attitude pleine de réti-
cences et de faux-fuyants de M. Laurier.
M. CLARKE WALL ACE
16 mars 1895.
Si les paroles que M. Clarke Wallace vient de pro-
noncer devant la grande loge orangiste sont exactement
rapportées, le contrôleur des douanes a commis, non
236 MÉLANGES
seulement contre la vérité et la justice, mais aussi
contre le parti et contre le gouvernement conservateurs
un inqualifiable outrage.
Un homme qui occupe la position de M. Wallace n'a
pas le droit de parler de la sorte. Quand une question
aussi grave que la question des écoles du Manitoba est
sous la considération du gouvernement dont il est soli-
daire, de qui il relève, et sous lequel il occupe une
position d'honneur et de profit, il n'est pas loisible à
M. Wallace de préjuger cette question, de la trancher
du haut de son ignorance, et de sa brutalité sectaire.
Nous en avons assez de toutes ces frasques périodi-
ques, de tous ces coups de tête ineptes et dangereux.
Le moment n'est pas aux incartades. Jamais le parti
conservateur n'a eu plus besoin de sagesse, de clair-
voyance et de courage.
Arrière les brouillons et les enragés, et que ceux qui
savent penser et prévoir fassent taire ceux qui ne savent
faire ni l'un ni l'autre !
JUSTICE AUX CATHOLIQUES
22 mars 1895.
C'est avec bonheur que nous venons annoncer à nos
lecteurs que le gouvernement fédéral s'est montré à la
1 — L'appel de la minorité catholique du Manitoba avait
été entendu devant le Conseil Privé d'Ottawa, les 4, 5, 6 et
7 mars 1895. M. Ewart plaidait pour les catholiques, M. Dal-
ton McCarthy pour le gouvernement de Winnipeg. Le 21
mars l'arrêté en conseil connu sous le nom de remédiai order
fut adopté par le gouvernement.
MÉLANGES 237
hauteur de sa tâche, à la hauteur de son devoir, à la
hauteur de sa mission la plus sacrée, celle de protéger
les minorités opprimées.
L'ordre en conseil que nous avons si souvent annoncé,
le remédiai order adressé au gouvernement du Mani-
toba, a été adopté et signé avant-hier. Hier ce docu-
ment important est parti pour Winnipeg.
Et ce n'est pas une de ces pièces diplomatiques qui
ne veulent rien dire, où l'absence d'une pensée nette se
dissimule sous le fatras des mots.
Non, c'est une décision qui est prise solennellement
et qui s'affirme catégoriquement, une décision virile,
courageuse, absolue, une décision basée sur le droit et
la constitution, et ayant pour objet de rendre justice à
la minorité catholique du Manitoba.
Nous publions ci-dessous le remédiai order.
Il est clair, sans équivoque.
Il dit que la législature du Manitoba doit rendre à
la minorité catholique tous les droits et i^rivilèges sco-
laires dont ils jouissaient avant la loi de 1890,
Et dans l'ordre en conseil sur lequel est basé le
remédiai order, le cabinet déclare que si la législature
du Manitoba néglige ou refuse d'adopter une législation
réparatrice, alors il appartiendra au Parlement fédéral
d'adopter telle législation.
Et comme corollaire à tout cela, le cabinet fédéral
convoque le parlement pour le 18 avril.
C'est un coup de maître.
Et nous crions : bravo ! du fond du cœur, à nos
ministres.
238 MÉLANGES
LES INIQUITÉS DE L'ESPRIT DE PARTI
25 mars 1895
C'est en lisant la presse libérale depuis quelques
jours que l'on comprend bien jusqu'où peuvent aller
l'esprit de parti et l'iniquité du fanatisme politique.
Il ne devrait y avoir en ce moment parmi nous qu'une
seule voix pour reconnaître et applaudir le grand acte
de justice que vient d'accomplir le cabinet d'Ottawa.
Qu'on soit libéral ou conservateur, on doit pouvoir
être assez impartial, au moins dans certaines circonstan-
ces solennelles, pour admettre que des adversaires font
leur devoir, et leur prêter main forte au besoin, sauf à
reprendre la bataille au lendemain de cette trêve.
Lorsque M. Mercier a réglé la question des Jésuites,
le Courrier du Canada lui a reconnu son mérite, l'a
félicité et soutenu dans cette mesure, ce qui ne nous a
pas empêché de combattre plus tard et de dénoncer
énergiquement ses erreurs et ses fautes.
Dans la presse libérale, on ne comprend pas ainsi les
choses. C'est une honte de voir comment nos journaux
rouges se ruent sur le remédiai order, qui comble de
joie évêques, prêtres, laïques, en un mot tous les catho-
liques dignes de ce nom 1
Qu'on lise par exemple l'Electeur de samedi.
Que dit-il:
" Après avoir lu ce document, attendu depuis si long-
temps, on se demandera avec nous ce que doivent en
penser les catholiques.
" Doivent-ils en être satisfaits ?
MÉLANGES 239
"Ou bien ne doivent- ils pas plutôt regretter de se
voir encore leurrés par un autre moyen dilatoire !
" Pour tout homme sincère, dégagé un peu des res-
ponsabilités ou des attaches du parti au pouvoir, il n'y
a pas de doute que le message officiel ne comporte
aucune mesure satisfaisante ; qu'il ne peut pas avoir
pour effet de rétablir les écoles catholiques du Manitoba,
même s'il était sanctionné par le parlement.
" Et c'est pourtant cela que les journaux bleus affi-
chent dans leurs colonnes comme le " remédiai order "
qui doit satisfaire les justes réclamations du Canada
catholique !
" C'est cela que des Canadiens-français, ayant quel-
ques prétentions d'être pris au sérieux comme hommes
d'Etat, occupant de hautes charges dans leur parti, s'en
•viennent nous donner comme un règlement de la ques-
tion des écoles dans le sens catholique !
" N'est-ce pas plutôt avec ce délire hypocrite de p)ar-
tisan que l'on compromettra définitivement le sort de
cette question scolaire au Canada ? "
En vérité, une telle injustice, un tel aveuglement
inepte ne sont-ils pas chose révoltante ?
Mais, pauvres fanatiques, le remédiai order recon-
naît, proclame, sauvegarde tous les droits et privilèges
de la minorité catholique, tous, sans exception !
Le remédiai order met le gouvernement du Mani-
toba en demeure de rendre à la minorité catholique
tout ce qui lui a été enlevé par la loi néfaste de 1890 ;
tout, sans exception !
Otez vos lunettes rouges, et lisez ceci, gens de l'Elec-
teur :
" En conséquence, le comité recommande que le dit
240 MÉLANGES
appel soit permis et que Votre Excellence en conseil
juge et décide, que par les deux actes passés par la
Législature de la province du ManiLoba, le 1er jour de
mai 1890, intitulés respectivement : " Un acte concer-
nant le département de l'Education," et " Un acte con-
cernant les Ecoles publiques," les droits et privilèges
de la dite minorité catholique romaine de la dite
province au sujet de l'éducation, antérieurs au 1er
jour de mai 1890, ont été affectés en privant la mino-
rité des droits et privilèges suivants dont jouissait,
antérieurement et jusqu'au 1er jour de mai 1890, la
dite minorité, savoir :
" (a) Le droit de construire, de maintenir, d'équiper,
d'administrer, de conduire et de supporter les écoles
catholiques romaines de la manière stipulée par. les dits
statuts qui ont été abrogés par les deux actes de 1890»
précités.
" (b) Le droit de recevoir une part proportionnelle
de toute allocation des fonds publics pour les fins
d'éducation.
" (c) Le droit d'exemption des dits catholiques
romains, comme contribuant déjà aux écoles catholiques
romaines de tout paiement ou contribution pour le sou-
tien de toutes les autres écoles."
" Et le comité recommande aussi que Votre Excellence
en Conseil déclare de plus et décide, que pour la juste
exécution des dispositions de la section 22 de l'Acte du
Manitoba, il semble nécessaire que le système d'éduca-
tion contenu dans les deux actes de 1890 précités,
devrait être supplémenté par un acte provincial ou des
actes provinciaux qui rendraient à la minorité catho-
lique romaine, les dits droits et privilèges dont la dite
MÉLANGES 241
minorité a été 'privée tel que susdit et qui modifie-
raient les dits actes de 1890 en autant, et en autant
seulement, qu'il peut être nécessaire jJour donner effet
aux dispositions rétablissant les droits et privilèges
contenus dans les paragraphes (a), (h) et (c) ci-dessus
mentionnds,"
Nous avons souligné les passages qui font mieux
ressortir toute la portée de cet ordre.
Par cette décision, le gouvernement fédéral affirme
que la législature du Manitoba a enlevé à la minorité
ses droits et privilèges; il énumère ces droits et privi-
lèges dans leur intégrité, et il juge et décide qu'il est
nécessaire que ces droits et privilèges soient rendus à
la dite minorité.
Ce n'est pas tout ; le remédiai order ajoute :
" Si Votre Excellence trouve bon d'approuver les
recommandations ci-dessus, le comité désire déclarer
qu'il s'ensuit que le refus ou la négligence de la légis-
lature du Manitoba de passer la législation répara-
tHce, qui semble nécessaire à Votre Excellence en Con-
seil, conférera au Parlement l'autorité de passer telle
loir
Voilà le corollaire, voilà la sanction du remédiai
order nettement indiquée. Si le gouvernement et la
législature du Manitoba n'agissent pas, il appartiendra
au Parlement fédéral d'agir, et d'adopter la loi répara-
trice qui rendra à la minorité catholique tous les droits
et privilèges qui lui ont été enlevés.
Tel est le remédiai order.
Pouvait-il être plus conforme aux demandes des
catholiques du Manitoba ?
Pouvait-il être plus large, plus juste, plus réparateur ?
16
242 MÉLANGES
Ce ne sont pas là les ëcoles neutres, les écoles simple-
ment non protestantes, telles que semblait vouloir les
indiquer comme solution Laurier le taciturne.
Ce sont les écoles séparées dont jouissaient les catho-
liques avant 1890 que le gouvernement fédéral entre-
prend de rendre aux catholiques.
Et, c'est en présence d'une mesuie aussi complète,
aussi catégorique, aussi vigoureuse, que des journaux
comme VElccteur ont le triste courage d'élever la voix
pour injurier les hommes publics qui ont eu la cons-
cience, l'intrépidité et le sens politique de l'adopter !
Nous livrons cette attitude odieuse et criminelle aux
sévérités de l'opinion publique.
NOTRE ATTITUDE
26 mars 1895.
Ou lit dans l'Electeur d'hier :
" Jamais encore peut-être le Courrier du Canada
ne s'est montré aussi scrvile, aussi plat valet du gou-
vernement d'Ottawa que dans cette discussion sur la
question des écoles. Le public éclairé qui nous lit con-
naît le texte officiel du message du gouvernement fédé-
ral. 11 peut se former une opinion indépendamment de
celle des journalistes.
Eh bien, nous l'invitons tout simplement h. lire les
remarques qu'inspire au Courrier la dernière démarche
du gouvernement. "
Puis l'Electeur reproduit ce que nous avons écrit en
MÉLANGES 243
publiant, vendredi dernier, le remédiai order, et il
ajoute :
" Conçoit-on rien de plus servile et de plus lâche que
ces exclamations de contentement ? Y a-t-il un homme,
serait-ce le conservateur le plus acharné, qui n'admet-
tra pas que ce journal-là est prêt à vendre les droits
les plus sacrés de ses compatriotes pour des fins de
parti ? "
Nous nous moquons parfaitement de cette explosion
de rage du journal rouge.
Oui, nous applaudissons du fond du cœur à l'acte
courageux que vient d'accomplir le gouvernement fédé-
ral. Oui, c'est avec bonheur que nous avons reçu et lu
les documents mémorables par lesquels le cabinet
d'Ottawa s'est constitué le champion de la justice, du
droit, de la constitution. Oui, nous sommes heureux et
fier que le parti conservateur, dont nous défendons le
drapeau depuis que nous avons l'âge d'homme, ait
répondu à nos espérances, et se soit montré digne du
grand rôle et de la noble mission qui s'offraient à lui.
Et nous avons d'autant plus le droit de nous réjouir
après la réalisation de nos vœux, que nous avions parlé
plus haut, que nous avions lutté avec plus d'énergie,
auparavant, pour obtenir le résultat désiré.
Car, nous invoquons avec confiance le témoignage
de nos fidèles lecteurs : avons-nous fléchi un instant
dans la bataille ? Avons-nous un seul instant faibli
dans nos combats pour la justice ? Avons-nous hésité
à dire notre pensée sans ménagement, toutes les fois
que les circonstances de la lutte réclamaient une pro-
testation, ou une vérité, quelque dure qu'elle fût pour
certains hommes publics ?
244 MÉLANGES
L'Electeur, cet effronté thuriféraire dont toute la car-
rière n'a été qu'une oscillation perpétuelle entre l'en-
censoir et la hotte, l'encensoir pour ses idoles, la hotte
pour ses adversaires, l'Electeur ose parler de notre ser-
vilisme.
Faisioiis-nous du servilisme lorsque, au lendemain
de la luort de Sir John Thompson, et lorsque M. Bowell
était déjà reconnu comme son successeur, nous affir-
mions loyalement et courageusement nos préférences
pour Sir Charles Tupper ?
Faisions-nous du servilisme, lorsque nous disions son
fait au Hamilton Spectator, grand journal conserva-
teur, et que nous donnions à qui de droit cet avertisse-
ment, dans notre numéro du 28 février :
" Notre pays est dans un de ces moments solennels
où la voix des préjugés doit se taire, nous en avertis-
sons le Hamilton Spectator.
" Il faut que le parti conservateur règle la question
des écoles, et protège la minorité, ou qu'il tombe.
" Si le Hamilton Spectator veut que le parti con-
servateur tombe, qu'il persévère dans la voie indiquée
par son article."
Faisions-nous du servilisme, lorsque dans le Courrier
du 1er mars nous adressions les paroles suivantes à
l'élément fanatique du parti conservateur :
" Nous dirons aux fanatiques du Neivs et à ses
pareils qu'ils ne sont pas le parti conservateur et qu'ils
ne mèneront pas le parti conservateur.
Nous leur dirons que le jeu qu'ils veulent jouer se
joue à deux....
" Les gens du Neivs, les partisans et les complices
honteux de McCarthy, ces pseudo-conservateurs, dépu-
MÉLANGES 245
tés, ijourualistes ou tireurs de ficelles qui pactisent en
sous-main avec la P. P. A., nous les connaissons.
" Il n'y en a pas de plus affamés, de plus attachés
au pouvoir, de plus ardents à la curée.
" Qu'ils choisissent entre la satisfaction de leurs
haines et de leurs misérables préjugés, et la ruine,
l'effondrement, l'annihilation politiques.
" Car pour nous, notre résolution est prise ; et nous
ne parlons pas en notre nom seul, mais au nom de
l'opinion conservatrice en cette province.
<' Fous sacrifierons tout au triomphe de la justice
et de la constitution. Nous briserons tous les obstacles
qui se dresseront sur notre route.
" Nous romprons avec quiconque s'écartera de cette
voie. Et s'il faut que notre parti tombe au milieu de
cette crise, au moins nous aurons sauvé l'honneur de
notre drapeau, le drapeau de Lafontaine, de Morin, de
Taché et de Cartier. "
Ces paroles étaient significatives et ne sentaient pas
l'aplatissement.
Faisions-nous du servilisme lorsque nous faisions
cette menace à un groupe de nos alliés ontariens :
" Nous leur disons que s'ils veulent empêcher le gou-
vernement d'exécuter la décision du plus haut tribunal
de l'empire, de faire respecter la constitution et de
secourir une minorité opprimée dans ses droits consti-
tutionnels, ils font aussi bien de se préparer à aller
passer vingt ans dans les froides régions de l'opposi-
tion."
Faisions-nous du servilisme, lorsque, le 15 mars, nous
répondions ainsi aux hurlements des loges orangistes
â46 MÉLANGES
qui, du Pacifique à l'Atlantique, venaient de lancer leur
insolent ultimatum :
" C'est bien ; nous aimons les situations nettes.
" Si l'ordre orangiste aime mieux suivre les conseils
de certains cerveaux brûlés officiels et officieux que
ceux des hommes plus pondérés qu'il y a dans ses rangs,
c'est son affaire.
" Notre affaire à nous est d'être sur nos gardes.
" Il s'agit de savoir qui va triompher : le fanatisme
ou l'équité ?
" Nous voulons que l'équité triomphe coûte que
coûte. Et nous avertissons ceux qui veulent faire
triompher le fanatisme, de boucler leurs malles pour
l'opposition."
Faisions-nous du servilisme, lorsque nous parlions en
ces termes de M, Clarke Wallace :
" Quand une question aussi grave que la question des
écoles du Manitoba est sous la considération du gouver-
nement dont il est solidaire, de qui il relève, et sous
lequel il occupe une position d'honneur et de profit, il
n'est pas loisible à monsieur Wallace de préjuger cette
question, de la trancher du haut de son ignorance et de
sa brutalité sectaire.
" Nous en avons assez de toutes ces frasques pério-
diques, de tous ces coups de tête ineptes et dangereux.
" Le moment n'est pas aux incartades. Jamais le
parti conservateur n'a eu plus besoin de sagesse, de
clairvoyance et de^ courage.
^* Arrière les brouillons et les enragés, et que C(MX
qui savent penser et prévoir fassent taire ceux qui ne
savent faire ni l'un ni l'autre ! "
Voilà comment nous avons été servile.
MÉLANGES 247
Nous souhaitons à V Electeur d'avoir le cœur de par-
ler à son parti comme nous avons parlé au nôtre.
Aujourd'hui nous nous réjouissons parce que la cause
qui nous est chère et pour laquelle nous avons lutté a
remporté une grande victoire, et a fait un pas décisif
vers le triomphe final.
Sans doute la campagne n'est pas terminée. Si le
Manitoba refuse de faire son devoir, il va falloir faire
adopter une loi réparatrice par le Parlement fédéral, et
il y aura encore bataille. Nous serons à notre poste
pour ce nouveau combat comme pour le premier.
Mais, en attendant, nous avons bien le droit de crier
bravo ! aux chefs qui nous ont fait remporter un pre-
mier succès, et de stigmatiser les traîtres qui ne sont
bons qu'à récriminer et à semer le doute et la division
dans nos rangs.
POLEMIQUE MALHONNETE
30 mars 1895.
On lit dans le Cultivateur :
" Depuis cinq ans, la minorité catholique se débat
contre les injustices de lois que le gouvernement fédé-
ral avait le pouvoir et le devoir d'anéantir.
" Dans ces cinq années, les Canadiens-Français de
l'Ouest ont perdu leur système d'écoles et l'usage offi-
ciel de leur langue.
" Le cabinet de la Puissance a laissé libre voie au
fanatisme.
248 MÉLANGES
" Voici que le Conseil privé le met au pied du mur,
l'accule à la nécessité d'une action, d'une attitude.
" La Minerve s'extasie et qualifie de grande politi-
que cette démarche tardive et obligée !
" On est peu difficile à ce journal, rédigé par l'homme
sans courage et sans convictions qui a sanctionné les
lois spoliatrices de la législature du Nord-Ouest.
" Mais ! Que pouvaient donc faire MM. Bowell,
Angers, Caron, Ouimet, en présence de la décision
du Conseil Privé ?
" Tant qu'ils ont pu reculer, fuir leur responsabi-
lité, éviter d'accomplir leur devoir, ils l'ont fait.
" Un jour, ils se sont trouvés encerclés, prisonniers
de leurs propres intrigues. Il leur a fallu se mouvoir."
Monsieur Tarte sait que ce qu'il écrit là est injuste.
Les ministres n'ont pas reculé devant la responsabi-
lité. Ils ont couru au-devant.
A un certain moment ils se sont apparemment trou-
vés débarrassés de cette responsabilité. C'est lorsque la
Cour Suprême a décidé, au mois de février 1894, que
les catholiques n'avaient pas le droit d'appel devant le
gouverneur en conseil.
A ce moment, tout paraissait fini, la cause de la
minorité semblait enterrée, la question semblait morte.
C'est alors que Mgr Taché sentit l'amertume envahir
son âme, et repoussa toute idée d'effort ultérieur devant
les tribunaux, et d'un dernier appel au Conseil Privé.
Qui prit l'initiative de cet appel suprême ? Qui fit
sortir du tombeau judiciaire la cause enterrée? Qui
ressuscita la question morte ?
Vous le savez, M. Tarte.
Les hommes qui firent revivre la question, ce furent
M, Angers et ses collègues.
MÉLANGES 249
Ils s'abouchèrent avec M. Ewart, l'avocat de la
minorité. Ils souscrivirent personnellement une forte
somme \ et, grâce à eux, la cause fut portée au Conseil
Privé où la victoire finale l'attendait.
Dites, M. Tarte, était-ce là fuir la responsabilité ou
la rechercher ?
Le 20 février 1894, la Cour Suprême décidait que la
minorité catholique n'avait pas droit d'appel devant le
gouverneur-général en conseil.
Si cette décision n'était pas réformée, les ministres
étaient virtuellement débarrassés de cette épineuse et
dangereuse question.
Ils n'avaient qu'à se croiser les bras et à laisser faire.
Au lieu de cela. M, Angers et ses collègues s'agitent,
écrivent à Winuipeg, à Saint-Boniface, déterminent les
membres catholiques du cabinet à souscrire personnel-
lement quatre ou cinq cents piastres chacun pour les
frais, en un mot remettent en branle cette cause arrêtée
et considérée comme définitivement perdue.
Leur responsabilité était dégiigée : ils cherchent à
l'engager de nouveau.
Ils disent aux catholiques : allez à Londres, voici de
l'argent ; faites décréter par le Conseil Privé que nous
avons le droit de recevoir votre appel, contrairement à
ce que la Cour Suprême a décidé, puis revenez devant
nous ; nous vous entendrons et nous vous rendrons
justice.
1 — Les souscripteurs furent : Sir John Thompson, Sir
Frank Smith, Sir Adolphe Caron, les honorables MM. Ouimet,
Angers et Costigan. Si nos souvenirs ne nous trompent pas,
ils eurent à payer chacun cinq cents ($500) piastres.
250 MÉLANGES
C'est ce qui a eu lieu. Les catholiques sont allés à
Loudres, ils ont eu gain de cause, ils sont revenus
devant le cabinet fédéral et ils ont eu justice.
Nous défions M. Tarte de nier ces faits.
Voilà comment nos ministres ont reculé, fui leur
responsabilité, évité d'accomplir leur devoir.
C'est-à-dire qu'ils ont fait tout le contraire.
LOI REPARATRICE OU DESAVEU?
30 mars 1895.
Nous lisons ce qui suit dans un article du Cultiva-
teur :
" Les journaux conservateurs de la province de Qué-
bec se sont réjouis bruyamment de la publication de
l'ordre en conseil du 21 mars. On dirait qu'ils com-
mencent déjà à rentrer leur plaisir et à voir les terribles
difficultés qu'd y a dans le chemin à parcourir. Il peut
s'écouler des années et des années avant que nous
voyions la solution de la question qui eût dû être réglée
péremptoirement par le désaveu, ou au moins par un
appel entendu dès 1890 ou 1891."
Au point de vue pratique, il importe peu de savoir
actuellement si le désaveu aurait mieux valu que des
lois réparatrices pour le règlement de la question des
écoles du Manitoba. L'heure du désaveu est passée, et
nous sommes en présence de la politique réparatrice
qu'il est du devoir de tous les bous citoyens d'appuyer
et de faciliter.
MÉLANGES 251
Pour notre part nous aurions certainement approuvé
l'application du droit de veto aux lois tyranniques du
Manitoba. Mais en y réfléchissant bien aujourd'hui»
nous nous demandons si l'exercice du désaveu aurait
réglé la question mieux et plus vite.
Il est assez probable que ce qui suit serait arrivé : le
gouvernement fédéral aurait désavoué la loi ; la légis-
lature provinciale se serait réunie immédiatement et
l'aurait adoptée de nouveau ; de nouveau le gouverne-
ment fédéral l'aurait désavouée, de nouveau la législa-
ture provinciale, mise au défi, l'aurait adoptée. On aurait
eu désaveu sur désaveu, et remise en vigueur sur remise
en vigueur.
Durant cette lutte entre le pouvoir fédéral et le pou-
voir provincial, les opinions se seraient exaltées, les
préjugés se seraient enflammés, les appels au fanatisme
se seraient donnés carrière, et après cinq ans de conflit
aigu, le pouvoir fédéral serait peut-être pratiquement
désarmé et obligé de s'arrêter devant le cri d'autonomie
provinciale poussé par ses adversaires. Dans tous les
cas, il est fort probable que la bataille ne serait pas
encore terminée.
En quoi, alors, le remède du dé^iaveu aurait-il été
meilleur et plus prorapt que celui qu'on adopte à pré-
sent ?
La loi réparatrice pourra soulever une violente con-
tradiction, sans doute. Mais elle sera la loi ; et, une
fois adoptée, elle mettra la minorité catholique sous la
protection des tribunaux. Quand on voudra percevoir
d'un catholique la taxe scolaire dont il aura été exempté
légalement, ce catholique pourra répondre : votre taxe
est illégale, et il aura gain de cause.
252 MÉLANGES
Comme effet pratique, qui ne voit la supériorité de
la loi réparatrice ?
M. Tarte nous dit que la politique actuelle du gou-
vernement pourra prendre des années et des années
avant d'amener une solution. 11 se peut que le gouver-
nement manitobain résiste tant qu'il pourra. Mais cela
n'empêche pas que si le parlement d'Ottawa adopte la
loi annoncée, du coup les catholiques verront leur droit
placé sous la sauvegarde de la légalité, et ce sera un
immense avantage.
Les libéraux crient bien haut maintenant : des mesures
réparatrices, fi donc ! c'est le désaveu qu'il aurait fallu.
Eh bien, alors, pourquoi, de 1890 à 1895, le parti
libéral, l'opposition, M. Laurier, n'ont-ils jamais eu le
courage de proposer un vote de censure contre le non
exercice de ce désaveu qu'ils proclament le remède par
excellence aujourd'hui ?
LA REPONSE DU MANITOBA
20 juin 1895.
Voici les dépêches de Winnipeg qui nous apportent
le dernier mot de la Législature du Manitoba :
" 19 juin, — Le vote sur la motion Greenway refusant
d'obéir à l'ordre du gouvernement a été pris ce soir, La
1 Après plusieurs ajournements de la législature nianito-
baine, le gouvernement Greenway avait enfin rendu publique
sa réponse au remédiai order. Cette réponse était une fin de
nonrecevoir.
MÉLANGES 253
majoiitc du gouvernement a été de 15 voix : 25 pour la
motion Greenway et 10 contre.
" II n'est pas probable que cette question revienne
devant la législature pendant cette session; la bataille
se fera maintenant au parlement d'Ottawa. "
Ainsi la législature du Manitoba, emboîtant le pas
derrière son gouvernement, refuse d'accepter le remédiai
orcler, et répond au gouvernement fédéral par un refus
d'accéder à ses représentations.
Après des hésitations sans sincérité, la majorité
régnante à Winnipeg considère comme non avenus le
jugement du Conseil Privé et l'ordre en conseil du cabi-
net d'Ottawa.
La question se trouve donc plus nettement posée que
jamais.
Le refus du Manitoba donne naissance à la juridiction
du Parlement fédéral.
Le Parlement fédéral a maintenant le pouvoir légal de
redresser les griefs de la minorité catholique.
Nous comptons que la justice va suivre son cours,
que le gouvernement va maintenir les principes énon-
cés dans son ordre en conseil, et qu'il va se trouver au
sein du Parlement une majorité intelligente, loyale et
équitable pour soutenir la constitution et le droit.
254 MÉLANGES
UNE LETTRE DE M. LAURIER
29 juin 1895.
En réponse à un article de l'Echo de LouÂseville,
intitulé : Evêque et Député, M. Laurier adresse à ce
journal la lettre suivante :
Ottawa, 27 juin 1895.
A M. le Rédacteur de
h' Echo de Louisevillc,
Louiseville, P. Q.
Monsieur,
Mon attention a été attirée sur un article publié sous
le titre " Evêque et Député," dans VEcho de Louise-
ville du 21 courant, et d'après lequel Sa Grandeur Mgr
Laflèche, evêque des Trois-Eivières, se serait exprimé
ainsi en parlant de moi : " M. Laurier, le chef du partî
libéral, m'a déclaré à moi-même qu'il préfère les écoles
neutres aux écoles libres,"
Lors de l'assemblée que j'ai tenue aux Trois-Rivière^!,
le 20 de février dernier, j'ai profité de mon passage en
celte ville pour aller présenter mes hommages à Mgr
Laflèche. La question des écoles fit tous les frais de la
conversation. Si Sa Grandeur a compris par ce que je
lui ai dit alors que j'étais en faveur, sous aucune cir-
constance quelconque des écoles sans Dieu, je n'ai qu'à
regretter cette interprétation car elle a toujours été et
elle est encore absolument contraire à mes pensées et à
mes convictions, et le soir même aux Trois-Rivières, et
quelques jours plus tard à Saint-Jérôme, je me suis
MÉLANGES 255
expliqué à ce sujet d'une manière qui ne saurait prêter
à l'équivoque.
J'ai l'honneur d'être,
Monsieur,
Votre bien dévoué,
Wjlfrid Laurier.
Nous reproduisons cette lettre parce que nous tenons
à ce qu'on ne puisse pas nous accuser de déloyauté
envers le chef de l'opposition.
Mais nous disons que M. Laurier ne doit s'en pren-
dre qu'à lui-même s'il passe pour être un partisan de
ce que l'on appelle l'Ecole Nationale, c'est-à-dire de
l'école non confessionelle.
M. Laurier a beau crier dans les moments critiques :
je ne suis pas pour les écoles sans Dieu. Cela ne suffit
pas pour établir la rectitude de sa doctrine en matière
scolaire. Cela prouve sans doute que M. Laurier est
déiste, mais rien de plus.
Depuis deux ans le chef de l'opposition se tue à
répéter sa fameuse balançoire : " Siles écoles publiques
du Manitoba sont 2^'>'otestanles, c'est une iniquité,"
laissant croire par là que, si ces écoles sont absolument
non-confessionnelles, il ne peut plus y avoir de grief.
Eh bien, voilà ce qui fait dire à presque tout le monde :
M. Laurier n'est pas un partisan des écoles séparées.
Maintenant, il paraît qu'une conversation du chef de
l'opposition avec le vénérable évêque des Trois-Eivières
a mis celui-ci sous la même impression. On conviendra
que M. Laurier est bien malchanceux. Comment, voici
un homme qui est enflammé d'amour pour les écoles
séparées, pour les écoles confessionnelles, cet homme
256 MÉLANGES
est doué d'un talent de parole incontestable, et lui, le
silver tongued, il est incapable d'exprimer sa flamme
de manière à ce qu'on le comprenne ! Il prononce vingt
discours, il a des conversations intimes avec les évêques,
et, guignon inexplicable, auditeurs et évêques concluent
de ses discours et de ses conversations qu'il est favora-
ble à un système d'écoles nationales, c'est-à-dire non
confessionnelles. Conçoit-on pareille déveine ?
Allons, M. Laurier, faites un effort intellectuel ;
essayez de traduire une bonne fois d'une manière adé-
quate votre pensée si peu lumineuse. Dites que ce
que vous voulez, c'est le rétablissement des écoles catho-
liques dont la minorité manitobaine jouissait avant
1890.
Alors tout le monde vous comprendra, et vous aurez
bien mérité de votre province et du pays tout entier.
Mais si vous restez enseveli dans vos nuages et
empêtré dans vos conditionnels, résignez- vous à être et
à demeurer un grand incompris.
LA SITUATION A OTTAWA
23 juin 1895.
Nous prions nos lecteurs de se tenir en garde contre
les nouvelles à sensation que la presse libérale publie
au sujet de ce qui se passe à Ottawa.
La situation est peu compliquée, et la ligne de con-
duite à adopter est tellement bien tracée que nous ne
concevons aucune hésitation possible.
MÉLANGES 257
Le gouvernement fédéral a transmis au gouverne-
ment du Manitoba un remédiai order.
Dans l'ordre en conseil sur let[uel est basé ce remé-
diai order, on lit ce qui suit :
" Le comité désire déclarer que si Votre Excellence
trouvait bon d'approuver la recommandation ci-dessus,
il s'ensuivrait que le refus par la législature du Mani-
toba d'adopter la mesure réparatrice que Votre Excel-
lence en conseil aurait jugée nécessaire, autoriserait le
Parlement à édicter une loi dans ce but...
" Le comité émet donc l'avis que la législature pro-
vinciale soit priée de considérer s'il lui serait permis de
prendre, sur la décision de Votre Excellence en conseil,
une résolution qui, en refusant de redresser un grief
dont la plus haute cour de l'empire a reconnu l'exis-
tence, obligerait le Parlementa accorder unerépara-
tion..."
Dans ces lignes, le programme que se proposait de
suivre le gouvernement était clairement annoncé.
Le refus par le Manitoba de faire droit aux griefs de
la minorité obligera le Parlement fédéral à accorder
une réparation. Voilà ce que le gouvernement d'Ot-
tawa a proclamé.
Eh bien, le gouvernement et la législature du Mani-
toba ont refusé de se rendre aux représentations du
cabinet fédéral, ont refusé de redresser les griefs.
Donc le Parlement fédéral est obligé d'accorder lui-
même la réparation.
Il n'y a pas à sortir de là.
Le gouvernement doit exécuter le programme contenu
dans son ordre en conseil, et le Parlement, s'il est animé
17
258 MÉLANGES
d'un véritable esprit de justice, doit appuyer le gouver-
nement.
Et cela doit se faire dès à présent, car il y a cinq ans
que cette question fatigue l'opinion publique, et que la
constitution est violée.
La parole est au gouvernement et au Parlement.
28 juin 1895.
L'Evénement publie une longue dépêche d'Ottawa,
dont nous reproduisons les passages suivants :
" Ottawa, 27. — La situation n'est pas aussi grave
qu'elle paraît de Québec et que les libéraux s'efforcent
de le faire croire.
" Les conservateurs d'Ontario, moins une quinzaine,
voteront avec le gouvernement.
" Un ministre protestant, déclarait, hier soir, à votre
correspondant, que l'intervention était décidée. Nos
ministres Canadiens-Français sont plus déterminés que
jamais à faire rendre justice à la minorité manitobaine."
Nous espérons que les nouvelles contenues dans cette
dépêche sont vraies.
Il n'y a pas à se dissimuler que, depuis quelques
jours, la situation s'était considérablement assombrie.
Le fanatisme était à l'œuvre et exploitait habilement
la publication intempestive de certains documents, qui
n'étaient pas destinés au public et dont on exagérait la
portée.
Il semble maintenant se produire une détente. Nous
souhaitons ardemment que la lumière se fasse dans
tous les esprits sincères, et que la voix de l'équité
étouffe celle des préjugés.
MÉLANGES 259
Le gouvernement a un noble rôle à remplir. Nous
le conjurons de ne pas reculer devant les clameurs des
énergumènes comme McCarthy et Martin. Il est le
gardien de la constitution, de la justice, le protecteur
des minorités ; qu'il se tienne à la hauteur de cette
noble mission et qu'il aille de l'avant sans hésitation et
sans peur.
L'intégrité de la constitution, l'honneur de la Cou-
ronne, le respect de la foi jurée, la protection des fai-
bles, en faut-il davantage pour faire de la cause des
catholiques manitobains une de ces grandes causes pour
lesquelles un gouvernement peut glorieusement risquer
jusqu'à son existence ?
La question de l'émancipation catholique en 1828
était grosse d'orages et de périls. Le duc de fer, Wel-
lington, s'est illustré en la réglant, en arrachant du sein
de l'empire britannique ce germe de discorde et de
haine.
Qu'on ne s'y trompe pas. Les hommes publics qui
régleront ici la question des écoles, qui feront dispa-
raître de l'arène politique cette source de divisions et de
conflits douloureux, auront accompli un grand acte, et
seront considérés par l'histoire comme des bienfaiteurs
publics.
Pour notre part, nous ne nous lasserons pas de
demander que justice soit faite.
Fiat justitia, ruât cœlum !
260 MÉLANGES
LA FAUSSE THEORIE DE M. WELDON
4 juillet 1895.
L'Electeur publiait, ces jours derniers, la dépêche
suivante, d'Ottawa :
" Le Citizen de ce matin publie une entrevue avec
M. Weldon, député conservateur d'Albert, sur la ques-
tion des écoles. M. Weldon exprime l'opinion que le
gouvernement, en passant le remédiai order, n'a agi
qu'en qualité de juge d'un tribunal : que d'ailleurs la
constitution ne lui laissait pas d'option en la matière,
mais que, nonobstant l'opinion contraire de M. McCar-
thy, la constitution ne l'oblige pas à faire suivre ce
remédiai order d'une législation réparatrice qui est du
ressort du Parlement,
" Cette législation pourra être soumise à la Chambre
comme question libre par un député quelconque, et le
gouvernement comme gouvernement ne sera pas tenu
de l'appuyer et certains ministres pourront voter eu
faveur et d'autres à l'encontre.
" M. Weldon dit qu'il est bien connu que les minis-
tres sont divisés sur les mérites de la question des
écoles.
" Il ajoute que demander à un certain nombre de
conservateurs protestants de voter en faveur d'une loi
réparatrice équivaudrait à leur demander de se suicider,
et un gouvernement ne peut pas faire cela."
Cette entrevue de M. Weldon mérite qu'on s'en
occupe. Le député d'Albert n'est pas le premier venu.
C'est un homme de talent, un député influent et dont
MÉLANGES 261
les opinions ont du poids dans le parti conservateur.
Nous ne croyons donc pas pouvoir laisser passer inaper-
çue cette théorie qu'il vient de formuler.
Elle est entièrement inadmissible, et constitue une
négation flagrante du principe de la responsabilité et de
la solidarité ministérielles.
Comment, le gouvernement aurait adopté, après mûre
délibération, un ordre réparateur dont doivent découler
certaines conséquences parfaitement prévues, et lorsque
viendrait le moment de donner à cet ordre sa suite
logique, le gouvernement se déroberait, se diviserait, se
désintéresserait de la question et l'abandonnerait au
caprice ou aux préjugés des individus ! ! Allons donc,
ce serait une abdication incroyable, un renversement de
tous les principes. Et nous avons le droit de dire au
député d'Albert : vous n'êtes pas sérieux, M. Weldon !
La presse conservatrice anglaise, qui a pris une si
singulière attitude depuis quelques jours, n'est pas plus
logique que M. Weldon. Nous avons lu les articles du
Mail-Empire, de la Gazette de Montréal elle-même, et
nous devons déclarer à haute et intelligible voix qu'il
n'en faudrait pas beaucoup de ce genre pour briser et
disloquer le parti conservateur. Ces journaux, organes
du gouvernement, semblent ignorer que la responsabilité
du gouvernement est engagée. Nous leur remettons
encore une fois sous les yeux ces termes du remédiai
order :
" Le comité désire déclarer que si Votre Excellence
trouvait bon d'approuver la recommandation ci-dessus,
il s'en suivrait que le refus par la législature du Mani-
toba d'adopter la mesure réparatrice que Votre Excel-
lence en conseil aurait jugé néressaire, autoriserait le
parlement à édicter une loi dans ce but.
262 MÉLANGES
" Il émet donc l'avis que la législature provinciale
soit priée de cousidérer s'il lui serait permis de prendre,
sur la décision de Votre Excellence en conseil, une réso-
lution qui, en refusant de redresser un grief dont la plus
haute cour de l'empire a reconnu l'existence, obligerait
le Parlement à accorder une réparation.
Voilà le programme ministériel. Le refus du Mani-
toba de redresser les giiefs " obligera le Parlement à
accorder une réparation." Eh bien, le Manitoba a refusé ;
le Parlement est donc obligé de réparer l'injustice dont
souffre la minorité. Mais qui doit prendre l'initiative ?
Evidemment c'est le gouvernement qui a adopté le
remédiai order. C'est à ceux qui ont posé les prémisses
à tirer les conclusions.
Le gouvernement ne peut agir autrement sans abdi-
quer.
Que nos alliés les conservateurs anglais y réfléchis-
sent sérieusement. La minorité manitobaine a pour elle
la constitution et le droit. Elle a pour elle la Couronne
même, puisque le plus haut tribunal de l'empire s'est
prononcé en sa faveur. Si le parti conservateur refusait
de se ranger du côté de la constitution, du droit et de
l'honneur de la Couronne, alors nous dirions : que le parti
conservateur périsse, il n'a plus sa raison d'être.
Nous soumettons ces considérations au Mail-Empire,
au World, à la Gazette et à M. Weldon.
MÉLANGES 263
LA CAUSE DU RETARD
6 juillet 1895.
Parlant de la question qui passionne actuellement
tous les esprits, le Canada d'hier soir, que l'on dit avoir
l'oreille des ministres, explique comme suit les retards
du gouvernement à soumettre la loi des écoles au par-
lement. " Unis sur le principe, l'étude d'une mesure
où il ne se trouve pas moins de cent-cinquante clauses,
paraît-il, demande un temps assez considérable. La
question se pose donc si le gouvernement devrait retar-
der pendant plusieurs semaines la clôture de la présente
session, ou s'il ne devrait pas remettre la passation de
sa loi à une session d'automne.
" La clause de la loi qui, paraît-il, cause le plus de
division dans le cabinet, est celle qui exempte les insti-
tuteurs appartenant aux communautés religieuses de
subir des examens de compétence. Les membres anglais
du cabinet disent qu'il faut que cette clause disparaisse.
" L'examen et le diplôme, telle est la garantie qu'ils
exigent de l'efficacité future des écoles séparées du
Mauitoba."
Le cabinet s'assemble de nouveau aujourd'hui pour
discuter la question de savoir si la session actuelle sera
simplement ajournée ou prorogée.
264 MÉLANGES
LA CRISE MINISTÉRIELLE AU SUJET
DE LA QUESTION SCOLAIRE
Au commencement de juillet 1895, une crise ministérielle
éclata à Ottawa, à propos de la question scolaire. Quelques
extraits des dépêches de la capitale, expédiées au Courrier
du Canada, montreront quel aspect prit la situation :
Ottawa, 8 juillet.
La position est plus embrouillée que jamais. A une
heure cette après-midi, le cabinet est encore eu séance.
Toute espèce de nouvelles ont couru et courent encore
la ville en ce moment. Les uns disent que le cabinet n'a
pasvoulu samedi s'engager à promettre une session àl'au-
tomne,et que les ministres français ont offert leur démis-
sion samedi soir. Le Citizen, qui annonçait, samedi, qu'il
n'y aurait pas de législation réparatrice à la présente
session, dit, ce matin, qu'il n'y a encore rien de décidé.
Ce qui indiquerait que l'offre de démission des minis-
tres français a eu un bon effet et que le cabinet veut
essayer de faire quelque chose. Dans le cas où le cabinet
ne ferait rien et ne voudrait rien promettre, les trois
ministres français insisteront pour que leur démission
soit acceptée, et M. Dupont proposera un vote de non-
confîance. On attend avec anxiété la séance de cette
après-midi.
Ottawa, 9 juillet.
La nouvelle de la démission des trois ministres cana-
diens-français, se confirme de plus en plus et la chose
est regardée comme certaine, maintenant.
MÉLANGES 265
Ottawa, 9 juillet.
Nous sommes en pleiue crise, ici. Nos trois ministres ^
ont démissionné. Leur démission paraît surtout motivée
par le fait que le cabinet a décidé d'ouvrir de nouvelles
négociations avec Manitoba, ce qui a pour effet d'ad-
mettre que le parlement n'a pas actuellement juridic-
tion pour prendre action et de placer le gouvernement
et le parlement dans l'impossibilité de légiférer, l'hiver
prochain, si M, Greenway donnait une réponse illusoire.
De plus, d'après la déclaration ministérielle, le résultat
de ses négociations devra être soumis au Parlement, le
ministère se dégageant ainsi de sa responsabilité. Nos
ministres auraient accepté comme concession extrême,
le délai jusqu'à la prochaine session pour présenter la
loi, mais ils ont refusé de mettre en doute la juridiction
actuelle du Parlement et de compromettre ainsi le
règlement futur de la question.
Voici la déclaration ministérielle faite hier après-midi,
sur la question des écoles du Manitoba :
" SiE Mackenzie Bowell. — En réponse à l'honora-
ble chef de l'opposition, je suis prêt à donner la déci-
sion à laquelle le gouvernement est arrivé sur la ques-
tion des écoles du Manitoba. Je désire déclarer que
le gouvernement a considéré la réponse de la législature
du Manitoba à l'ordre réparateur du 21 mars 1895,
et que, après une délibération attentive, il en est arrivé
à la conclusion suivante :
" — Quoiqu'il puisse y avoir divergence d'opinion
sur la réponse en question, le gouvernement croit qu'elle
peut être interprétée comme donnant quelque espoir d'un
1 — Les honorables MM. Angers, Ouimet et Caron.
266 MÉLANGES
règlement amical de la question des écoles du Manitoba
basé sur l'action possible du gouvernement et de la
législature du Manitoba, et le gouvernement de la Puis-
sance ne veut prendre aucune action qui pourrait être
interprétée comme prévenant ou empêchant une solu-
tion amicale.
" Le gouvernement a aussi considéré les difficultés à
rencontrer en préparant et arrêtant une législation sur
une question aussi importante et aussi compliquée
durant les dernières heures de la session.
" Le gouvernement a en conséquence décidé de ne
pas demander au parlement de légiférer sur cette ques-
tion durant la présente session.
" Un message sera envoyé immédiatement au gou-
vernement du Manitoba sur ce sujet, en vue de s'assurer
s'il est disposé à faire un arrangement qui donnera
satisfaction raisonnable à la minorité de cette province,
sans nécessiter l'intervention des pouvoirs du Parle-
ment fédéral.
" Une session du parlement actuel sera convoquée
pas plus tard que le premier jeudi de janvier prochain.
Si, à cette date, le gouvernement du Manitoba ne fait
pas d'arrangement pour remédier aux griefs de la mino-
rité, le gouvernement de la Puissance sera prêt à la
prochaine session du Parlement qui sera convoquée tel
que dit plus haut, à présenter et à soutenir telle légis-
lation qui remédiera aux griefs de la dite minorité,
basée sur le jugement du Conseil Privé et l'ordre remé-
diateur du 21 mars 1895.
" Cela est clair et suËfisamment distinct pour -indi-
quer la politique du gouvernement sur cette question
compliquée. Il reste au Parlement du Canada et au
MÉLANGES 267
peuple de la Puissance à dire s'ils approuvent ou non
cette politique,"
Ottawa, ]0 juillet.
La situation est toujours extrêmement tendue. 11 n'y a
pas eu de crise semblable à celle-ci depuis vingt-cinq ans.
M. Laurier vient de demander à M. Foster s'il peut
renseigner la chambre sur la résignation des trois
ministres canadiens-français, qui est maintenant dans
toutes les bouches. M. Foster a répondu que demain
il aurait une réponse positive à donner.
Encore vingt-quatre heures de rumeurs et de com-
mentaires !
On affirme que sir MacKenzie Bowell serait prêt à
faire certaines concessions, mais que MM. Haggart,
Foster et Montague s'y opposent.
Le gouvernement est dans le plus grand danger.
Hier, si nos amis eussent voulu, le cabinet eût été en
minorité de huit voix.
Ottawa, 11 juillet.
La crise touche à son dénouement. Personne encore
ne peut dire ce qui va arriver. Plusieurs tentatives
d'arrangement ont été essayées, mais jusqu'ici tout a
manqué. Il a été question, hier, de l'introduction immé-
diate du bill réparateur par le gouvernement, mais on
affirme que les ministres anglais ont refusé.
On parle aujourd'hui de déclarations nouvelles ou de
réponses à des questions faites en Chambre par les-
quelles le cabinet accentuerait sa politique.
Il y aura du nouveau, à la séance de cette après-midi.
Ottawa, 11 juillet.
A une heure cette après-midi, la position est toujours
la même, sir Adolphe Caron et M, Ouimet se sont ren-
268 MÉLANGES
dus à onze heures et demie ce matin, à la salle du Con-
seil privé. Quelques instants après, ils ont étë appelés
dans le cabinet particulier du premier ministre avec
lequel ils ont eu une longue conférence. L'honorable
M, Angers n'était pas avec eux. Le but de cette entre-
vue avec le premier ministre était de tâcher d'en venir
à une entente. L'honorable sénateur Masson et M.
Girouard ont été appelés en consultation auprès du
premier ministre et des deux ministres français. M.
Costigan est entré aussi à deux ou trois reprises dans
le bureau de M. Bowall.
A une heure les ministres sont sortis du cabinet, M.
Bowell disant qu'il n'y avait rien de fait. Une nouvelle
réunion aura lieu à deux heures et demie. Ou dit que
M. Angers refuse de faire aucune des concessions que
les deux autres ministres sont, paraît-il, prêts à faire
pour rétablir l'accord dans le cabinet, et qu'il prépare
en ce moment le discours qu'il prononcera contre le
gouvernement, s'il n'y a pas d'autres incidents.
1.45 h. p. m. — On commence à dire que sir A, P.
Caron et M. Ouimet vont se rallier au cabinet, M.
Angers seul persisterait dans sa démission. Cela sau-
verait le gouvernement. Mais la crise ne serait peut-
être pas finie malgré tout.
2.30 h. p. m. — Il est certain que sir A, P. Caron et
M. Ouimet rentrent dans le cabinet. L'excitation est
immense parmi les députés conservateurs bas-canadiens.
M. Angers persiste dans sa décision. M. Dupont va
présenter, à trois heures, uu vote de non confiance,
appuyé par M. Belley.
MÉLANGES 269
LA. SITUATION
13 juillet 1895.
La situation que les derniers événements ont faite
aux conservateurs bas-canadiens est extrêment diffi-
cile.
Il y a eu quasi-rupture entre eux et le gouverne-
ment, et quelque jugement que l'on porte sur la manière
dont la crise s'est dénouée, il nous paraît évident que
les relations entre les deux groupes du parti vont
demeurer très tendues.
Il serait bien puéril d'essayer à dissimuler que la
défiance est éveillée et que nos amis d'Ottawa, s'ils
n'ont pas voulu renverser le cabinet et donner le pou-
voir à M. Laurier, n'ont voté qu'avec réserve et sous
condition.
Après la rentrée de MM. Carou et Ouimet dans le
cabinet, le groupe bas-canadien conservateur s'est
trouvé absolument désorienté.
Que faire ? voilà ce que chacun se demandait à l'ou-
verture de la séance de jeudi. Pour un grand nombre,
M. Laurier a tranché la question. Il s'est levé aussitôt
après les explications ministérielles, et a proposé l'ajour-
nement de la Chambre purement et simplement. Il n'a
pas dit un mot de la question des écoles, il s'est borné
à dire par sa motion : Je veux prouver que c'est moi
qui dirige la majorité dans cette Chambre, et je veux
prouver cela sans m'engager ni engager mon parti
d'aucune manière sur la question d'une législation
réparatrice.
270 MÉLANGES
Le ministre de la justice, Sir Charles Tupper, s'est
alors levé et a dit à M, Laurier : Vous pouvez bien
prononcer un discours humoristique, mais vous êtes
incapable de dire ce que vous entendez faire sur la
question des écoles ; le gouvernement a sur cette ques-
tion une politique que la Chambre et le pays connais-
sent, mais vous, vous n'en avez pas.
Etant donnée cette situation, nos amis ont voté cha-
cun suivant l'impression qui dominait chez lui. Les
uns ont voulu, en votant pour la motion, montrer au
gouvernement qu'ils se défiaient de lui. Les autres, en
repoussant la motiou d'ajournement, ont affirmé qu'ils
n'étaient pas prêts à donner la direction de la Chambre
et le pouvoir à un homme qui ne s'est jamais engagé à
présenter une législation réparatrice s'il triomphe.
Des deux côtés, il y avait d'excellentes raisons, et la
circonstance était une de celles où le plus difficile est,
non pas de faire son devoir, mais de le connaître claire-
ment.
De tout ceci il résulte que le gouvernement est en pré-
sence d'une épreuve et d'un péril simplement ajournés.
Dans tous les cas, nous devons nous préparer à toutes
les éventualités. Bien des symptômes alarmants sont
visibles à l'horizon politique ! ...
Si le cabinet d'Ottawa finit, après tous ces délais, par
rendre justice à la minorité manitobaine, nous ne lui
retirerons pas notre appui.
Mais si, au contraire, tout ce qui se passe n'aboutit
qu'à une politique de déception, nous ferons sans hésiter
tout notre devoir. Nous romprons la vieille alliance
nouée en ISôi, et qui n'aura plus sa raison d'être.
Nous fermerons un livre de notre histoire politique,
MÉLANGES 271
pour tourner les feuillets d'un livre nouveau et inconnu.
Nous clierclierous des alliances ou nous resterons seuls.
Mais, seuls ou unis à d'autres, à quiconque se pronon-
cera pour la justice, nous continuerons à combattre les
combats de la constitution et du droit.
LE DISCOURS DE SIR MACKENZIE
BOWELL
15 juillet 1895.
Voici un extrait du discours prononcé au sénat par
sir Mackenzie Bowell :
" Je le dis franchement, quoique je ne fusse pas en
faveur des écoles séparées, j'avais établi distinctement
que je croyais que le Manitoba en entrant dans la confé-
dération, devait avoir les mêmes droits et privilèges que
la province de Québec relativement aux écoles séparées ;
et comme tel, — qu'importe mon opinion individuelle, —
comme homme pubhc, je me considérais lié et mon parti
avec moi à remplir les promesses qui furent faites à la
Confédération, et qui je le répète, ont été transgressées
par la législature manitobaine. Ce n'est pas la faute du
parti conservateur s'il est aujourd'hui dans cette posi-
tion difficile. Autant que n'importe qui, je sympathise
avec la minorité pour le retard..."
Sir Mackenzie Bowell a accentué encore ses déclara-
tions. Il s'est écrié :
" Dans ma lettre à l'honorable M. Angers, lui expri-
272 MÉLANGES
mant mon regret de sa résignation, car je la regrette sin-
cèrement, je lui disais :
" Tous nos collègues étant liés à supporter une mesure
" réparatrice, laquelle sera soumise par le gouverne-
" ment afin de rendre à la minorité manitobaine les
" privilèges auxquels elle a droit, tel que déclaré par le
" Conseil privé, je crois que cela pouvait être accepté
" comme une garantie de leur sincérité."
" Je suis peiné de constater que l'honorable membre
n'a pas confiance dans les garanties données par ses
collègues. Maintenant je dirai au nom de mes collègues
et en mon nom propre que les garanties que nous avons
données, comme hommes publics, seront tenues, au péril
de notre vie, et si nous pouvons les faire adopter par la
majorité du Parlement...
" Je considère comme admis que les catholiques
romains qui désirent avoir les écoles séparées ont besoin
en premier lieu, du droit d'établir les dites écoles sépa-
rées ; 1^ le droit de ne pas être taxés pour les écoles
publiques alors qu'ils supportent les leurs ; 3" le pouvoir
d'enseigner la religion et la morale comme ils l'entendent
et le droit de recevoir aussi une partie du fonds public
réservé pour l'éducation. Je considère qu'aucun homme
raisonnable ne peut refuser ces demandes et si le par-
lement de la Puissance veut nous prêter son appui
dans le cas où le Manitoba demeurerait endurci, nous
rendrons justice à cette partie du pays et nous y établi-
rons la paix."
Telles ont été les déclarations de sir Mackenzie
Bowell, le premier-ministre, devant le sénat, jeudi der-
nier.
Nous ne dissimulerons pas que nous trouvons ces
MÉLANGES 273
déclarations très énergiques, très fortes. Ou ne saurait
leur attacher trop d'importance.
Nous croyons à la sincérité de sir Mackenzie. Nous
croyons à son désir honnête de rendre justice. Plût au
ciel que nous n'eussions affaire qu'à des hommes de sa
trempe.
Mais tandis que sir Mackenzie Bowell parle de cette
manière au Sénat, M. Clarke Wallace parle d'une autre
manière devant les oraugistes. Et le Mail-Empire
le World, le Hamilton Spectator, organes accrédités du
parti conservateur ontarien, crient à la non-intervention.
C'est-à-dire qu'il y a conflit parmi les conservateurs
protestants. Les uns veulent que le gouvernement fédé-
ral fasse respecter la constitution et le droit, les autres,
s'y opposent énergiquement.
LA MOTION LAURIER
16 juillet 1895.
Encore une fois M. Laurier a proposé une motion
illusoire, encore une fois il a parle sans dire quelle est
sa politique sur la question des écoles.
Sa motion de non-confiance d'hier soir se bornait à
déclarer que le gouvernement n'a pas une politique de
nature à servir les intérêts du pays dans cette question.
Mais que signifient ces paroles ? M. Laurier veut-il
dire que le gouvernement a eu tort de promettre une
législation réparatrice, ou qu'il a eu tort de ne pas pro-
céder plus vite avec cette législation ? Nous allions dire :
18
2 7 -4 MÉLANGES
c'est le secret de M. Laurier, mais non, ce n'est plus
un secret, car il a laissé voir le fond de sa pensée. Et
de son discours on peut conclure que, à l'instar de
M. Tarte, M. Laurier est hostile <\ une législation répa-
ratrice.
Que veut-il alors, que deraande-t-il, qu'olîre-t-il ?
Franchement, le temps n'est-il pas venu de parler ?
Comment veut-il qu'on lui tende la main, s'il ne nous
donne pas de garanties ? ^
Nous sommes mécontents du gouvernement parce
que nous trouvons qu'il tarde trop à exécuter ses pro-
messes. Mais M. Laurier ne veut même pas faire de
promesses.
Ne serait-il pas temps d'en finir avec cette tactique
de jouer au plus fin.
UN IMPORTANT DOCUMENT
13 septembre 1895.
Nous reproduisons de notre confrère de la Vérité une
pièce de la plus haute importance, dont il a eu la pri-
meur.
C'est le texte de l'arrêté en conseil que le gouverne-
1 — II est certain que M. Laurier, s'il eut à ce moment
déclaré qu'il voulait agir dans le sens du redressement des
griefs, dans le sens d'une intervention fédérale pour secourir
la minorité manitobaine, aurait rallié à son drapeau la masse
du parti conservateur de Québec. Nous étions alors à Ottawa,
nous avons eu une connaissance intime de tous les incidents
extérieurs et intérieurs de cette crise. Et nous ne croyons
rien exagérer en faisant cette affirmation.
MÉLANGES 275
ment fédéral a adressé le 27 juillet dernier, après la
session fédérale, au gouvernement du Manitoba pour le
prier de reconsidérer sa décision dans la question des
écoles.
Nous ne commenterons pas ce document aujour-
d'hui. Nous nous bornerons à signaler qu'il s'écarte du
solide terrain sur lequel le remédiai order du 21 mars
avait placé la question. Et nous devons immédiate-
ment déclarer que nous ne voyons pas sans inquiétude
ni sans regret cette modification nouvelle dans l'atti-
tude du ministère.
Le Courrier du Canada reproduisait ensuite in extenso
cette pièce. Voici le passage qui nous semblait le plus alar-
mant :
" Personne ne le niera, dans l'intérêt de tout le
monde, les questions touchant l'éducation devraient
être exclusivement réglées, si cela est possible, par la
législature locale. A tous les points de vue, selon la
manière de voir du sous- comité, cette ligne de conduite
doit être préférée ; et avec l'espoir que cette ligne de
conduite sera finalement suivie, le sous-comité a main-
tenant l'honneur de recommander que Votre Excellence
veuille bien insister auprès du gouvernement du Mani-
toba sur les observations additionnelles qui suivent, et
qu'on peut faire valoir au sujet de l'ordre réparateur.
" L'ordre réparateur joint à la réponse du gouver-
nement manitobain, a conféré à la législature fédérale
une juridiction complète dans l'espèce ; mais il ne s'en
suit aucunement que le gouvernement fédéral ait le
devoir d'exiger que, pour être mutuellement satisfai-
sante, la législation provinciale se conforme aux termes
précis de cet ordre. Il faut espérer, toutefois, que les
276 MÉLANGES
autorités locales adopteront un moyen terme, afin que
l'intervention fédérale ne soit pas nécessaire.
" En vue d'un arrangement sur cette base, il paraît
désirable de savoir, au moyen de négociations amicales,
quels amendements on peut s'attendre à voir la législa-
ture manitobaiue faire aux actes des écoles publiques
dans le sens des principaux désirs de la minorité."
LE DISCOURS DU TRONE
Le 20 décembre 1895, le gouvernement Greenway répondit
à l'ordre en conseil adopté par le cabinet fédéral le 27 juillet
précédent, en refusant péremptoirement de rendre à la mino-
rité catholique ses droits.
La session du Parlement fédéral s'ouvrit le 2 janvier 1896.
Le discours du trône contenait un paragraphe dans lequel la
législation réparatrice était annoncée, comme l'indiquait la,
dépêche suivante :
Ottawa, 2 janvier. — L'ouverture du Parlement a eu
lieu aujourd'hui avec le cérémonial ordinaire. Un assez
bon nombre de députés et de sénateurs sont arrivés,
malgré l'ajournement annoncé. C'est que les circon-
stances sont graves et que la partie qui va s'engager
est d'un intérêt suprême.
Le discours du trône qui vient d'être lu est long, très
long, mais pour bien des gens il ne contient qu'un
paragraphe : celui où il est question de la législation
réparatrice.
Voici donc le programme du gouvernement qui se
dessine. Le ministère a fait un pas de plus vers l'ac-
complissement de ses promesses.
MÉLANGES 277
La législation réparatrice annoncée dans le discours
du trône, c'est là un fait capital, un fait qui domine
toutes les nouvelles de couloirs, toutes les rumeurs et
tous les potins politiques.
Après les élections de Cardwell, de Montréal-Centre
et de Jacques-Cartier, bien des gens disaient : Le gou-
vernement va rebrousser chemin. Des journaux impor-
tants faisaient entrevoir le même résultat. Quelques-uns
prétendaient que le gouvernement allait faire présenter
le bill par un député, suivant l'idée du professeur Wel-
don, et laisser la question libre. . Eh bien, tout cela est
démenti par le discours du Trône. Le gouvernement
déclare formellement qu'il va présenter cette loi comme
mesure ministérielle.
Voici le passage du discours officiel qui annonçait la légis.
lation réparatrice :
" Immédiatement après la prorogation du parlement,
mon gouvernement a transmis par l'intermédiaire du
lieutenant-gouverneur du Manitoba, au gouvernement
de cette province, une communication à l'effet de con-
naître quelles auraient été les modifications que les
autorités locales du Manitoba auraient été disposées à
proposer aux lois scolaires de la province et quel arran-
gement il aurait été possible de faire avec le gouverne-
ment manitobain dans le but de rendre inutile l'inter-
vention du Parlement fédéral en la matière. Je regrette
de dire que les aviseurs du lieutenant-gouverneur ont
refusé de considérer favorablement les suggestions faites,
mettant par là mon gouvernement dans la nécessité de
poursuivre la politique qu'il a énoncée et d'introduire
une législation sur ce sujet."
278 MÉLANGES
NOUVELLE CRISE MINISTÉRIELLE i
7 janvier 1896.
Le cabinet fédéral est coupé en deux.
Sept ministres ont démissionné.
Sept ministres demeurent à leur poste.
Quelle est la cause certaine de cette crise qui a
éclaté comme une bombe dans notre monde politique ?
Personne ne le sait, et tout le monde en est réduit
aux conjectures.
Est-ce sur la question des écoles, que la sécession
des sept ministres s'est produite ?
C'est possible ; mai", le fait que sir Charles-Hibbert
Tupper, avocat reconnu de la législation réparatrice,
est l'un des démissionnaires, déroute un peu ceux qui
seraient tentés d'adopter cette version de la crise.
S'agit-il simplement d'un mouvement pour remplacer
sir MacKenzie Bowell par sir Charles Tupper senior ?
C'est encore possible, et l'article de la Gazette de Mont-
réal, que nous publions ailleurs, est dans ce sens.
Dans tous les cas, le parti conservateur n'a pas depuis
longtemps traversé une crise comparable à celle-ci. Au
lendemain de l'ouverture de la session, lorsque le dis-
cours du trône contenant le programme du gouverne-
ment vient à peine d'être lu, à la veille du débat sur
1 — Le 5 janvier, une crise ministérielle de la plus extrême
gravité éclata soudain à Ottawa. Sept membres du ministère
Bowell donnèrent leur démission. C'étaient les honorables
MM. Foster, Sir C.-Hibbert Tupper, Haggart, Montague, Ives,
Dickey et Wood. Il s'ensuivit un imbroglio politique qui
dura près de dix jours.
MÉLANGES 279
l'adresse, la moitié des ministres se retire et le premier
ministre se voit acculé à une démission forcée, ou à une
tentative de réorganisation ministérielle presque impos-
sible dans un pareil moment !
Dans l'ignorance où nous sommes de la cause exacte
de la crise, il est difficile de faire des commentaires. Si
sir MacKenzie Bowell est abandonné parce qu'il veut
tenir toute sa parole, et faire respecter loyalement la
constitution, les hommes d'honneur applaudiront à son
attitude courageuse. S'il ne s'agit que d'un changement
de leader, nous nous bornerons à faire observer qu'il
aurait été bien facile en décembre 1894, au lendemain
de la mort de sir John Thompson, de placer sir Charles
Tupper à la tête du parti conservateur.
Nous avons alors hautement réclamé Sir Charles
comme chef, mais nous avons prêché dans le désert, et
les visées personnelles de plusieurs des démissionnaires
d'aujourd'hui ont empêché cette combinaison facile et
destinée à donner une nouvelle vitalité au parti con-
servateur.
On essaierait aujourd'hui, dans des conditions diffici-
les, ce qui aurait pu si bien se faire, il y a dix-huit
mois !
Ce matin, un grand caucus conservateur se tient à
Ottawa. Que va-t-il en sortir ? La paix ou la guerre ?
L'harmonie ou la discorde ? Nous le saurons probable-
ment cette après-midi.
Le conseil suprême que nous avons à donner à nos
amis du Parlement fédéral, c'est de mettre les questions
de principes au-dessus des questions de personnes, et
de conserver intact, quoi qu'il en coûte, l'honneur du
drapeau conservateur.
280 MÉLANGES
11 janvier 1896.
Toujours le statu quo, à Ottawa,
Sir MacKenzie Bowell est toujours premier ministre
d'un cabinet où il y a sept places vides,
La journée d'hier nous a cependant apporté du nou-
veau. Nous avons appris que sir MacKenzie est allé
donner sa démission au gouverne ar-géuéral, qui n'a pas
voulu l'accepter, dans les conditions où se trouvent le
Parlement et les partis.
Et, en face de cette situation, les chambres se sont
ajournées à mardi prochain : cinq jours de vacance par-
lementaire.
Dans l'intervalle, le premier ministre, en conséquence
du refus de lord Aberdeen d'accepter sa démission, va
travailler à réorganiser son cabinet.
S'il réussit, il rencontrera les chambres mardi, et sou-
mettra sa politique au vote de la députatiou, avec la
perspective de dissoudre le Parlement en cas de défaite.
S'il échoue, lord Aberdeen ne pourra plus, d'après
nous, refuser sa démission. Et alors, qui le gouverneur-
général appellera- 1- il ?
Sera-ce M, Laurier ? Mais M. Laurier n'a pas la
majorité, ne possède pas la confiance du Parlement,...
Advenant la retraite définitive de sir Mackeuzie, le
gouverneur-général serait donc absolument justifiable de
ne pas l'appeler.
Bien des gens croient qu'alors, sir Charles Tupper
serait choisi et accepterait la tâche.
D'ici à deux ou trois jours, nous saurons à quoi nous
en tenir sur tout cela.
Pour notre part tout ce que nous demandons, c'est
que le programme du parti conservateur sur la question
des écoles ne fasse pas naufrage au milieu de la crise.
MÉLANGES 281
15 janvier 1896.
La crise est virtuellement terminée.
Le gouvernement conservateur et le parti conserva-
teur sortent sains et saufs de la tourmente qui a paru
sur le point de les détruire.
Le ministère Bowell reste debout, avec une accession
importante. Sir Charles Tupper entre dans le cabinet,
et lui apporte une foi ce immense. Le programme du
ministère, tel qu'exposé dans le discours du Trône, n'est
pas changé d'un iota, et sera accepté par la majorité
conservatrice plus facilement qu'avant la crise, cela
nous paraît évident.
Donc, à tous ces points de vue, la situation est bonne,
meilleure même, suivant nous, qu'il y a quinze jours.
Par contre — nous ajoutons cela parce que nous
tenons à présenter les choses telles qu'elles sont, et à
faire avant tout du journalisme sérieux — par contre,
le parti conservateur a été soumis à une dure épreuve.
Des paroles ont été dites qui ont dû faire de cruelles
blessures, des dissentiments se sont manifestés qui ont
nécessairement créé une impression fâcheuse. L'acte
des sept ministres démissionnaires a été généralement
censuré par leurs propres amis, et six d'entre eux ren-
trent cependant au ministère aujourd'hui.
Mais ce ne sont là que les petits côtés de la situa-
tion. Les difficultés personnelles, les blessures d'amour-
propre, les ressentiments et les antipathies disparaissent
devant la grandeur des intérêts et des causes qui sont
en jeu. Et c'est pour cette raison que nous saluons
avec une satisfaction sincère l'heureuse issue de cette
crise politique où le parti conservateur pouvait sombrer,
et dont il sort victorieux par un prodige de vitalité
inouï.
282 MÉLANGES
Maintenant la session va reprendre son cours, et nous
espérons que le programme du cabinet sur la question
des écoles va subir avec succès l'épreuve parlemen-
taire.
LA LOI REPARATRICE
Le 11 février 1896, le bill réparateur annoncé dans le dis-
cours du Trône fut présenté et lu une première fois. Dans
son ensemble, il justifiait son titre et était vraiment répara-
teur. Le Courrier du Canada en appuya l'adoption de toutes
ses forces.
14 février 1896.
Nous contiaissons maintenant les grandes lignes de
la loi réparatrice. Et ce qui en a été publié peut donner
une assez bonne idée de la portée de cette mesure.
Qu'est-ce que nos amis du Manitoba demandaient ?
Ils demandaient la restauration de leur autonomie
scolaire.
En quoi consistait cotte autonomie ?
Avant 1890, les catholiques du Manitoba avaient
une organisation scolaire séparée.
Ils avaient leurs écoles, leurs syndics, leur institu-
teurs, leurs livres, leur bureau d'éducation et leur sur-
intendant. En un mot ils jouissaient d'un système
complet d'instruction publique, dirigé suivant leurs
vues, leurs principes religieux, et leur conscience.
De plus ils n'avaient pas à payer de taxes munici-
pales pour les fins scolaires, et ils avaient droit à leur
juste part des subventions de la province pour l'éduca-
tion.
MÉLANGES 283
Eh bieD, le texte même du bill ne nous est pas
encore parvenu. Nous n'avons sous les yeux que les
extraits qui ont été livrés à la presse. Et c'est à l'aide
de ces extraits que nous voulons examiner avec nos
lecteurs si les droits dont jouissaient nos coreligion-
naires leur sont rendus par la législation proposée.
Avant 1890, les catholiques du Mauitoba avaient
leurs écoles.
La loi réparatrice .pose eu principe que les écoles
séparées seront rétablies dans la province du Manitoba,
qu'il y aura un bureau d'éducation pour ces écoles, que
les conseils municipaux (article 10 de la loi) constitue-
ront des districts scolaires et en délimiteront l'étendue
et le territoire, qu'à leur défaut le bureau d'éducation
agira en leur lieu et place. L'article 10 ajoute :
" Pourvu que la formation ou l'altération des dis-
tricts scolaires par les conseils municipaux, par les syn-
dics ou les maires de municipalités ou l'inspecteur local
ou les inspecteurs locaux soient en conformité avec les
règlements qui pourraient être faits de temps à autre
par le bureau d'éducation; et tous les règlements et
résolutions proposés pour la formation ou modification
des districts scolaires devront être soumis au bureau et
recevoir sa sanction avant d'être mis en vigueur ;
pourvu que, aussi, sur le refus ou la négligence de la
part d'un conseil, des maires ou des conseillers, et sur
le refus des inspecteurs municipaux d'établir certain
district scolaire quand ils y seront invités par au moins
cinq pères de famille dans tel district ; ou sur un appel
contre les décisions des autorités susdites formant un
certain district scolaire, le bureau aura le pouvoir d'an-
nuler ou de confirmer telle décision ou action contre
284 MÉLANGES
lesquelles on en aura appelé, puis de former ou de
modifier tel district scolaire de la manière qu'il le jugera
convenable dans les trois mois qui suivront la réception
de telle requête ; pourvu, en outre, qu'aucun district
scolaire ne soit organisé en vertu de l'acte, à moins
qu'il n'y ait au minimum dix enfants catholiques en
âge de fréquenter les écoles et résidant dans tel district,
et demeurant à une distance de pas plus de trois milles
d'un endroit qui pourrait être choisi comme site d'une
école. "
Donc, la loi réparatrice rend aux catholiques du
Manitoba leurs écoles. Cet article est la reproduction
littérale de l'article 11 du bill préparé par M. Ewart
lui-même et soumis au gouvernement avec sa plai-
doirie, l'année dernière.
Avant 1890, les catholiques avaient leur syndics
d'écoles, La loi réparatrice reproduit presque mot à mot
les clauses 16 et 17 du bill préparé par M. Ewart, rela-
tives aux assemblées scolaires et à l'élection des syndics.
Donc, la loi réparatrice rend aux catholiques leurs
syndics.
Avant 1890, les catholiques du Manitoba avaient
leurs instituteurs. La loi réparatrice, par sa clause
deuxième, décrète qu'il sera du devoir du bureau d'édu-
cation :
" 2" De pourvoir à l'examen et à la classification
convenable de ses instituteurs et retirer la licence, pour
raisons valables, pourvu que le degré de qualification
des instituteurs soit, en matières profanes, le même que
celui qui sera, en aucun temps, exigé des instituteurs
des autres écoles d'un caractère public établies en vertu
des lois du Manitoba et pourvu de plus que les licences
MÉLANGES 285
émises par le département provincial d'éducation soient
admises par le bureau d'éducation des écoles séparées."
Donc la loi réparatrice rend aux catholiques du
Manitoba leurs instituteurs.
Avant 1890 les catholiques du Manitoba avaient leur
bureau d'éducation. La clause deuxième de la loi répa-
ratrice dit :
" Le lieutenant-gouverneur en conseil de la province
du Manitoba, devra nommer pour former et constituer
le bureau de l'éducation des écoles séparées un certain
nombre de personnes, ne dépassant pas neuf et qui
seront toutes catholiques.
" Si le lieutenant-gouverneur en conseil, dans hs
trois mois qui suivront la mise en vigueur de la pré-
sente loi, ne fait pas la nomination d'un bureau des
écoles séparées, ou si le lieutenant-gouverneur en con-
seil ne remplit pas une vacance qui pourrait se pro-
duire, pour une raison quelconque, dans le bureau des
écoles séparées, dans les trois mois qui suivront cette
vacance, alors le gouverneur en conseil pourra faire les
nominations que le lieutenant-gouverneur n'aura pas
faites."
Donc la loi réparatrice rend aux catholiques du
Manitoba leur Bureau d'éducation.
Avant 1890, les catholiques du Manitoba avaient
leur surintendant.
La loi réparatrice dit :
" 7. Le lieutenant-gouverneur en conseil nommera
un des membres du bureau des écoles séparées pour
être surintendant des écoles, et le surintendant sera
secrétaire du bureau. S'il n'est pas fait de nomination,
286 MÉLANGES
le bureau choisira un de ses membres pour être surin-
tendant."
Avant 1890, les catholiques du Manitoba avaient
leurs livres. La loi réparatrice donne au bureau d'éduca-
tion catholique le pouvoir :
" De choisir tous les livres, cartes et sphères qui
seront mis en usage dans les éoles sous son contrôle,
pourvu toujours que ces livres, cartes ou sphères aient
été autoiisés soit dans les " high schools " ou dans les
écoles publiques de la province du Manitoba, soit dans
les écoles séparées de la province d'Ontario."
Il y a là une certaine restriction discutable, ^ mais
cette clause n'en rend pas moins aux catholiques du
Manitoba le choix de livres conformes à leurs convic-
tions religieuses.
Avant 1890 les catholiques du Manitoba n'avaient
pas à payer de taxes pour les écoles publiques où leur
religion leur défendait d'envoyer leurs enfants. La loi
réparatrice contient l'article suivant :
" 28. Les contribuables catholiques d'un district
scolaire, y compris les sociétés religieuses, de secours ou
d'éducatiou, devront être taxés pour le soutien des écoles
séparées du district.
" (a). Aucun catholique taxé loour le soutien d'une
école séparée ne pourra être forcé de contribuer à
V érection ou au maintien d'une autre école, ni par
une loi provinciale ou autrement; de même aucune
propriété déjà chargée de cette taxe, ne sera sujette à
l'impôt scolaire."
1 — Cette clause fut amendée de manière à permettre au
bureau de choisir les livres parmi ceux qui étaient en usage
dans les écoles publiques ou séparées de n'importe quelle
province.
MÉLANGES 287
Donc la loi réparatrice rend aux catholiques du Mani-
toba l'exemption de la taxe pour les écoles publiques,
exemption dont ils jouissaient avant 1890.
Avant 1890 les catholiques du Manitoba avaient
droit à leur juste part de taxes municipales pour les
fins scolaires. La loi réparatrice renferme une clause
dont voici les dispositions :
" L'article 23 enjoint aux municipalités de percevoir
les taxes scolaires pour le compte des écoles séparées et
d'en remettre le montant aux syndics de ces écoles. Si
une municipalité refuse ou néglige de faire cette per-
ception, le bureau des écoles séparées aura droit de le
faire à sa place."
Donc la loi réparatrice remet les catholiques du Mani-
toba sur le même pied qu'avant 1890 quant aux taxes
municipales.
Enfin, avant 1890 les catholiques du Manitoba
avaient droit à leur juste part des subventions de la
province pour l'éducation. La loi réparatrice contient à
ce sujet la clause suivante :
" 74 — Le droit d'obtenir leur part proportionnelle des
fonds publics accordés pour la diffusion de l'enseigne-
ment ayant été décidé et étant maintenant l'un des
droits et privilèges de la minorité catholique des sujets
de Sa Majesté dans la province du Manitoba, toute
somme accordée par la législature du Manitoba et des-
tinées aux écoles séparées, devi'a être mise au crédit du
bureau de l'auditeur."
Ici, il est clair que le pouvoir fédéral n'intervient pas
directement. Cette clause prcclame le droit des catholi-
ques à leur part de subventions publiques, elle ne décrète
pas qu'ils toucheront cette part, pour la bonne raison que
288 MÉLANGES
le gouvernement et le parlement fédéral sont impuis-
sants à disposer des deniers d'une province. Si le gou-
vernement du Manitoba ne veut pas payer la subven-
tion à laquelle les catholiques ont un droit légal, le par-
lement fédéral n'a certainement pas le pouvoir consti-
tutionnel de forcer les provinces à payer cette subven-
tion.
11 y a là une difficulté pratique qui ne peut être sur-
montée directement mais qui pourra l'être probable-
ment par un moyen indirect. La discussion de la loi
et les renseignements qui nous manquent encore nous
apprendront sans doute ce qu'il faut en penser.
Evidemment ce sont les catholiques du Manitoba
qui sont les plus intéressés. Mgr Langevin, M. Ewart
ont revendiqué les droits de la minorité. Nous ignorons
encore leur sentiment. Pour nous, nous avons traduit
l'impression que nous avons reçue du texte encore
incomplet et publié par les journaux.
OTTAWA ET WINNIPEG
26 février 1896.
JJ Electeur d'hier publie un long article pour établir
que le gouvernement fédéral a mal agi envers le gou-
vernement Greenway, a manqué d'égards et de diplo-
matie dans sa manière de traiter avec lui la question
scolaire, eu un mot a fait preuve, dans ses relations
avec l'administration manitobaine, d'une arrogance,
d'une précipitation et d'un esprit d'empiétement vrai-
ment intolérables.
MÉLANGES 289
C'est bien là la thèse libérale, la thèse de M. Laurier
et de toute sa presse : Le gouvernement fédéral s'est
montré trop impératif envers le gouvernement mani-
tobain et l'a pris à la gorge.
Eh bien, nous allons voir, à la lumière des faits, si
cette thèse est soutenable.
La loi scélérate de M. Greenway a été sanctionnée
le 31 mars 1890.
Le gouvernement fédéral avait un an pour la désa-
vouer. Il laissa écouler cette année sans appliquer le
veto à la législation qui blessait si gravement les droits
de la minorité catholique. Nos libéraux disent aujour-
d'hui que le cabiuet fédéral eût dû désavouer. Mais
eux qui crient tant à la coercition en ce moment, ne
croient-ils pas que le veto eût été pour le moins aussi
coercitif que le remédiai act î La minorité catholique
du Manitoba redoutait le désaveu et ne demanda pas
au gouvernement d'employer ce moyen.
On intenta des procédures pour faire déclarer la loi
inconstitutionnelle. Et le gouvernement fédéral atten-
dit l'issue des procès.
Jusque-là, peut-on dire qii'il prenait le gouverne-
ment du Manitoba à la gorge ?
De juridiction en juridiction la cause se rendit au
Conseil Privé qui déclara la loi Greenway constitution-
nelle, par un jugement prononcé le 30 juillet 1892.
La minorité catholique demanda alors au gouverneur
général en conseil de recevoir son appel conformément
à la section deuxième de la clause 22 de l'Acte du
Manitoba. Le gouvernement fédéral se hâta-t-il d'agir ?
Non ; il résolut d'obtenir au préalable une décision de
la Cour Suprême sur la question de savoir si le gouver-
19
290 MÉLANGES
neiir général en conseil pouvait recevoir l'appel, après
le jugement du Conseil Privé.
Le cabinet d'Ottawa demanda au gouvernement de
Winnipeg de se faire représenter par un avocat. Le
cabinet Greenway refusa de se faire représenter devant
le Conseil privé à Ottawa, et refusa de plaider devant
la Cour Suprême.
Au milieu de toutes ces procédures, le gouvernement
fédéral montrait-il une hâte indue d'intervenir dans les
affaires du Manitoba ?
La Cour Suprême décida que la minorité n'avait pas
droit d'appel, par un jugement prononcé le 20 février
1894.
Au mois de mai de la même année, les évêques du
Canada adressèrent au gouvernement fédéral une nou-
velle pétition lui demandant de redresser les griefs des
catholiques.
/ Ici, nous prions nos lecteurs de remarquer l'attitude
prise par le cabinet d'Ottawa.
Que fit-il ? Par un ordre en conseil daté du 26 juil-
let 1894, il adressa au gouvernement de Winnipeg un
chaleureux appel. Il lui communiqua le mémoire ou la
pétition des évêques, qui constituait un éloquent plai-
doyer en faveur de la minorité. L'ordre en conseil du
26 juillet se terminait par les lignes suivantes :
" Le comité désire faire remarquer à Votre Excel-
lence que les déclarations contenues dans ce mémoire
sont des questions d'une grande portée et d'une grande
influence sur les intérêts du Dominion en général. Il
est de la lolus haute importance pour le peuple du
Canada que les lois qui régissent le Dominion ne
soient pas telles qu'elles donnent lieu à des ]jlaintes
MÉLANGES 291
d'oppression et d'injustice de la part d'une cause ou
d'une partie de la population ; mais elles devraient
être reconnues comme établissant une liberté et une
égalité parfaites, surtout dans les matières concernant
la religion et les croyances et pratiques religieuses, et
le comité recommande humblement, en conséquence, à
Votre Excellence de s'unir à lui pour exprimer le
plus vif espoir que la législature duu M anitoba pren-
dra en considération, à la plus prochaine date pos-
sible les plaintes formulées."
Etait-ce là prendre le Manitoba à la gorge ? Au con-
traire, ce document si modéré, si mesuré de ton, était
une porte ouverte à la conciliation. C'était un appel
patriotique aux autorités provinciales, par lequel on
leur demandait de remédier elles-mêmes, dans la pléni-
tude de leur autonomie, à toute plainte bien fondée, et
à tout grief bien constaté.
Certes, on ne prétendra pas qu'il y avait là l'ombre
d'une tentative de coercition.
Le gouvernement fédéral, dans ce document, faisait
exactement ce que M. Laurier et sa presse lui reprochent
de ne pas avoir fait. Il essayait d'amener le gouverne-
ment Greenway à entrer dans la voie de la conciliation.
Eh bien, comment ce gouvernement accueillit-il la
démarche du cabinet d'Ottawa ? Il l'accueillit par
une fin de nou-recevoir catégorique, par un refus
péremptoire. Le 20 octobre 1894, il adopta un arrêté
en conseil pour répondre à l'appel du ministère fédéral.
Et cet arrêté contenait les lignes suivantes sur les-
quelles nous ne saurions trop appeler l'attention de
nos lecteurs :
*' Les questions qu'on soulève dans le rapport à
292 MÈLAKGES
l'étude ont été le sujet de discussions sans fin à la
législature du Manitoba, pendant les quatre dernières
années. Toutes les déclarations faites dans le mémoire
adressé au gouverneur général en conseil et bien d'au-
tres ont été souvent faites à la législature et discutées
par elle....
" Après une harassante contestation judiciaire, le
plus haut tribunal de l'empire a décidé que la législa-
ture, en adoptant la loi de 1890, était dans les limites
de ses pouvoirs constitutionnels, et que le sujet de
l'éducation appartient à la législature. Etant données
les circonstances, l'exécutif de cette province ne voit
aucune raison de demander à la législature d'altérer
les principes de la loi dont on se plaint. Il a et
clairement établi qu'il n'y a pas de griefs à moins
que le refus de subventionner des religions particu-
lières à même les fonds publics ne soit un grief. La
Législature peut difficilement être tenue responsable du
fait que son refus de violer un principe de gouverne-
ment juste et rationnel, crée, comme le dit le rapport,
un sentiment de mécontentement parmi les catholi-
q.ues."
Ainsi, à l'appel plein de modération du gouverne-
ment fédéral en faveur d'une politique de conciliation,
le gouvernement Greenway répondait péremptoire-
ment : " Toute cette question a été débattue à fond par
notre législature depuis quatre ans; les catholiques
n'ont pas de griefs, et nous ne changerons rien à notre
loi."
Nous demandons aux gens impartiaux : De quel côté
étaient les bons procédés, la modération et la concilia-
tion ?
MÉLANGES 293
Le 20 janvier 1895, le Conseil Privé impérial rendit
jugement sur la question du droit d'appel, renversa la
décision de la Cour Suprême, et proclama que les catho-
liques avaient de justes griefs. La minorité demanda
immédiatement au gouverneur général en conseil d'en-
tendre son appel. Mais avant que cet appel pût être
entendu, la législature du Manitoba ouvrit sa session,
le 14 février 1895, (L'appel des catholiques ne com-
mença à être plaidé devant le Conseil Privé d'Ottawa
que le 4 mars suivant).
Le gouvernement manitobain connaissait alors le
jugement du Conseil Privé, prononcé le 20 janvier; il
savait que les droits des catholiques avaient été recon-
nus ; il avait, en outre, par devers lui, l'appel à la con-
ciliation que lui avait adressé le gouvernement fédéral
le 26 juillet précédent. Quelle belle occasion pour
proclamer, dans le discours du Trône, que, s'inclinant
devant la décision du plus haut tribunal de l'empire,
on allait généreusement essayer de remédier aux griefs
de la minorité !
Non, n'attendez pas cela du gouvernement Greenway.
Le discours du Trône parle du jugement du Conseil
Privé ; mais c'est pour dire qu'il ne sera pas mis à eftet
par la province. Nous citons :
" Par un jugement rendu récemment par le comité
judiciaire du Conseil Privé sur appel d'une décision de
la Cour Suprême, il a été déclaré que les catholiques
ont droit d'appel devant le gouverneur général en Con-
seil et que celui-ci a le pouvoir de faire une loi remé-
diatrice. Mon gouvernement ne sait pas encore si le
gouverneur général lui demandera de modifier la loi
scolaire de 1890 ou s'il proposera une loi réparatrice.
294 MÉLANGES
" Dans tous les cas ce n'est 'pas l'intention de mon
gouvernement de revenir sur la détermination bien
arrêtée qu'il a prise de maintenir le système actuel
des écoles publiques qui deviendra bientôt universel
dans la province si on le laisse fonctionner comme il
fonctionne."
Les ministres manitobains mettaient ce discours du
Trône dans la bouche du lieutenant-gouverneur le 14
février 1895. Le remédiai order ne devait être adopté
que le 21 mars suivant. Par conséquent le gouverne-
ment fédéral n'avait en aucune manière manifesté son
intention d'intervenir. Mais M. Greenway courait au
devant des coups et s'écriait : j'ignore ce que les gens
d'Ottawa vont faire, mais qu'ils fassent ce qu'ils vou-
dront, je les avertis que nous ne changerons pas notre
loi.
De quel côté étaient l'arrogance et le défi ?
Ce n'est pas tout. Un député libéral, M. Fisher, pro-
posa, dans la législature, une motion où il était dit
qu'étant donné le jugement du Conseil Privé, et dans
l'intérêt de l'autonomie provinciale, la législature était
prête " à considérer les griefs, en vue d'accorder un
redressement raisonnable, tout en maintenant autant
que possible, les principes du présent acte." Le gouver-
nement Greenway fit repousser par sa majorité cette
nouvelle proposition de conciliation!... Pas de conces-
sions, tel était son mot d'ordre.
Le pouvoir provincial prenant une pareille attitude, il
ne restait plus au gouvernement fédéral qu'à entendre
l'appel de la minorité catholique. Cet appel fut entendu
les 4, 5 et 6 mars. Le 21 mars le remédiai order fut
adopté. On dit que son langage était trop autoritaire.
MÉLANGES 295
Non ; ce document ne pouvait être rédigé autrement.
Il devait suivre autant que possible les lignes tracées
par le jugement du Conseil Privé, et ne pouvait revêtir
une autre forme que celle d'un arrêté judiciaire. Mais
on ne doit pas oublier qu'un ordre en conseil accompa-
gnait l'arrêté réparateur. Et, dans cet ordre en conseil,
le respect de l'autonomie provinciale était hautement
manifesté comme on peut s'en convaincre en lisant le
passage suivant :
" Le comité émet donc l'avis que la législature pro-
vinciale soit priée de considérer s'il lui serait permis de
prendre, sur la décision de Votre Excellence en conseil,
une résolution qui, en refusant de redresser un grief
dont la plus haute cour de l'empire a reconnu l'exis-
tence, obligerait le Parlement à accorder une répara-
tion dont 'par la constitutiort, la législature provin-
ciale doit être proprement l'initiatrice et V auteur ;
et de se déposséder ainsi permanemment dans une très
grande mesure de son autorité en laissant établir dans
la province un système d'instruction publique qui, quels
que fussent les changements dans la situation future
et les vues de la population, ne pourrait plus être
modifié ni révoqué par aucun corps législatif eu Canada."
Il y avait dans ses lignes un nouvel appel à la conci-
liation. On conjurait presque les autorités provinciales
d'agir elles-mêmes, et d'éviter au pouvoir fédéral la
pénible nécessité d'intervenir.
Quelle fut la réponse du Manitoba ? Encore un refus
péremptoire :
" Nous sommes contraints de déclarer respectueuse-
ment à votre Excellence en conseil que nous ne pou-
vons pas accepter la responsabilité de mettre à exécution
296 MÉLANGES
les ordonnances contenues dans le remédiai order.
Nous nous objectons i^ar principe à toute modifica-
tion dans nos statuts relatifs à l'instruction publique
qui p)ourraient amener V établissement d'un ou de
plusieurs systèmes d'écoles.
" Il est évident que l'établissement d'un système
d'écoles catholiques avec un système d'écoles protes-
tantes déciderait probablement les mennonites et autres
dénominations religieuses à demander un système d'éco-
les à elles propres. Cela aurait nécessairement comme
résultat de nuire à l'efficacité de l'enseignement tel qu'il
est établi depuis 1S98, et nous ne pouvons pas nous
soumettre à l'établissement d'un pareil état de choses."
C'était là un refus formel et catégorique de rétablir
les écoles séparées.
Cependant, le gouvernement fédéral voulut encore
tenter un effort. Au lieu de présenter sa loi réparatrice
à la session de l'été dernier, il courut le risque d'une
crise formidable, pour donner une dernière chance aux
autorités provinciales. Il demanda aux représentants de
la minorité d'attendre six mois encore ; il prorogea le
Parlement sans proposer sa législation scolaire, et il
adressa au gouvernement Greenway l'ordre en conseil
du 27 juillet dernier, dans lequel il poussait l'esprit de
conciliation jusqu'aux extrêmes limites.
Le gouvernement manitobain persista dans son atti-
tude de défi et d'obstination. Sans doute, dans ses deux
dernières réponses, il prononçait le mot d'enquête, mais
en faisant bien entendre que jamais il ne rétablirait les
écoles séparées.
Ce n'est qu'après tout cela, après toutes ces vaines
tentatives, après toutes ces démarches infructueuses,
MÉLANGES 297
après tous ces rameaux d'olivier tendus au gouverne-
ment Greenway, après tous ces essais de conciliation
suivis de toutes ces rebuffades, que le ministère fédéral
s'est décidé à agir.
Il a rédigé sou bill réparateur, il l'a soumis au Parle-
ment Et il se trouve des gens pour prétendre que
le cabinet d'Ottawa a pris Manitoba à la gorge ! ! !
Et il se trouve des discoureurs pour aller crier à
Toronto : pas de coercition !
Et il se trouve des Electeurs pour répéter ce cri et
pour accuser le gouvernement fédéral de précipitation,
d'arrogance, de manque d'égards envers le gouverne-
ment manitobain ! !
Franchement, c'est à dégoûter incurablement de la
discussion publique avec de tels adversaires.
LA TRAHISON DE M. LAURIER
4 mars 1896.
La trahison est consommée !
M. Laurier a commis la suprême infamie que fai-
saient prévoir son attitude oblique et ses déclarations
tortueuses depuis un an.
Sur la motion de sir Charles Tdpper pour la deu-
xième lecture du remédiai act, M. Laurier a proposé le
renvoi à six mois, le six months hoist, c'est-à-dire la
mort ignominieuse et l'enterrement honteux !
Oui, ce Canadien- Français et ce catholique a trouvé
cela dans son cœur et dans sa conscience !
298 MÉLANGES
Voici un bill qui restitue aux catholiques manitobains
leur autonomie scolaire, qui propose au parlement fédé-
ral l'affirmation du grand principe des écoles séparées,
qui répare les injustices commises par un gouvernement
persécuteur, qui rend à nos frères de là-bas leurs droits
et leurs franchises violés.
Et M. Laurier, ce grand patriote propose purement
et simplement de tuer ce bill en deuxième lecture,
comme un de ces projets de loi ridicules ou odieux con-
tre lesquels se coalisent parfois les répulsions et les
sifflets des deux côtés de la chambre.
Si quelqu'un eut prédit cela il y a un an, il eût été
traité de menteur et de calomniateur par toute la presse
libérale.
Si quelqu'un eut dit, il y a dix-huit mois : Le gou-
vernement va proposer un bill pour rétablir les écoles
séparées au Manitoba, et M. Laurier va proposer bruta-
lement le six months hoist, une. clameur d'indignation
serait sortie de toutes tes poitrines libérales contre l'au-
dacieux détracteur du chef de l'opposition.
Eh bien, ce qui aurait paru alors un acte impossible
à concevoir, un acte dont la seule supposition aurait été
une insulte, M. Wilfrid Laurier, député de Québec-Est
et chef de l'opposition l'a froidement commis hier soir.
Il a demandé à la chambre, non pas d'étudier le bill,
de considérer s'il ne serait pas possible de l'améliorer ;
il a demandé à la chambre de le tuer.
Cette attitude est celle d'un traître.
Nous la dénonçons à tous les hommes de cœur, à
tous les esprits honnêtes, à tous les vrais patriotes.
Une longue salve d'applaudissements enthousiastes
va accueillir la trahison de M. Laurier dans tous les cen-
MÉLANGES 299
très fanatiques d'Ontario. Mais en revanche ici, à plus
d'un foyer libéral, il y aura de l'amertume au cœur et
de la honte au front.
Pourtant M. Laurier avait un beau rôle, un grand
rôle historique à jouer. Il pouvait marcher sur les tra-
ces de ces illustres hommes d'Etat anglais Peel, Welling-
ton, Grey, Brougham, Gladstone, qui, eu mainte occa-
sion, surent s'élever au-dessus des mesquines considéra-
tions de parti, et tendre la main à des adversaires pour
régler quelqu'une de ces questions brûlantes dont l'agita-
tion prolongée devient un péril national. Il aurait pu, de
concert avec sir McKenzie Bowell, attacher son nom à
la solution pacifique de la question scolaire du Manitoba.
Il ne l'a pas voulu.
Il a préféré, pour flatter les préjugés des sectaires, tra-
hir la cause de la minorité, trahir la cause de la consti-
tution, servir les haines de McCarthy et de Wallace,
mépriser les conseils et les vœux de l'épiscopat, se ran-
ger du côté des persécuteurs pour leur permettre de con-
tinuer à écraser les persécutés.
C'est bien. Qu'il aille jusqu'au bout dans cette voie.
Il n'aura pas même le salaire de sa défection.
Il veut tuer le bill réparateur.
C'est le bill réparateur qui va le tuer.
Et, dans la défaite écrasante qui l'attend, il lui man-
quera la chevaleresque consolation de François 1er, et
il ne pourra répéter le mot célèbre du vaincu de Pavie
qu'avec cette variante :
" Tout est perdu, même l'honneur " ! ^
1 Au lieu d'être écrasé, comme nous avions alors raison
de le croire, M. Laurier a triomphé, et, sa carrière depuis
cette date n'a été qu'une longue série de succès et de vie-
300 MÉLANGES
QUI FAUT-IL CROIRE ?
18 mars 1896.
Il nous semble que, dans tout le débat relatif à la
question scolaire, il y a certaines considérations de sim-
ple bon sens et de commune raisoa qui devraient
frapper tous les gens à esprit droit.
Voyons un peu ? Que les honnêtes lecteurs, à quelque
parti qu'ils appartiennent, sous les yeux de qui tombe-
ront ces ligues, fassent abstraction pour un instant de
leurs opinions politiques, de leurs préférences, de leurs
sympathies ou de leurs antipathies, et qu'ils raisonnent
comme raisonneraient des jurés qui auraient fait serment
d'apprécier les témoignages avec un esprit libre de tout
préjugé.
Le point à décider est celui-ci : La loi réparatrice est-
elle bonne, est-elle acceptable, est-elle efficace, est-elle
satisfaisante pour la minorité catholique du Manitoba ?
A cette question, les uns répondent oui, les autres
répondent non.
Pour juger la valeur de ces deux opinions contradic-
toires, il faut examiner quelles sont les personnes qui
les manifestent, et quels sont les motifs qui les animent.
toires. Mais le démenti que nous ont donné les événements
ne nous empêche pas de reproduire cet article, qui était l'ex-
pression d'une conviction ardente et sincère.
M. Laurier a sacrifié la cause des écoles séparées du Mani-
toba ; et il est monté au Capitole. Mais l'tieureuse fortune
qui semble s'être attachée à ses pas ne change rien à l'énor-
mité de la faute commise par lui au mois de mars 1896. Le
succès qui couronne un acte ne saurait jamais être la mesure
de sa moralité.
MÉLANGES 301
Ceux qui disent que la loi n'est pas acceptable sont
MM. Laurier, Tarte, Langelier, Geoffrion, Choquette,
etc., etc.
Sont-ils impartiaux, sont-ils désintéressés, sont-ils
sans préjugés ?
La réponse est facile. Ils ne sont ni impartiaux, ni
désintéressés, ni à l'abri des préjugés. Ils sont les enne-
mis du gouvernement qui présente la loi, voués à la
critique de tout ce que fait ce gouvernement, intéressés
à ce que ce gouvernement succombe à la tâche, espé-
rant retirer de la chute du gouvernement, celui-ci le
titre et le rang suprême de premier-ministre, celui-là
un portefeuille, cet autre une place de juge, et ainsi de
suite, c'est-à-dire que tous attendent de l'échec du
cabinet sur cette question honneur et profit.
De l'autre côté, quels sont ceux qui disent que la loi
est satisfaisante et acceptable ? Ce sont Sa Grandeur
Mgr l'archevêque de Saint-Boniface, qui n'a d'autre
parti que celui de Dieu et de l'Eglise ; M. James Pren-
dergast, un libéral, adversaire du gouvernement conser-
teur ; M. Ewart, un avocat libéral, qui n'a d'autre inté-
rêt dans la cause que celui de ses clients : le K. P.
Lacombe, un vieil apôtre, dont la seule ambition est de
voir triompher les droits de ses frères du Manitoba, etc. ^
1 — Le P. Lacombe avait écrit à M. Laurier une lettre éner-
gique et émouvante dans Laquelle il le conjurait d'appuyer la
loi réparatrice. Et Mgr Langevin avait envoyé au vénérable
missionnaire cette dépêche :
" Au révérend Père Lacombe,
" Université d'Ottawa.
" La loi est applicable, efficace et satisfaisante. Je l'ap-
prouve. Tous les évêques et tous les vrais catholiques
302 MÉLANGES
Qu'importe à ces hommes personnellement le succès
du ministère ? Il n'ont à attendre ni titres, ni faveurs,
ni places, ni argent. Tout ce qu'ils veulent, tout ce
qu'ils désirent, c'est le redressement des griefs de la
minorité catholique persécutée et ostracisée.
Telle est la situation.
La loi réparatrice est là, soumise à l'appréciation
publique.
Mgr Langevin, M. Prendergast, M. Ewart, le P.
Lacombe, représentants de la minorité, et dont l'unique
intérêt est celui de la justice, disent : la loi est bonne
et acceptable.
D'autre part, M. Laurier qui veut être premier-
ministre, M. Tarte qui veut être ministre, M. Langelier
qui veut être juge, et toute la meute libérale qui sou-
pire après la curée, disent : la loi est mauvaise et inac-
ceptable.
Quelle opinion faut-il suivre ?
Celle des hommes qui ont un intérêt personnel, inté-
rêt d'ambition, intérêt de lucre, dans l'issue du débat ?
Ou celle des hommes qui n'ont absolument rien à eu
retirer pour eux-mêmes, et dont l'unique mobile est
évidemment la victoire du droit ?
Il nous semble que pas un homme impartial, pas un
homme de bon sens, ne peut hésiter un instant.
Les principes les plus élémentaires du raisonnement
devraient l'approuver. La vie est dans le bill. Succès à vous
et à Larivière. J'approuve entièrement votre déclaration
écrite.
" (Signé), Archevêque Langevin."
M. Ewart, M. Prendergast avaient fait des déclarations non
équivoques dans le même sens.
MÉLANGES 303
indiquent clairement que c'est l'opinion désintéressée
qu'il faut suivre, et non l'opinion intéressée ; que Mgr
Langevin, M. Preudergast, M. Ewart sont des guides
plus compétents, plus sûrs, plus dignes de créance, que
des politiciens affamés du pouvoir.
Nous prions nos lecteurs de bien se pénétrer de ce
facile raisonnement et de le faire valoir autour d'eux.
EN AVANT!
La loi réparatrice fut adoptée en deuxième lecture— ce
qui sanctionnait le principe du bill-le 20 mars 1894, par un
vote de 112contre 94. M. Laurier et, à sa suite vingt-un dépu-
tés libéraux catholiques votèrent le rejet du bill.
Il s'agissait ensuite d'étudier les clauses du projet de loi
en comité. Le leader de la Chambre, sir Charles Tupper, fit
les plus grands eli'orts pour hâter la procédure.
21 mars 1896.
VElecteur disait dans son numéro de lundi :
" On se rappelle qu'au dernier caucus conservateur,
les députés Wilson et Larivière et sir Donald Smith
furent nommés en sous-comité chargé de réconcilier
les deux factions du parti ministériel.
" Il est évident que ce sous-comité a réussi dans
une grande mesure.
" Pour sauver la vie du gouvernement, on a tout
simplement sacrifié les droits des cathohques.
" Il a été convenu que, pour cacher la trahison des
députés catholiques, on voterait la seconde lecture du
304 MÉLANGES
bill. Puis, pour sauver la 'position des députés tories,
on n'irait pas plus loin. On emploierait les quelques
jours qui restent du parlement actuel en négociations
fictives."
Les italiques sont de nous.
Eh bien, une fois de plus, l'Electeur est démenti par
les faits.
Que s'est-il passé, dans la chambre des Communes,
immédiatement après le vote mémorable qui faisait
triompher le droit et la constitution ? Une dépêche
d'Ottawa résume ainsi l'incident significatif qui s'est
produit :
" L'orateur ayant demandé si la chambre désirait aller
en comité de suite, sir Charles Tupper s'est levé et a
dit : oui.
" L'honorable M. Laurier a immédiatement déclaré
que après une aussi longue séance à six heures du matin,
il n'était pas raisonnable de se mettre à étudier " l'acte
réparateur " en comité. Sir Charles a répondu qu'il
avait été décidé de pousser vigoureusement l'adoption
du bill et qu'il entendait se conformer à cette détermi-
nation. Cependant l'honorable M. Laurier ayant insisté,
sir Charles a consenti à ce que la chambre ne se consti-
tuât en comité général qu'à trois heures aujourd'hui.
Tous les députés ont reçu ordre de rester à leur poste."
Cette scène, dont on trouvera un récit plus détaillé à
notre compte rendu des débats, met en son plein jour
l'attitude respective des partis et des chefs.
D'un côté sir Charles Tupper, vieux lutteur de
soixante - seize ans, debout à son poste, après cette
effroyable séance de trente-huit heures, veut pousser en
avant le bill et lui faire faire un nouveau pas.
MÉLANGES 305
Qui donc s'y oppose, et s'y oppose avec colère ? M.
Laurier, le chef du parti libéral.
Sir Charles, prenant en considération la fatigue
extrême des députés consent à l'ajournement immédiat,
mais en déclarant qu'à trois heures de l'après-midi, il
proposera que la chambre se forme en comité pour
commencer à adopter le bill clause par clause.
Voyons maintenant ce qui s'est passé hier après-midi
et hier soir.
A trois heures, sir Charles Tupper a fait sa motion
pour que les lundis et les jeudis fussent consacrés
comme les autres jours aux mesures du gouvernement.
Lui et M. Poster ont déclaré que leur but était de
hâter l'adoption du bill sans perdre une minute, que
l'honneur du gouvernement était engagé, quil fallait
que le bill fût adopté; et M. Foster est allé jusqu'à
dire que l'on sacrifierait plutôt le budget pour faire
passer le bill.
En réponse à un membre de l'opposition qui trouvait
cette hâte incompatible avec la conférence annoncée ^
sir Charles a déclaré que cela n'empêcherait pas la
conférence, mais que le gouvernement voulait procéder
sans relâche à l'adoption des clauses du bill, afin que
1 Sur les instances de sir Donald Smith, le ministère
lédéral avait consenti à charger une délégation composée des
honorables MM. Dickey et Desjardins, membres du cabinet,
et de sir Donald lui-même, d'aller faire une démarche suprême
auprès du gouvernement Greenway afin de l'induire à rendre
justice aux catholiques. Dans ce cas la loi réparatrice aurait
été inutile. Cette conférence fut sans résultat, le gouverne-
ment Greenway refusant d'admettre le principe des écoles
séparées.
20
306 MÉLANGES
cette législation fut complétte durant la présente ses-
sion, au cas où la conférence n'aboutirait à rien.
Sir Richard Cartwright, MM. McMullen, Choquette,
McCarthy ont combattu avec acharnement la proposi-
tion du gouvernement. Ils ont fait siéger la Chambre
jusqu'à trois heures cette nuit. Le gouvernement a
alors consenti à l'ajournement du débat jusqu'à lundi,
vu l'épuisement des députés.
Après cela, nous demandons aux gens impartiaux de
nous dire ce que valent les prédictions de VElecteur.
L'organe libéral affirmait que, après la deuxième lecture
du bill, le gouvernement allait le laisser dormir et n'irait
ims plus loin.
Eh lien, le gouvernement, au contraire, aussitôt après
la deuxième lecture, fait des efforts inouïs pour envoyer
le bill en comité et hâter son adoption.
Et c'est le parti libéral qui s'y oppose.
L'attitude du gouvernement nous paraît très satisfai-
sante. Qu'il y persiste, qu'il ne cède plus d'une ligne,
qu'il prenne tous les moyens parlementaires possibles
pour faire marcher le remédiai act. Sou honneur et
son intégrité lui tracent également cette ligne de con-
duite.
En avant ! en avant ! tel doit être le mot d'ordre du
cabinet et du parti conservateur, dans le moment actuel.
L'OBSTRUCTION
Pour empêcher le bill réparateur de passer, ses adversaiios
de toute nuance, libéraux, McCarthyites et conservateurs dis-
sidents, résolurent d'avoir recours à la tactique parlemen-
MÉLANGES 307
taire connue sous le nom d'obstruction. On eut alors, pen-
dant des jours et des nuits, une série de discours against tke
time, suivant l'expression anglaise. Sir Charles Tupper
déploya une extrême énergie pour avoir raison de cette tac-
tique.
8 avril 1896.
Nons ne saurions dissimuler l'admiration sincère et
la satisfaction profonde que nous fait éprouver la
vaillante et loyale attitude de sir Charles Tupper en ce
moment.
Il a hautement et nettement déclaré la guerre aux
fanatiques et au fanatisme. Il ne craint pas de dire
aux députés conservateurs qui croient pouvoir faire le
jeu des McCarthy et des Wallace que leur place n'est
plus dans les rangs du parti de la constitution. Sa
main de fer écrase les sectaires du dedans, en même
temps qu'elle porte des coups mortels aux ennemis du
dehors.
C'est bien là ce que nous attendions de lui. C'est ce
qui nous faisait désirer son retour dès le lendemain de
la mort de sir John Thompson. Il était temps qu'une
volonté s'affirmât, qu'un bras énergique se fît sentir.
Il ne saurait y avoir que des adversaires de mau-
vaise foi pour ne pas rendre hommage à l'attitude si
loyale de sir Charles. Nous aimons à citer de nouveau
les paroles mémorables prononcées l'autre jour par le
vieux lutteur. Parlant de l'obstruction, il s'est écrié :
" C'est la fin du régime parlementaire, si la même
obstruction doit se répéter de jour en jour. TocTt le
pays comprendra quel est le but que poursuit l'opposi-
tion. Il est manifeste qu'on veut empêcher le bill de
devenir loi. Il est de l'intérêt vital du pays que cette
mesure soit adoptée j c'est essentiel à la paix, à la tran
308 MÉLANGES
quillité et au bonheur du pays. En faisant de l'obstruc-
tion, les libéraux vont empêcher non seulement la loi
réparatrice, mais les crédits budgétaires et nombre de
mesures urgentes d'être adoptées et ils en seront tenus
responsable par l'électorat.
" Le gouvernement est résolu à mettre toutes son
énergie à faire adopter la loi. Si c'est nécessaire, la
Chambre siégera nuit et jour. Notre santé pourra en
souffrir, et des gens de mon âge jouent leur vie dans ces
veilles continues, mais l'importance de la question jus-
tifie les plus grands sacrifices.
" Je suis prêt à épuiser tout ce que je puis avoir de
force physique en siégeant ici nuit et jour, afin d'empor-
ter la mesure. Je désire être bien compris ; si les hono-
rables messieurs de l'autre côté persistent à essayer de
tuer le bill, à gaspiller cette session et un demi-million
d'argent public, je déclare que je combattrai cette tac-
tique, d'abord en épuisant mes forces physiques, et je
crois que mes amis de ce côté de la chambre sont prêts
à coopérer avec moi (tonnerre d'applaudissements minis-
tériels), et ensuite en faisant appel à l'électorat pour qu'il
juge entre la conduite du gouvernement et les moyens
employés par l'opposition pour tuer ce bill."
Cette attitude et ce langage sont ceux d'un homme
d'Etat. Et tous les bons citoyens, tous ceux qui aiment
l'équité, le /air ylay, et qui tiennent à ce que la cause
du droit et de la constitution triomphent, devraient y
applaudir comme nous.
11 avril 1896.
UElecteur a beau pousser des cris de paon et calcu-
ler combien de colonnes du Hansard chaque parti a pris
MÉLANGES 309
pour la discussion de la deuxième lecture du remédiai
ad, il ne donnera pas le change aux gens qui suivent
ce qui se passe actuellement à Ottawa,
Nous accusons nettement l'opposition libérale de
coalition criminelle avec le parti McCarthy pour faire
obstruction au bill réparateur.
Cette coalition est manifeste.
Qu'on prenne le compte rendu des débats depuis
lundi. A part sir Charles Tupper et quelques autres,
qui sont obligés de parler de temps en temps pour repous-
ser une calomnie ou essayer de faire passer une clause,
les discours prononcés dans un but d'obstruction ont été
faits par McCarthy, Wallace, O'Brien, McNeil, Sproule,
d'une part, et par Cartwright, Davies, Martin, Charlton,
Patterson, Fraser, Somerville, Edgar, Cameron, McDo-
nald, Mulock, etc., de l'autre.
Ce jeu a commencé dans la nuit de lundi à mardi.
M. Wallace a parlé pendant deux heures et demie sur
l'amendement de M. Frémont. A quatre heures et demie
du matin, M. Martin, libéral, a proposé que le comité
s'ajournât avec permission de siéger de nouveau. M.
Casey, libéral, a parlé une heure sur cette motion. M.
Tyrwhitt, McCarthyite, a parlé une vingtaioe de minu-
tes. Puis MM. Campbell, MacMillan, Bain, Welch,
Mulock, Martin, tous libéraux ont parlé jusqu'à neuf
heures et demie mardi matin. Alors Sir Eichard Cart-
wright a paru sur la scène et a demandé l'ajourne-
ment... ^
1 _ Cette séance d'obstruction dura six jours et six nuits.
(Journaux de la Chambre des Communes, 1896, pp. 169, 170,
171).
3l0 MÉLANGÉS
16 avril 1896.
Dans son numéro du 16 avril, le Courrier du Canada
publiait une dépêche d'Ottawa où se trouvaient ces lignes :
" Je vous ai raconté hier que les obstructionnistes
avaient partagé les 24 heures du jour en trois parties
égales. Les McCarthyites fournissent 8 heures de tra-
vail, les libéraux anglais et français en fournissent 16 ;
8 heures pour chaque parti. N'est-ce pas que l'obstruc-
tion est bien organisée ? Français, orangistes, catho-
liques, fanatiques, grits, tout ce monde là s'entend
pour empêcher les catholiques du Manitoba d'avoir
justice. Quel monstrueux alliage ! Quelle trahison !
" Sir Charles a pris la parole, à trois heures après midi,
pour dénoncer à la Chambre et au pays l'obstruction,
pour rappeler qu'avec un peu de bonne volonté, il était
encore possible, d'ici au 24 avril, que le bill fût adopté.
" Il a lu la dépêche suivante, qui n'a pas plu aux
rouges :
" Montréal, 13 avril 1896.
" Au nom de la minorité du Manitoba que je repré-
sente officiellement, je demande à la Chambre des Com-
munes de voter l'acte réparateur dans son entier tel
qu'il est présentement modifié. Il sera satisfaisant pour
la minorité catholique qui l'acceptera comme un règle-
ment final de toute la question des écoles en confor-
mité avec la constitution."
" A.-D. Langevin,
" Archevêque de Saint-Boniface."
" Sir Charles a fait un appel vraiment pathétique à
la Chambre. Il ne demande rien en son nom, mais c'est
au nom des faibles, des opprimés du Manitoba, au nom
MÉLANGES 311
des deux millions de catholiques de ce pays, qu'il sup-
plie la chambre de cesser l'obstructiou honteuse dont
nous sommes témoins.
" Quand j'ai vu M. Laurier se lever pour répondre
au leader, j'ai eu un moment d'espoir. La voix du sang,
la voix de la raison allait-elle se faire entendre, enfin.
Non, Laurier n'a d'oreilles que pour ses alliés les fana-
tiques de toute nuance.
" Le chef libéral a refusé d'accepter la demande de
Mgr Langevin et de sir Charles.
" La minorité est satisfaite du bill, mais M. Laurier
et ses amis ne le sont pas ! ! Et l'obstruction continue."
17 avril 189^.
Encore la nuit dernière, M. Edgar, lieutenant de
M. Laurier et son ami intime, a été l'un des meneurs
de l'obstruction à la loi réparatrice.
Si le chef du parti libéral n'est pas complice de cette
criminelle tactique, qu'il arrête, donc ses partisans, ceux
qui sont ses bras droits.
Qu'il ait le courage de faire ce que Sir Charles
Tupper a fait, par exemple, pour M. McNeil.
Lorsque des journaux sans vergogne comme l'Elec-
teur persistent à soutenir ce ridicule mensonge que le
leader de la chambre n'est pas sincère dans sa lutte
pour le bill, il importe de rappeler les termes de cette
mémorable exécution. Ecoutez Sir Charles ;
" Maintenant j'ajouterai un mot pour M. McNeil qui
a voulu me donner une leçon de commandement (rires
ministériels). Ce monsieur m'a dit que je ne pouvais
312 MÉLANGES
pas le mettre hors du parti. Cela est parfaitement vrai:
c'est im acte qui ne peut être fait que par lui-même.
Mais je vais vous prouver que, par sa conduite et son
langage, ce monsieur vient de sortir lui-même des rangs
du parti conservateur. (Applaudissements ministériels.)
Il dit que je ne représente pas le parti conservateur.
Qui le représente ? Est-ce M. McCarthy qui est allé
lui demander de parler de façon à empêcher que la
chambre se forme en comité avant six heures ? Quand
un homme se fait l'agent d'un politicien comme M.
McCarthy dont le seul souci depuis des années, a été
de faire la guerre aux conservateurs et de détruire la
confiance qu'ils ont dans leur chef, je crois que cet
homme-là sort de lui-même des rangs de son parti.
(Applaudissements ministériels). Plus que cela, ce mon-
sieur dit que si nous avons tant de hâte de faire passer
la loi c'est parce que nous avons peur d'être défaits aux
prochaines élections. Ainsi donc il base son opposition
sur l'espoir de renverser le gouvernement ! Mais je
n'admets point cela. Lorsque nous irons devant le pays
il comprendra que nous^ avons fait notre devoir et il
nous en récompensera. Le pays ne veut point de guerre
de race et de religion, il ne veut point d'hommes comme
M. McCarthy qui a maintenant un digne partisan. Non,
je n'ai pas jeté M. McNeil en dehors des rangs du parti,
mais si jamais un homme a réussi à s'y mettre, c'est
bien lui et j'en suis très satisfait. (Applaudissements
ministériels prolongés et enthousiastes). Je suis prêt à
faire la bataille avec un ennemi déclaré, mais je ne veux
point de traîtres, (Nouveaux applaudissements).
" J'ajouterai que je préfère dix mille fois siéger dans
l'opposition que de siéger à droite avec la confiance
d'un homme comme M. McNeil.
MÉLANGES 313
" Je ne sais pas s'il l'ignore, mais il devrait le
savoir ; à cette heure même en Angleterre, le gouver-
nement conservateur anglais soumet aux Communes
une loi qui donne aux différentes croyances religieuses
précisément ce que nous voulons rendre à la minorité.
Cette loi garantit aux écoles volontaires une subven-
tion parlementaire tout comme aux écoles publiques et
elle permet aux protestants ou aux catholiques d'y
faire donner à leurs enfants une instruction religieuse
en harmonie avec leur conscience, chose dont M. McNeil
voudrait priver la minorité manitobaine. Je ne veux
pas retenir la chambre plus longtemps, mais je fais
appel à son patriotisme pour repousser comme elle l'a
fait cet après-midi, cette nouvelle tentative d'obstruc-
tion à une loi aussi importante, et qu'elle a déclarée
nécessaire dans les circonstances, en votant la seconde
lecture. J'espère qu'elle ne faiblira pas devant le
devoir à accomplir, quels que soient les sacrifices per-
sonnels qu'il nous faille faire. Quels sont les hommes
qui s'opposent à cette loi ? Une poignée d'esprits étroits
qui ont dépensé leurs forces et leurs talents à soulever
les animosités de race et de religion auxquels s'est
joint un parti qui nous prouve que pour atteindre le
pouvoir plusieurs de ses membres sont prêts à sacrifier
leur race et leur religion."
Non, messieurs les libéraux, vous ne réussirez pas à
faire croire aux gens sains d'esprit que l'homme qui a
tenu cet admirable langage est l'allié des McCarthy et
des McNeil.
Si nous avions eu besoin d'une preuve de la sincérité
de sir Charles, nous l'aurions dans cette terrible et
implacable philippique ? Quand on joue une comédie on
314 MÉLANGES
ne porte pas à ses comparses de ces incurables bles-
sures.
Nous défions M, Laurier d'en faire autant à l'adresse
des Edgar, des Mulock, des Charlton, des Sommer ville
et de toute cette clique grite qui prête main forte à
McCarthy et à Wallace,
Puisqu'il ne la répudie pas, nous avons le droit de
le tenir responsable de la conduite de son parti, et de le
dénoncer à l'opinion publique comme un traître à la
cause de la minorité catholique.
24 avril 1896.
Dans la nuit de mercredi à jeudi de la semaine der-
nière, M. Larivière a donné lecture à la Chambre des
Communes d'un télégramme inédit de Sa Grandeur
Mgr l'archevêque de Saint-Boniface, qui est tombé sur
la tête de M. Laurier et de sa cohorte de traîtres comme
du plomb fondu.
Voici ce passage du discours de M. Larivière que
nous trouvons à la page 6557 du Hansard :
" Quelqu'un m'ayant dit au cours du mois de mars
qu'il y avait une rumeur tendant à affirmer que quel-
ques évêques étaient soit indifférents soit opposés à
cette législation, je télégraphiai à l'archevêque de Saint-
Boniface, qui était en constante communication avec
ses frères de l'épiscopat, et je lui demandai s'il y avait
quelque fondement à cette rumeur. Sa réponse fut :
" Aucun évêque ne diffère d'avec moi ; tous sont
*' extrêmement sympathiques. Les catholiques qui com-
" battent le Mil trahissent la minorité catholique."
" (Signé) A.-D. Langevin,
" Archevêque de Saint-Boniface."
MÉLANGES 315
Comme on le voit nous ne commettons aucune injus-
tice quand nous accusons de trahison les députés qui
ont voté contre le remédiai ad. Nous faisons simple-
ment écho à la parole indignée du représentant de la
minorité, du digne archevêque de Saint-Boniface qui
déclare que les députés catholiques hostiles à la loi répa-
ratrice ont trahi la cause catholique.
Les Laurier, les Tarte, les Choquette, les CarroU, les
Godbout, les Guay, les Langelier, les Rinfret, auront
beau essayer d'excuser leur lâche désertion.
Ils ne se relèveront pas de cette parole.
Ce sont des traîtres !
NOTRE DEVOIR
La tactique de l'obstruction fut couronnée de succès. L'exis-
tence légale du parlement touchait à son terme. Les cinq
années de sa durée expiraient le 25 avril à minuit. Le bill
réparateur ne devint donc pas loi. Le cabinet conservateur
ne put même pas faire voter le budget !
La session fut close le 23, et immédiatement, comme cela
était entendu depuis la crise du mois de janvier, sir Mac-
kenzie Bowell démissionna et sir Charles Tupper forma un
nouveau cabinet qui se présenta au peuple avec le bill répa-
rateur dans son programme.
Il avait appelé à le seconder dans le ministère l'honorable
M. Angers, que l'on considérait à bon droit dans la province
de Québec et le parlement, comme le champion le plus
ardent de la minorité catholique du Manitoba. Pour demeurer
fidèle à cette cause, M. Angers avait même refusé les hautes
fonctions de juge de la Cour Suprême, après sa sortie du
cabinet, en juillet 1895. 11 n'hésita pas à tendre la main à
sir Charles Tupper, pour faire triompher devant l'électorat
la liberté scolaire des catholiques manitobains.
316 MÉLANGES
4 mai 1896.
La victoire de M. Laurier, ce serait le projet d'enquête
qui aboutirait à uu compromis dans lequel nous serions
sacrifiés encore une fois. Il ne serait plus question d'in-
tervention, puisque M. Laurier l'a repoussée par sa
motion du six rtionths hoist. Le compromis, c'est l'aban-
don des écoles séparées, puisque, lors de la conférence
avec les commissaires fédéraux, Greenway a déclaré
qu'il ne consentirait pas à les rétablir.
Donc, il faut donner au gouvernement une majorité
qui lui permette de rendre justice sans plus tarder et
sans avoir à craindre l'opposition des fanatiques. Ce
devoir incombe à tous ceux qui veulent le respect de
la constitution ; mais, pour nous plus particulièrement,
c'est une obligation sacrée.
La minorité manitobaine est notre sœur par la foi,
par la langue et par le sang. L'abandonner serait men-
tir à notre passé et trahir notre avenir.
LE MANIFESTE CONSERVATEUR
7 mai 1896.
Nous donnons m extenso le manifeste de Sir Charles
Tupper aux électeurs du Canada.
Cet important document peut se passer de commen-
taires.
Sir Charles y affirme une fois de plus la politique
conservatrice. La politique conservatrice quant aux
questions commerciales, aux questions de tarif et de
MÉLANGES 317
budget, la politique conservatrice quant au respect de
la constitution et des droits de la minorité cathalique
du Manitoba opprimée par une majorité libérale.
Voici le passage de ce manifeste relatif à la question des
écoles du Manitoba :
" Il n'est pas nécessaire pour moi d'essayer, dans le
couit espace d'un alinéa de faire une revue complète
de la position du gouvernement sur la question des
écoles du Manitoba. Quoique la conduite du gouver-
nement ait été honteusement représentée à faux par
des hommes qui ont en cela un but à atteindre ou sont
trompés par une conception erronée de la question
prise en son mérite réel, c'est un fait admis que le
gouvernement a pris une position claire et définie sur
le côté constitutionnel de cette affaire. Nous avons
tout simplement fait ce que nous croyions être juste
en accomplissant le devoir que nous impose le juge-
ment du plus haut tribunal de l'empire, et nous avons
cherché à remédier aux griefs de la minorité catho-
lique romaine du Manitoba en la rétablissant dans la
jouissance des droits et privilèges que lui garantit la
constitution. Sachant que notre cause repose sur une
base constitutionnelle solide, et convaincus que nous
faisons ce qui est juste, c'est pour nous un devoir
patriotique de persister dans la politique que nous
avons adoptée à ce sujet ; et nous en appelons mainte-
nant pour la revendication de notre conduite, au sage
sentiment de justice du peuple canadien."
318 MÉLANGES
LES INSULTES AUX ÉVÊQUES
19 mai 1896.
La Patrie d'hier dit :
" Mgr Lange vin est en tournée quasi- politique dans
le comté de Laprairie et ses sermons ont l'air bien plus
inspirés par Tupper que par le Saint-Esprit."
Nous voyons là le fond du cœur des libéraux.
Pour leur plaire les évêques ne devraient pas dire un
mot des questions où les intérêts les plus graves de la
religion sont en jeu.
Les paroles de Mgr Langevin n'ont pourtant rien
d'extraordinaire. Monseigneur est le chef de la mino-
rité catholique qui demande que ses droits lui soient
rendus ; qu'y a-t-il donc d'étonnant à ce qu'il conjure
ses compatriotes de l'aider à faire respecter ces droits.
Les injures de la radicaille à l'adresse de nos évêques
ne porteront pas grands fruits au parti libéral.
LA PAROLE EPISCOPALE
Au moment des élections, les évoques, qui à diverses repri-
ses avaient énergiquement revendiqué les droits de la mino-
rité manitobaine, publièrent un mandement collectif pour
donner à l'électorat catholique une direction jugée j^ar eux
opportune et nécessaire.
Les journaux de l'opposition essayèrent de dénaturer ce
mandement et d'en paralyser l'eflet par des interprétations
déloyales. /
MÉLANGES 319
20 mai 1896.
Nos Seigneurs les évêques disent dans leur mande-
ment :
" C'est pourquoi N, T. C. F., tous les catholiques ne
devront accorder leur suffrage qu'aux candidats qui
s'engageront formellement et solennellement à voter au
Parlement en faveur d'une législation rendant à la
minorité catholique du Mauitoba les droits scolaires qui
lui sont reconnus par l'honorable Conseil Privé d'An-
gleterre. Ce grave devoir s'impose à tout bon catho-
lique et vous ne seriez justifiables ni devant vos guides
spirituels ni devant Dieu lui-même de forfaire à
cette obligation." •
Quel homme désirant sincèrement le règlement de
la question scolaire, peut appuyer un candidat qui a
déjà voté contre la loi réparatrice ?
Qui a trahi une fois déjà trahira encore.
26 mai 1896.
Dans son sermon à Laprairie l'archevêque de Saint-
Boniface vient d'exposer clairement son attitude à
l'égard de la loi réparatrice. Il a dit :
" C'est mou devoir de dire que cette loi était satis-
faisante pour nous avec les amendements qu'on pouvait
y faire. Avant d'approuver cette loi, j'ai consulté. La
partie religieuse m'appartenait comme évêque, et j'ai
consulté mon clergé ; la partie légale regardait les hom-
mes de loi, et je me suis adressé à des légistes du
Manitoba, à des hommes des deux croyances, et leur ai
demandé leur opinion. Ces hommes étaient intéressés
plus que tout autre ; ils avaient des enfants. J'avais
320 MÉLANGES
l'assurance qu'étant intéressés, ils y verraient de plus
près. Ils m'ont dit : Cette loi est légale et pratique, et,
si nous pouvons l'obtenir, tant mieux."
L'Electeur, pour jeter un voile sur la trahison des
libéraux, conclut en disant que la loi réparatrice était
inefficace ! Mgr Langevin va répondre lui-même à cette
absurde objection soulevée par les rouges :
" On s'est écrié que la loi ne nous donnait que des
miettes... Pardon ! Est-ce nous donner des miettes que
de nous accorder des inspecteurs catholiques, des écoles
catholiques, le droit de nous taxer nous-mêmes, etc.
" Ceux qui ont voté pour cette loi sont nos vrais
amis. Quanta ceux qui ont voté contre cette loi, à vous
de donner votre opinion, à vous de tirer des conclu-
sions, à vous de les juger."
Oui, le peuple jugera bientôt ceux qui ont voté con-
tre la loi réparatrice. Et nous espérons que son arrêt
sera non équivoque.
2juin 1896.
UElecteur cherche par tous les moyens à faire croire
au public que les évêques sont divisés sur la question
des écoles. C'est un mensonge, et nous allons le démon-
trer .'par un extrait d'un sermon prononcé à Sainte-
Angèle de Laval le 28 mai 1896, par Mgr Gravel,
évêque de Nicolet:
" Il ne faut pas perdre de vue cette question des
écoles, car elle nous intéresse au plus haut degré ; c'est
une question de justice : c'est pourquoi les évêques ont
envoyé ce mandement à leurs ouailles.
" Il ne faut pas croire que les évêques sont divisés
sur cette question. Tous les évêques du Dominion n'ont
qu'une même pensée, ils sont tous unanimes."
MÉLANGES 321
LES DÉCLARATIONS PANACHÉES
DE M. LAURIER
9 juin 1896.
Jj'Electeur de vendredi disait ceci :
" Qu'on nous nomme donc un seul candidat libéral,
depuis Halifax jusqu'à Vancouver qui n'adopte pas en
son entier le programme de M. Laurier ? "
Il s'agit ici de la question des écoles. Or quel est le
programme de M. Laurier sur cette question ? Il varie
suivant les croyances et les provinces, et quelquefois
même dans la même province. En effet, qu'a-t-il déclaré
à Québec ? Ce sont les journaux rouges qui vont nous
renseigner là-dessus :
" Si le peuple du Canada me porte au pouvoir comme
j'en ai la conviction, je réglerai cette question à la
satisfaction de toutes les parties intéressées. J'aurai
avec moi dans mon gouvernement Sir Oliver Mowat
qui a toujours été dans Ontario, au péril de sa propre
popularité, le champion de la minorité catholique et
des écoles séparées. Je le mettrai à la tête d'une com-
mission où les intérêts en péril seront représentés, et
je vous affirme que je réussirai à satisfaire ceux qui
souffrent dans le moment. Est-ce que le seul nom
vénéré de M. Mowat n'est pas une garantie du sucnès
de ce projet ?
" Et puis, en fin de compte, si la conciliation ne
réussit point, j'aurai à exercer ce recours constitution-
nel que fournit la loi, recours que j'exercerai complet
et entier."
21
322 MÉLANGES
Maintenant, allons à London, dans la province d'On-
tario, et écoutons parler M, Laurier :
" La seule manière de régler cette question, comme
pour tout grief dont ou se plaint, est de faire une
enquête sur la question et de faire droit d'après la
preuve produite."
Comme c'est terne ! seulement l'enquête, et puis
l'enquête ! Eh bien, messieurs les libéraux, est-ce là ce
que demandent NN. SS. les évêques ? Dans leur lettre
pastorale ils condamnent ouvertement ce système d'en-
quête, parce que l'injustice commise envers les catho-
liques du Manitoba est reconnue et prouvée depuis
longtemps, et ils demandent avec instance une loi répa-
ratrice.
Est-ce que les électeurs catholiques peuvent approu-
ver de leurs votes le programme multicolore de M, Lau-
rier, un programme qui est opposé à la direction de
NN. SS. les évêques, un programme dont l'exécution
serait si désastreuse pour la minorité catholique du
Manitoba ?
APRES LA DEFAITE
26 juin 1896.
Le parti libéral triomphe !
M. Laurier sera premier-ministre avant un mois.
Nous ne récriminerons pas à propos des causes de
notre défaite.
Une seule chose nous est cruelle dans le résultat de
mardi.
MÉLANGES 323
C'est la conduite de la province de Québec.
C'est pour elle et par elle que la question des écoles
est devenue une question fédérale.
C'est pour elle que le parti conservateur a risqué son
avenir dans les provinces anglaises et protestantes.
C'est pour elle que sir Charles Tupper s'est jeté dans
la bataille, avec le drapeau de la législation réparatrice
à la main.
Et la province de Québec oubliant tout cela, sourde
à la voix du devoir, a tourné le dos à ceux qui s'étaient
faits les champions de sa cause, et porté au pouvoir
ceux qui l'avaient trahie ^.
Voilà le côté douloureux des élections du 23 juin
1896.
Maintenant que va faire M. Laurier ? 11 est le maître
du Parlement. De quelle façon va-t-il employer la
force immense que les élections lui ont mise entre les
mains.
Il a promis de régler la question des écoles à sa
manière ?
Il a promis de réformer le tarif sans le bouleverser.
Nous l'attendons à l'œuvre, disposés à lui donner
crédit pour ce qu'il fera de bien, mais aussi à lui faire
une opposition énergique s'il manque à ses promesses.
1 — En effet, aux élections de 1896, la province de Québec
donnait à elle seule trente-trois voix de majorité à M. Lau-
rier ; et la majorité totale des libéraux ne dépassait pas
trente-cinq.
324 MÉLANGES
LE PARTI CONSERVATEUR ET LA
SITUATION
19 août 1896.
La Patrie nous adresse le morceau suivant :
" Les torys se sont donnés rendez- vous dans le comté
de North Grey, Ontario, et ils ont commencé hier la
guerre à M. Paterson par une assemblée à Owen Sound.
M. McLaughau, le candidat conservateur, a adressé
la parole, ainsi que MM. Taylor, Dr Sproule, Clarke
Wallace, McNeil et le Dr Beattie Nesbilt.
" Le Dr Nesbitt dans son discours, a déclaré qu'il
fallait réorganiser le parti conservateur, et que M. Clarke
Wallace était tout désigné comme chef.
" Le Courrier du Canada et les autres journaux à
bons principes sont-ils avec ceux qui font la lutte à M.
Paterson et sont-ils prêts à applaudir au choix de M.
Clarke Wallace comme chef?"
Cet article de la Patrie, nous fournit une excellente
occasion de redresser les fausses représentations au
moyen desquelles la presse libérale essaie d'égarer l'opi-
nion.
Nos adversaires tâchent de faire croire que nous con-
sentons benoîtement à voir la question des écoles rélé-
guée dans l'ombre, et que nous sommes prêts à nous
incliner devant l'autorité de MM. Clarke Wallace,
McNeil et Cie.
Ce sont deux audacieux mensonges.
Sur la question des écoles, notre attitude n'a jamais
varié. Nous l'avons toujours considérée comme une
MÉLANGES 325
question de principe et non comme une question de
parti. Xous avons toujours été prêt à tous les sacrifi-
ces pour faire triompher la cause des catholiques mani-
tobains. Nous aurions, s'il l'eût fallu, rompu avec les
chefs du parti conservateur anglais, s'ils eussent refusé
de prendre en mains la cause de la constitution et de
la minorité catholique.
Ce ne sont pas là de vaines paroles, des vantardises
rétrospectives. Nos écrits passés sont là, pour justifier
notre présente affirmation.
Pour nous la question des écoles n'était pas un
hochet, un instrument politique, comme elle l'a été
pour M. Laurier et son parti. C'était la question capi-
tale, qui primait toutes les autres.
Nos appels à la loyauté du parti conservateur, et,
disons-le sans fausse modestie, nos avertissements réité-
rés n'ont pas été sans résultats. Nos chefs ont fait leur
devoir. Les Clarke Wallace et les McNeil ont vu leur
intolérance réprouvée par le parti. Sir Charles Tupper
est descendu dans l'arène pour faire triompher les
droits de la minorité manitobaine. La loi réparatrice,
acceptée par nos évêques, a été proposée. M. Laurier
et son parti ont tendu la main aux fanatiques pour
l'empêcher d'être adoptée avant l'expiration du parle-
ment. Et les élections ont eu lieu.
Le gouvernement conservateur avait fait son devoir.
Il avait répondu à notre attente, il avait inscrit sur son
drapeau : justice aux minorités. Nous nous sommes
jeté dans la mêlée et nous avons le droit de nous ren-
dre la témoignage que jamais nous ne nous sommes
dépensé davantage pour le triomphe d'une cause juste.
Le succès n'a pas répondu à nos efforts et à notre
326 MÉLANGES
espoir. Et, chose incroyable, c'est la province de Québec
qui a déterminé la défaite du parti qui risquait son
avenir pour rendre justice à une minorité catholique et
française !
En notre âme et conscience, nous croyons que notre
électorat a commis le 23 juin un acte de criminelle
aberration, dont les funestes conséquences se feront
peut-être sentir encore après plus d'un quart de siècle.
Mais l'insuccès n'a point changé notre manière de
voir. La défaite n'altère en rien les principes en jeu.
Ce ne sont pas les majorités qui font ou défont le
droit. La moralité, l'équité d'une politique, la rectitude
d'un programme ne dépendent point d'une bataille per-
due ou gagnée.
C'est bien là ce que sir Charles Tupper, le chef incon-
testé du parti conservateur, a proclamé dans les nobles
paroles qu'il prononçait au lendemain des élections et
que nous citions hier :
" Le parti conservateur fera maintenant son devoir
comme opposition loyale et constitutionnelle. Sa mis-
sion sera de s'efforcer de protéger autant qu'il le pourra
les meilleurs intérêts du pays, tout en maintenant le
grand principe de " justice égale pour tous sans accep-
tion de race ou de croyance religieuse " auquel le parti
s'est dévoué sans hésitation. Il gardera dans l'opposi-
tion la même politique qu'il avait dans le gouverne-
ment. M. Laurier peut donc compter sur mon cordial
concours pour la restauration des droits et des privi-
lèges de la minorité canadienne-française et catho-
lique du Manitoha."
Le programme du parti conservateur, le voilà, et nous
lui donnons notre adhésion.
MÉLANGES 327
Lorsque quelqu'un d'autorisé — pas M. Clarke Wal-
lace — viendra nous dire qu'il est changé, alors nous
aviserons, avec autant de liberté d'esprit que nous en
montrions lorsque nous menacions de rompre avec le
pouvoir, quand nos amis le détenaient.
CE QU'ILS ONT PROMIS
20 août 1896.
On lit dans V Electeur d'hier :
" Les négociations qui se sont poursuivies entre le
gouvernement Laurier et les ministres Sifton, Gameron
et Watson du gouvernement manitobain, ont eu pour
résultat un règlement de la question des écoles, règle-
ment satisfaisant pour les deux partis. La question sera
réglée sans qu'on ait recours à une législation fédérale.
" L'affaire ne paraît pas être si difficile maintenant
qu'elle est remise à des gens bien intentionnés, qui s'en-
occupent avec le désir de s'entendre et d'user de con-
ciliation."
Il est certain que l'affaire ne sera pas difficile à régler,
si les gens du pouvoir à Ottawa sont décidés à sacrifier
les droits de la minorité catholique. S'ils se déclarent
satisfaits d'un compromis boiteux, s'ils lâchent l'auto-
nomie scolaire de la minorité, s'ils acceptent comme
satisfaisant un modus vivendi qui sera l'abandon pra-
tique des droits constitutionnels de nos frères manito-
bains, tout ira sans aucun doute comme sur des rou-
lettes.
328 MÉLANGES
Mais ce n'est pas cela que les catholiques demandent
depuis six ans.
Ce n'est pas cela que nos libdraux ont promis.
Ils ont prorais, non pas un sacrifice des droits de la
minorité, mais une loi fédérale meilleure que celle de
sir Charles Tupper !
Qu'ils tiennent leur parole, ou qu'ils reconnaissent
qu'ils ont trompé le peuple.
LE FAMEUX REGLEMENT LAURIER-
GREENWAY
Nos craintes n'étaient que trop justifiées. Api'ès plusieurs
semaines de rumeurs inquiétantes, le 20 novembre 1896 le
Courrier du Canada publiait la dépêche suivante :
Ottawa, 20 novembre 1896.
Le règlement de la question scolaire vient d'être livré
au public. Je vous en envoie la version française auto-
risée qui suit :
MÉMOIRE POUR LE RÈGLEMENT DE LA. QUESTION DES
ÉCOLES
Une loi comprenant les dispositions ci-dessous sera
présentée et adoptée à la prochaine session régulière de
la législature du Manitoba, en amendement à l'acte des
écoles publiques, dans le but de régler les difficultés
provenant de la question des écoles dans cette province.
MÉLANGES 329
Il y aura enseignement religieux dans les écoles, de
la manière qui suit :
1" Si tel enseignement est autorisé par une majorité
des commissaires d'écoles (school trustées) ou,
2" Si une pétition demandant tel enseignement est
présentée aux commissaires d'écoles par les parents ou
les tuteurs d'au moins dix enfants fréquentant l'école
dans un district rural, ou par les parents ou tuteurs
d'au moins vingt-cinq enfants fréquentant l'école dans
une cité, ville, ou village.
3** L'enseignement religieux aura lieu entre trois
heures et demie et quatre heures de l'après-midi, sous
la direction d'un membre du clergé de toute dénomina-
tion chrétienne ayant sous sa charge une partie du
district scolaire, ou d'une personne dûment autorisée
par tel membre du clergé, ou d'un instituteur autorisé
à cet effet.
4" Sur résolution des commissaires d'écoles à cet effet,
ou sur demande par pétition des parents, l'instruction
religieuse, pendant les heures prescrites, pourra n'avoir
lieu qu'à certains jours spécifiés de la semaine au lieu
de tous les jours de classe.
5" Dans les écoles de villes et cités où l'assistance
moyenne des enfants catholiques romains est de qua-
rante ou plus, et dans les écoles de villages et districts
ruraux où l'assistance moyenne de tels enfants est de
vingt-cinq ou plus, les commissaires devront, s'ils en
sont requis par les parents ou tuteurs de ces enfants,
employer dans telles écoles au moins un instituteur
catholique romain dûment diplômé.
6° Lorsque l'enseignement religieux sera requis en
vertu des stipulations qui précèdent, s'il y a dans une
330 MÉLANGES
école des enfants catholiques romains et des enfants
non catholiques romains et si la division de l'école ne
permet pas de placer les élèves dans des classes sépa-
rées pour les fins de l'enseignement religieux, le dépar-
tement de l'éducation établira des règlements (et les
commissaires d'écoles devront les observer) par lesquels
le temps accordés pour l'enseignement religieux sera
divisé de telle manière que cet enseignement sera donné
aux enfants catholiques romains à l'heure prescrite,
pendant la moitié des jours de classe dans chaque mois,
et l'enseignement religieux aux enfants non catholiques
romains pourra être donné pendant l'autre moitié des
jours de classe, dans chaque mois, également à l'heure
prescrite.
7° Le département de l'éducation aura le pouvoir de
faire des règlements non incompatibles avec les dispo-
sitions de cet acte pour en mettre les clauses à effet.
8° Les élèves ne devront pas être séparés par déno-
minations religieuses pendant le travail séculier de
l'école.
9" Là où l'arrangement de l'école à la disposition des
commissaires le permettra, au lieu d'allouer différents
jours de la semaine aux différentes dénominations pour
enseignement religieux, les élèves pourront être séparés
lorsque l'heure de l'enseignement religieux arrivera, et,
placés dans des classes distinctes.
10'* Dans les écoles où il y aura dix élèves dont le
français (ou toute autre langue à part l'anglaise) sera
la langue maternelle, l'enseignement sera donné à ces
élèves en français, (ou toute autre langue maternelle),
et en anglais d'après le système bilingue.
11" Il ne sera permis à aucun élève d'assister à l'en-
MÉLANGES 331
seignement religieux à moins que les parents ou
tuteurs ne le désirent. Dans le cas où des parents ou
tuteurs ne désireraient pas que leurs enfants assistent
à tel enseignement, ces élèves seront renvoyés avant les
exercices ou seront placés dans une autre salle.
24 novembre 1896.
Qu'est-ce que les catholiques du Manitoba deman-
daient depuis six ans ?
Il demandaient la restauration de leur autonomie
scolaire.
En quoi consistait cette autonomie ? Avant 1890,
les catholiques du Manitoba avaient une organisation
scolaire séparée.
Ils avaient leurs écoles catholiques, leurs syndics
catholiques, leurs instituteurs catholiques, leurs livres
catholiques, leur bureau d'éducation et leur surinten-
dant catholiques. En un mot, ils jouissaient d'un
système complet d'instruction publique dirigé suivant
leurs vues, leurs principes religieux, et leur conscience.
De plus ils n'avaient pas à payer de taxes pour les
écoles publiques où leur religion leur défendait d'envo-
yer leurs enfants. Et ils avaient droit h leur juste part
des taxes municipales pour les fins scolaires, et à leur
juste part des subventions de la province pour l'éduca-
tion.
C'est tout cela que la loi réparatrice présentée par le
gouvernement conservateur, et repoussée par les libé-
raux, rendait à la minorité catholique.
Elle lui rendait ses districts d'écoles catholiques ;
332 MÉLANGES
Ses instituteurs catholiques ;
Ses livres et manuels catholiques ;
Ses inspecteurs catholiques ;
Son bureau d'ëdiicatioa catholique;
Son surintendant catholique.
En un mot elle remettait les catholiques en pleine
possession de la liberté et de l'autonomie scolaires que
leur avaient enlevées les lois spoliatrice de 1890 et 1894.
Les libéraux ont repoussé cette loi vraiment répara-
trice en promettant de faire mieux.
Et que voyons-nous ?
Le misérable compromis dont MM. Laiirier et Tarte
porteront la honteuse responsabilité dans l'histoire cana-
dienne ne rend aux catholiques aucun de leurs privi-
lèges, aucun de leurs droits reconnus par la constitu-
tion.
Il laisse tout le système scolaire entièrement sous le
contrôle de la majorité protestante.
Toutes les écoles seront soumises à la direction du
bureau d'éducation composé uniquement de protes-
tants.
Le choix des livres et manuels scolaires sera abso-
lument entre les mains de ce bureau. Et la brochure
du K. P. Leduc, Hostilité démasquée, nous apprend ce
que cela signifie.
Bref la minorité catholique est livrée à la majorité,
sans garantie et sans recours.
C'est la plus odieuse et la plus lâche des trahisons.
MÉLANGES 333
LA PROTESTATION DE Mgr LANGEVIN
25 novembre 1896.
Sa Grandeur Mgr Langevin a parlé, à la cathédrale
de Saint-Boniface, au sujet de la question des écoles.
Voici ce que Monseigneur a dit :
" C'est aujourd'hui le jour le plus triste de ma car-
rière épiscopale. C'est le cœur brisé que je me présente
devaut vous. Les négociations entre les autorités locale
et fédérale sont terminées; il en résulte ce qu'on nous
donne comme un règlement de la question.
" Je proteste de toutes mes forces contre l'emploi de
ce mot règlement...
" Nous sommes peu nombreux et nous sommes pau-
vres ! ce n'est pas une raison pour insulter à notre
misère et jamais cela ne nous forcera à accepter un com-
promis honteux.
" Nous voulons :
" Premièrement, le contrôle de nos écoles.
" Deuxièmement, des districts scolaires catholiques
partout.
" Nos livres d'histoire et de lecture.
" Nos inspecteurs catholiques.
" Des maîtres compétents formés par nous.
" Le produit de nos taxes, et nos exemptions de taxes
pour les autres écoles.
" La loi réparatrice nous donnait tout cela en prin-
cipe. On s'y est opposé parce qu'elle ne nous donnait
pas assez. Qu'avons-nous à la place ?
" Pas un seul de nos droits, pas un seul !
\
334 MÉLANGES
" Maintenant, il me reste à prendre la direction de
nos (écoles. Je ne suis pas un homme de parti, je suis
évêque avant tout et m'occupe peu des intérêts dépar-
tis. J'ai pris comme devise : " Depositum custodi " et
je n'oublierai jamais, dussé-je combattre toujours.
" Si je faiblissais, les ombres de Mgr Provencher et
de Mgr Taché auraient le droit de se dresser devant moi."
LE COMPROMIS LAURIER-GREENWAY
7 décembre 1896.
L'Electeur et les autres journaux libéraux ont beau
s'escrimer, ils ne réussiront pas à faire croire que le
règlement Laurier-Tarte-Greenway rend aux catho-
liques leurs droits scolaires, et peut, de bonne foi, être
accepté par eux.
Qu'est-ce que les catholiques manitobaius avaient,
en fait de droits scolaires, avant les lois scélérates de
1890 et de 1894 ?
Ils avaient :
Des districts scolaires catholiques; des syndics catho-
liques ; des instituteurs catholiques ; un bureau d'édu-
cation catholique ; un surintendant catholique ; des
livres de classe catholiques ; leur quote-part des sub-
ventions législatives, et l'exemption de taxes pour les
écoles publiques.
En un mot ils avaient un système complet d'écoles
séparées, d'écoles confessionnelles, où ils pouvaient
faire instruire leurs enfants conformément à leur foi.
MELANGES
335
La législation Greenway-Martin leur a enlevé tout
cela.
La loi réparatrice le leur rendait.
Voyons dans quelle position les laisse l'arrangement
Laurier- Greenway.
D'abord il porte un coup mortel aux écoles séparées.
L'article 8 du compromis, dit : " aucune division des
élèves, d'après les dénominations religieuses, n'aura lieu
durant renseignement séculier à l'école." Ecoles mixtes,
voilà ce que proclame le pseudo-règlemeat.
En second lieu il livre la minorité catholique, au
point de vue scolaire, à la direction, au contrôle, au bon
plaisir absolus de protestants. En effet, les lois votées
en 1890, sous l'inspiration de Jos. Martin, restent en
vigueur ; tout ce que fait le pseudo -règlement c'est de
garantir quelques amendements qui laissent absolument
intact l'ensemble du système proposé et voté par les
sectaires.
Ainsi toutes les écoles seront soumises au régime
décrété par le statut relatif au département de l'éduca-
tion édicté en 1890, et qui se trouve aux Statuts refon-
dus du Manitoba.
Qu'on lise les dispositions de cette loi, (53 Victoria,
chapitre 37). Nous allons les résumer.
Toutes les écoles publiques relèvent du " départe-
ment de l'éducation " et du " bureau d'aviseurs." Ce
sont ces deux corps qui ont la direction suprême de
l'instruction primaire. Ce sont eux qui nomment les
inspecteurs, les instituteurs, qui président à l'examen
de ces derniers, qui choisissent tous les manuels et
livres de classe pour les écoles, qui déterminent à qui
les certificats d'instituteurs sont accordés, et qui annu-
336 MÉLANGES
lent ces certificats, suivant leur bon plaisir, qui font
tous les règlements pour l'organisation, la discipline et
le gouvernement des écoles. En un mot ce sont ces
deux corps qui ont dans leur main et sous leur autorité
souveraine toutes les écoles publiques de la province.
Or, que sont ces deux corps ?
Le premier, c'est-à-dire le département de l'éduca-
tion, c'est tout simplement le gouvernement, le Conseil
Exécutif; c'est "Greenway, Cameron, McMillan, tous
les sectaires et les tyrans au petit pied qui depuis six
ans ont persécuté et opprimé nos frères. C'est un corps
composé uniquement de protestants, et de protestants
fanatiques. C'est un corps dont le chef, Greenway, un
" vulgaire hâbleur politique " d'après M. Tarte, a donné
sa mesure en foulant aux pieds les engagements solen-
nels qu'il avait pris envers Mgr Taché, en 1888.
Le second, c'est un bureau dont quatre membres sont
nommés par le même Greenway et ses collègues ; dont
deux sont élus par les instituteurs des écoles publiques,
qui sont en immense majorité protestants, et dont le
septième est nommé par le conseil de l'Université, où
les protestants ont aussi la plus complète prépondé-
rance.
C'est donc là également un corps protestant. M.
Greenway a dit, paraît-il, qu'il consentirait à nommer
au bureau d'aviseurs un catholique. Mais ce catholique
serait noyé et perdu, sans influence aucune, au milieu
de tous ses collègues protestant-, au milieu d'hommes
comme le révérend Dr Bryce et comme le révérend Dr
King qui sont des ennemis acharnés de l'enseignement
catholique.
Yoilà quels sont les maîtres, les directeurs, les régu-
MÉLANGES 337
lateurs des écoles publiques au Manitoba, d'après la loi
en vigueur après comme avant le pseudo-règlement.
Et l'on voudrait forcer les catholiques manitobains à
subir un pareil régime !
On voudrait les forcer à remettre leurs écoleî au bon
plaisir d'un département et d'un conseil protestants !
On voudrait les engager à abandonner le choix des
livres de lecture, de morale et d'histoire à des hommes
comme M. Greeuway ou le Dr Bryce !
Parole d'honneur ! c'est à croire que tous ces bons
apôtres, Laurier, Tarte, et à leur suite la tourbe des
scribes libéraux, ont perdu la tête.
Des écoles catholiques, dirigées, inspirées, surveillées,
inspectées par des protestants enragés, qui cherchent à
tuer ces écoles depuis six ans ! !
Voilà le fameux et ignominieux règlement qu'on
essaie en ce moment de faire avaler à l'opiniou catho-
lique canadienne ! !
Mais, songez donc aux deux immenses concessions
obtenues par Laurier, nous crie-t-on. Oui, parlons-en
de ces concessions : Une demi-heure d'instruction reli-
gieuse, après les heures régulières de classe, et encore
pas tous les jours, dans bien des cas, mais peut-être
une dizaine de fois par mois seulement. Ecoutez ce
que Mgr Taché disait de cette demi-heure, dans sa
brochure du mois de mars 1894: :
" Point d'instruction religieuse (même pour les jeunes
enfants) excepté pendant une demi-heure immédiate-
ment avant la fermeture : précisément quand les en-
fants sont le plus fatigués, quand l'obscurité, pendant
les jours si courts de nos saisons d'hiver, les pousse à
la dissipation, à l'ennui et à l'envie de retourner à
22
338 MÉLANGES
la maison, et quand l'inquiétude des parents doit natu-
rellement les porter à faire en sorte que leurs enfants
quittent l'école, aussitôt que la loi le permet ; et elle
le permet même avant l'instruction religieuse, si les
parents le demandent."
Cette demi-heure n'est qu'une dérision et un trompe-
l'œil; elle ne constitue pas cet enseignement religieux
dans l'école, cette école religieuse réclamée parles Papes
et par l'Eglise ; elle ne saurait satisfaire que les lâches
et les tièdes qui ne savent pas ce que c'est que le sens
catholique.
Mais le français ! M. Laurier a obtenu l'enseigne-
ment du français dans les écoles publiques ! Le vil
troupeau des satisfaits bêle en chœur cette imbécile
ritournelle. Eh bien, nous affirmons aux gens intelli-
gents et honnêtes, qui veulent comprendre et savoir
que c'est encore là une sinistre farce !
En vertu de la clause dix, dans les écoles où il y aura
dix élèves parlant le français ou toute autre langue que
l'anglais, l'enseignement sera donné en français, ou eu
telle autre langue, et en anglais, d'après le système
bilingue.
D'après le système hilingiie ! Nos gobeurs ont glissé
sur ces mots essentiels. D'après le système hiUngue.
c'est-à-dire qu'aux enfants qui n'entendent que le fran-
çais, il sera permis de parler en français pour leur
apprendre l'anglais. Voilà la grande victoire de M. Lau-
rier ! Quelle moquerie !
Veut-on savoir ce que c'est que ce système bilingue ?
Qu'on ouvre la brochure du révérend Père Leduc, Hos-
tilité démasquée à la page 40. M. Forget parlant de
MÉLANGES 339
l'enseignement du français dans les Territoires, y dé-
clare ce qui suit :
" On n'en permet l'usage que pour un cours ridicu-
lement élémentaire contre lequel les inspecteurs ne
cessent de s'insurger. Les livres autorisés pour ce pré-
tendu cours, les Bilingual readers, sont en réalité
composés de telle sorte qu'ils sont bien plus directe-
ment et efficacement un enseignement de l'anglais que
de la langue française."
Nous le répétoQs : les prétendues concessions obte-
nues par M. Laurier sont une farce odieuse.
Les écoles catholiques sont livrées sans compensa-
tion au contrôle, à la direction, à l'arbitraire d'une
bande de fanatiques qui sont les pires ennemis de notre
religion et de notre race.
Les misérables qui ont mis leur nom au bas de ce
honteux marché méritent l'exécration de tous les hom-
mes de cœur, de tous les hommes d'honneur, et de tous
les hommes de foi.
UN DELEGUE -DU PAPE
Devant l'attitude énergique des évêques et de la minorité
catholique du Manitoba, M. Laurier essaya de conjurer le
danger dont il était menacé. Il craignait une condamnation
du règlement par le Saint-Siège. Il eut recours à diverses
manœuvres pour la prévenir. M. l'abbé Proulx, M. Gustave
Drolet, ancien zouave pontifical, furent chargés de missions
officieuses auprès des autorités romaines. M. Fitzpatrick,
340 MÉLANGES
solliciteur général, se rendit à Eome. Dans la Ville Eternelle,
il eut des entrevues avec le cardinal Ranipolla, et présenta
naturellement les faits sous l'aspect le plus favorable à
M. Laurier. Il obtint aussi une audience du Saint-Père. Il ne
négligea rien pour créer un courant d'opinion favorable au
compromis. Et il demanda finalement l'envoi d'un délégué
du Saint Siège au Canada pour étudier sur place la situation.
Cette demande, faite au nom du premier ministre catholique
d'un pays en majorité pi'otestant, ne pouvait facilement être
refusée. Elle était d'ailleurs appuyée par des catholiques
anglais de haute position, enrégimentés sous la bannière de
M. Laurier, grâce aux bons offices de M. Charles Russell,
avocat anglais catholique, tils de lord Russell de Killowen,
le juge en chef d'Angleterre. M. Russell, dont notre sollici-
teur général s'était assuré le concours, fit lui-même le voyage
de Rome et plaida chaleureusement la cause de ses clients
canadiens. Bref toutes ces démarches furent couronnées de
succès, et le Saint-Père, en présence d'affirmations et de
représentations conti"adictoires, (car les évêques canadiens
de leur côté s'étaient fait entendre), nomma un délégué apos-
tolique chargé de venir ici se renseigner cZe visu et audiiu, et de
faire ensuite rapport au Pape. Le choix du Souverain-Pontife
tomba sur Mgr Merry del Val, jeune prélat du Vatican, fils
de l'ambassadeur d'Espagne auprès du Saint-Siège. Il était
âgé de trente-un ans, et avait reçu une i^artie de son éduca-
tion en Angleterre, où M. Charles Russell avait été son con-
disciple.
Mgr Merry del Val arriva au Canada dans les derniers jours
du mois de mars 1897. Le 29 mars, le fameux règlement Lau-
rier-Greenwaj' était soumis à la législature du Manitoba par
le gouvernement de cette province, et ratifié par l'Assemblée
législative. Il semblait qu'on voulût se hâter et mettre le
délégué de Rome en présence d'un fait accompli.
Au moment où Son Excellence Mgr Merry del Val arrivait
au Canada, le Courriel' du Canada publia la communication
suivante :
29 mars 1897.
Lorsqu'il est devenu certain qu'un délégué papal
avait été nommé pour venir au Canada, un catholique
MÉLANGES 341
notable de Québec a adressé à un dignitaire ecclésias-
tique important à Rome la dépêche suivante :
" A X. X.,
" Rome, Italie,
" Nouvelle répandue ici que délégué papal nommé
par St-Père au sujet affaire écoles Manitoba.
" Des libéraux importants afi&rment qu'il vient pour
faire accepter règlement scolaire et blâmer les évêques.
Voulez- vous prendre renseignements certains et nous
les envoyer.
" Notre population veut être renseignée d'une manière
exacte.
C."
Cinq jours après l'envoi de cette dépêche, c'est-à-dire
hier, nous avons reçu la dépêche suivante qui parle par
elle-même,
" Rome, 30 mars.
" A C,
" Québec,
" Monseigneur Raphaël Merry del Val est nommé
délégué apostolique au Canada.
" Sa mission ne consiste pas à tâcher de faire approuver
le règlement scolaire fait par M. Laurier avec le Mani-
toba, Ce règlement est inacceptable, Rome le condamne
et le St-Père ne peut pas transiger sur ce point. La
Sacrée Congrégation de la Propagande ne peut approuver
ce prétendu règlement, qui est contraire à la doctrine
catholique. Le St-Père et le Cardinal Préfet ont déclaré
à plusieurs évêques canadiens, notamment à Mgr Lan-
gevin et à Mgr Bégin, que ce prétendu règlement ne
342 MÉLANGES
pouvait pas être accepté et il les ont engagés à le com-
battre
" L'honorable M. Fitzpatrick est venu ici comme mi-
nistre du gouvernement canadien, il était porteur d'une
requête signée par les députés catholiques libéraux du
parlement canadien demandant la nomination d'un
délégué et il a représenté : 1" Qu'il était possible pour
ce délégué d'obtenir plus que ce que Grecnway avait
accordé, 2" Que cette (|uestion menaçait de soulever
les protestants et d'amener un trouble considérable et
un conflit sérieux entre les diverses nationalités et
croyances. 3" Que le jugement du Conseil privé était
mal interprété par vos évêques et qu'il n'ordonnait pas le
rétablissement des écoles séparées comme elles existaient
avant 1890. 4° Que certains membres du clergé étaient
tombés dans des excès regrettables qui menaçaient de
détruire la paix religieuse au Canada.
" En présence de ces représentations, le Saint-Siège a
nommé Mgr del Val dans le but d'arriver par la diplo-
matie, et une mission de paix, à un règlement accepta-
ble à la minorité catholique manitobaine. En d'autres
termes, le délégué va au Canada pour prêter main- forte
aux évêques afin qu'ils obtiennent les concessions que
le Saint-Siège désire,"
RUMEURS DE COMPROMIS
Mgr Merry del Val passa trois mois au Canada. Il visita
Québec, Montréal, Ottawa, Winnipeg. Il réunit les évêques
canadiens et conféra avec eux. Il eut des entrevues avec les
MÉLANGES 343
ministres fédéraux, ainsi qu'avec beaucoup de membres du
clergé et de laïques. Des pourparlers importants eurent lieu
entre lui et Sir Wilfrid Laurier, et probablement entre celui-
ci et M. Greenway, le premier ministre manitobain.
Au bout de quelque temps, la presse libérale commença
à mettre en circulation des rumeurs de compromis. Ces
rumeurs nous inspirèrent les commentaires suivants :
12 juin 1897.
Une dépêche de Wianipeg transmettait avant-hier les
renseignements suivants :
Winnipeg, 10 — Le Free P/'ess,dans son édition d'hier,
dit:
" Pendant qu'il discutait les rumeurs en circulation
au sujet de l'attitude du clergé catholique sur la ques-
tion des écoles du Manitoba, un reporter du Free Press
a été informé par un homme qui a pris une part impor-
tante dans la difficulté, que l'agitation va s'apaiser, et
que, se reposant sur la promesse du gouvernement que
les décisions de la loi seront interprétées avec libéralité,
les dignitaires de l'église vont cesser toute opposition
ultérieure."
Nous ignorons quelle est la part du vrai et quelle est
la part du faux dans toutes ces rumeurs, qui sont répan-
dues depuis quelques jours avec tant de persistance.
Sommes-nous pour assister à une acceptation du
statu quo scolaire du Manitoba, grâce à certaines pro-
messes officielles de libéralité et de bienveillance dans
l'application des lois relatives aux écoles publiques ?
Nous le saurons probablement d'ici à peu de temps.
Mais, quant à nous, nous doutons fort que cela soit
possible. A nos yeux les plus graves objections s'élèvent
contre une telle solution. Le gouvernement manitobain
344 MÉLANGES
a proclamé à maintes reprises qu'il ne pourrait concourir
au maintien d'un système d'écoles séparées et confes-
sionnelles. 11 a déclaré que jamais il ne consentirait à
ce que l'enseignement confessionnel fut donné dans les
écoles subventionnées par l'Etat. Nous avons déjà publié
de nombreuses citations pour établir ce point.
Elles démontrent clairement que le gouvernement
Greenway ne voulait pas que les écoles établies par la
loi scélérate de 1890 devinssent des écoles confession-
nelles.
Les écoles publiques du Manitoba sont donc, à tout
le moins, des écoles neutres. Comment l'Eglise pour-
rait-elle les accepter et conseiller aux pères catholiques
d'y envoyer leurs enfants ? En France, où des lois de
malheur ont établi l'instruction gratuite, obligatoire et
laïque, les catholiques, sur la parole de leurs pasteurs,
ont de toutes parts organisé l'enseignement libre, afin
que l'enfance ne soit pas exposée à perdre la foi dans
les écoles neutres. Ils se sont imposé pour cela les plus
grands sacrifices, tant on a considéré comme vitale cette
question de l'enseignement religieux dans l'école.
On ne peut donc pas supposer qu^ le St-Siège ou
son représentant puisse accepter l'école neutre sous une
forme quelconque.
Mais, nous dit-on, ce ne sera pas l'école neutre.
Greemvay a senti enfin s'amollir son cœur de roc. Le
coivboy qui préside aux destinées du Manitoba com-
mence à s'humaniser. Sans changer son système d'écoles
publiques, sans amender le règlement qu'il a bâclé avec
M. Laurier, et qui est inacceptable au point de vue des
principes catholiques, daiîs la pratique il va devenir
plus coulant ; il va tolérer, sans faire semblant de rien,
MÉLANGES 345
l'enseignement religieux dans les écoles des paroisses
ou des arrondissements catholiques. Est-ce que, étant
données les circonstances, un tel modus vivencH ne
devrait pas être accepté, plutôt que d'éterniser une
résistauce désespérée.
Tel n'est pas notre avis, nous devons le déclarer en
toute franchise et en toute loyauté. Si un semblable
dénouement de la grande lutte qui se livre ici depuis
sept ans devait être accepté par qui de droit, nous nous
inclinerions sans hésiter, mais la douleur dans l'âme,
car, à nos yeux, ce serait un désastre. La cause sacrée
de l'école confessionnelle, de l'école catholique, qui a
droit de cité en ce pays, subirait un échec, un amoin-
drissement fatals. La tolérance acceptée à la place du
droit, l'hypocrisie du demi-jour substituée à la liberté
publique, le mensonge officiel et précaire au lieu de la
loyale et sûre reconnaissance des franchises constitu-
tionnelles ! Quelle chute, quelle capitulation, quelle
incertitude du lendemain, quel péril pour l'avenir !
Au lieu de ce dangereux modus vivendi, mieux vaut
la lutte. Mieux vaut réclamer sans relâche l'application
loyale des clauses de la constitution, qui garantissent
le droit de la minorité, et, en attendant, continuer à
organiser l'enseignement catholique libre, à côté de l'en-
seignement neutre des écoles de l'Etat. Cela demande
des sacrifices, c'est vrai. Mais c'est la vie pour le présent,
et c'est l'avenir non compromis.
Avec l'arrangement dont nous parlent les dépêches,
ce serait le régime du bon plaisir et de l'arbitraire pour
les catholiques manitobains, et le coup de mort porté
aux garanties que des hommes d'Etat à l'esprit large
avaient inscrites dans la constitution de ce pays.
346 MÉLANGES
Quoi qu'il advienne, une chose est sûre. La lettre et
l'esprit de la constitution ont été violés dans cette ques-
tion des écoles du Manitoba, Tous les compromis du
monde ne sauraient masquer ce fait brutal. La loi répa-
ratrice était un redressement de ce grief, et une affir-
mation du droit constitutionnel de la minorité. Des
Canadiens-Français et des catholiques ont repoussé cette
loi en promettant de donner davantage s'ils en avaient le
pouvoir. Ils ont maintenant le pouvoir, et depuis un
an ils s'épuisent en manœuvres, en intrigues, en menées
de toute sorte pour éviter de tenir leur parole.
Eh bien, qu'ils ne s'imaginent pas pouvoir récolter
paisiblement le fruit de leur perfide tactique. Si nos
frères du Manitoba étaient obligés, par le malheur des
temps, de renoncer à la plénitude de leurs droits, cela
n'empêcherait pas M. Laurier et ses complices de res-
ter nos justiciables sur le terrain politique.
Par leur lâche complicité avec Greenway, ils ont
sacrifié les droits constitutionnels d'une minorité. Nous
leur jetterons cette trahison, ce crime politique à la face,
jusqu'à ce que le jour de la rétribution soit arrivé, et
qu'ils aient reçu leur châtiment de l'électorat trompé
par eux en 1896.
LETTRE D'ADIEU DU DELEGUE PAPAL
Au commencement de juillet 1897, Mgr Merry del
Val quitta le Canada. Avant son départ il adressa à
Mgr Langevin, archevêque de Saint-Boniface une lettre
qui était en même temps destinée à tous les catholiques
MÉLANGES 347
canadiens. Le 6 juillet 1897, le Courrier du Canada
la recevait d'Ottawa et la publiait :
Ottawa, 6. — Je vous envoie le texte même de la
lettre d'adieu de Mgr Merry del Val à Mgr Langevin :
Monseigneur,
A la veille de mon départ du Canada pour la Ville
Eternelle où j'irai bientôt déposer entre les mains augus-
tes de Sa Sainteté le résultat de mes investigations et
de mes efforts, je viens adresser une parole à Votre
Grandeur comme à l'évêque le plus immédiatement
intéressé dans la question qui a fait l'objet principal de
ma mission, et, par son entremise, j'entends m'adresser à
tous les catholiques du pays. Avant tout, Monseigneur,
qu'il me soit permis d'unir aux sentiments respectueux
et dévoués que j'offre de grand cœur à tous les arche-
vêques et évêques du Dominion, une expression sincère
de reconnaissance pour la bienveillance dont LL. GG.
out voulu m'accorder des preuves signalées. Mes remer-
ciements sont dus aussi à tous les membres du clergé
et aux fidèles des différents diocèses pour l'accueil cor-
dial et touchant qu'ils m'ont constamment offert. Je
regrette qu'il ne me soit pas donné d'exprimer à chacun
ce que mon cœur sent profondément. J'ai eu encore à
me louer de la grande courtoisie des autorités civiles et
je tiens à leur donner ici un témoignage de ma grati-
tude et de mon respect. Il nous faut espérer que l'œu-
vre si sainte de paix et de justice, désirée par le Saint-
Siège et par nous tous, sera pleinement réalisée.
A ce propos, je puis assurer Votre Grandeur que Sa
Sainteté se trouvera à même avant peu d'émettre une
décision et de tracer aux catholiques canadiens la ligne
de conduite à suivre dans la situation présente. Le
Saint-Père a épuisé toutes les sources d'informations
et à moins de vouloir se dérober à la vérité, il est
impossible de douter qu'il ne soit parfaitement rensei-
gné sur les faits et leurs circonstances. Dans Tinter-
348 MÉLANGES
valle, il reste cependant un devoir impérieux pour
tous et, dans l'exercice de mes fonctions, j'ai l'obliga-
tion de l'inculquer d'une manière formelle, avec la
certitude que les évêques et le clergé dévoués comme
ils le sont au Saint-Siège, veilleront à son accomplisse-
ment exact de la part des fidèles. Ce devoir est celui
de s'abstenir entièrement de toute agitation, d'oublier
les divisions et les ressentiments et de suspendre toute
discussion. Les choses étant entrées pour les catho-
liques dans une phase nouvelle par le seul fait de l'in-
tervention directe du Souverain Pontife, c'est à lui
qu'il revient aujourd'hui de déterminer en dernier lieu
leurs obligations par rapport au côté religieux de cette
question, et il n'est pas de notre ressort ni du ressort
de personne de prévenir son jugement et son action.
Il doit être évident pour tout catholique éclairé qu'on
ne peut ni invoquer ni soutenir l'autorité du pasteur
suprême en entamant celle des évêques, et que d'un
autre côté on affaiblit l'autorité épiscopale en entravant,
même indirectement, le libre exercice de celle du chef
de l'Eglise. Pour ma part, Monseigneur, j'ai trop vite
appris à estimer les catholiques du Canada et à admi-
rer leurs vertus pour douter qu'ils ne se réjouissent de
pouvoir laisser au vicaire de Jésus-Christ avec soumis-
sion et confiance le soin de veiller à leurs intérêts
religieux, intimement persuadés que sa direction sera
la plus sainte et la plus sage. Que Votre Grandeur
veuille bien agréer l'assurance de mon estime et de
mon attachement sincère, et qu'elle me permette de lui
exprimer mon désir ardent de voir prospérer sous le
regard de Dieu ce peuple du Manitoba, objet de son
zèle, de ses labeurs et de ses prières.
De Votre Grandeur le serviteur très dévoué en N. S.
Eaphael Merry Del Val,
Délégué Apostolique.
A Sa Grandeur Mgr Adélard Langevin,
Archevêque de St-Boniface, Manitoba.
MÉLANGES 349.
EN PRISON LES CATHOLIQUES !
14 octobre 1897.
Ecoutez ceci, Canadiens-rrançais et catholiques qui
avez voté pour mettre M. Laurier au pouvoir.
Ce grand patriote vous promettait de régler la ques-
tion des écoles " en six mois " et de faire rendre " jus-
tice entière " à nos coreligionnaires du Manitoba.
Quinze mois sont écoulés, et que se passe-t-il là-bas ?
Les catholiques ont- ils cette" justice entière " ? Sont-
ils libres ? Out-i!s la jouissance de leurs droits consti-
tutionnels? Leur a- t-on rendu les écoles qu'on leur a
volées ?
Hélas ! non. Bien au contraire la persécution semble
prendre nne nouvelle recrudescence. Le Manitoba,
rédigé par nu prêtre pieux et distingué, nous apporte ce
lamentable fait, dans son dernier numéro :
" Voici ce qui se passe dans un district scolaire dans
la paroisse Saiut-Eustache. Deux commissaires sur trois
veulent faire de l'école une école catholique ! Qu'ar-
rive-t-il ? A-t-on respecté celte décision de la majorité ?
Parce qu'ils étaient catholiques et voulaient rester
fidèles à leur foi et à leur nationalité, ils ont été cités
devant les tribunaux et ont eu la gloire d'être con-
damnés à l'amende ou à la prison. Ils refusent de payer
l'amende. Ils iront en prison.
" Bravo pour ces nouveaux témoins de notre foi et
de notre patriotisme ! Honneur à eux et à leurs familles !
Et maintenant qui sont les persécuteurs et qui sont les
victimes ?
350 MÉLANGES
" Et que diront nos frères de la province de Québec
et de toute la Puissance devant cette iniquité."
En prison ! les catholiques manitobains qui veulent
rester fidèles à leur foi et à leurs devoirs sacrés de
pères de famille.
En prison ! les Canadiens-Français du Manitoba qui
ne veulent pas trahir la cause sainte des écoles chré-
tiennes.
En prison ! nos frères qui repoussent de toute l'éner-
gie de leur conscience l'école neutre flétrie par l'Eglise
et réprouvée par Dieu.
En prison ! Voilà ce que réserve aux nôtres ce rustre
sans honneur, ce Greenway compère de Laurier, aux
pieds de qui trop de Canadiens sont allés lâchement se
vautrer l'automne dernier à Montréal !
C'est à cela, c'est au cachot pour les catholiques
intrépides qui ne veulent pas livrer l'âme de leurs
enfants au monstre de l'indifférentisme, c'est à cet excès
d'outrage et de persécution que devaient aboutir toutes
les défections, tous les reniements, toutes les reculades,
toutes les trahisons des Laurier et des Tarte,
Et ces hommes ont eu l'audace de dire ici et ailleurs
que la question des écoles était réglée, ou allait se régler,
grâce à leurs sunny ways et à leurs belles paroles !
Fourbes et menteurs !
Ah ! elle serait réglée aujourd'hui si ces traîtres
n'avaient pas tué la loi remédiatrice durant la session
de 1896, en combinant leurs efforts avec ceux de tous
les mangeurs de catholiques et de tous les mangeurs de
Français de la Chambre dt^s Communes.
Elle serait réglée ! Et le père catholique à qui les
sbires de Greenway, le cher ami de sir Wilfrid, vou-
MÉLANGES 351
draient mettre la main au collet pour le jeter en prison,
pourrait répondre fièrement : J'en appelle à la loi fédé-
rale qui garantit mon autonomie, ma liberté et ma foi.
Commencez-vous à comprendre, électeurs catholi-
ques qui avez voté pour Laurier ?
Le voile va-t-il se déchirer ?
La voix de la conscience et du patriotisme va-t-elle
se faire entendre ?
L'ENCYCLIQUE SUR LA QUESTION
SCOLAIRE
11 janvier 1898.
lîome a parlé, et d'un cœur joyeux et sincère nous
venons faire acte d'adhésion à sa parole souveraine.
L'Encyclique que nous avons publiée hier, fera épo-
que dans l'histoire religieuse du Canada. Pour la pre-
mière fois, le Pontife Suprême a adressé solennellement
la parole dans un grand document apostolique à l'église
canadienne. Ce n'est pas sans une profonde émotion
que nous avons lu ces lignes en tête de l'Encyclique :
" A nos vénérables Frères les Archevêques, les Evêques
et les autres Ordinaires de la Confédération canadienne,
en paix et en communion avec le Siège Apostolique,
Léon XIII, pape." Le chef de l'Eglise universelle, par-
lant pour la première fois dans une Encyclique à la
jeune église du Canada, quel beau et émouvant spec-
tacle !
Nos lecteurs ont parcouru cette mémorable lettre. Ils
y auront trouvé comme nous la lumière, et l'indication
352 MÉLANGES
de la voie qu'il faut continuer à suivre pour obtenir le
triomphe de la juste cause pour laquelle nous luttons
depuis tant d'années.
Quelle consolation et quelle force pour les catholi-
ques vraiment dévoués à l'Eglise, que cette parole du
Pape ! Et quelle satisfaction pour nos vénérables évê-
ques que cette éclatante approbation donnée à toute leur
conduite par le Souverain Pontife !
Nos frères du Manitoba et leur digue archevêque
devront aussi recevoir avec bonheur cette grande parole
qui relève leur cause écrasée.
Ah ! si tous les catholiques canadiens pouvaient
comprendre quels devoirs comporte l'Encyclique ponti-
ficale, et s'unir pour le triomphe du droit, comme la
victoire serait vite gagnée !
Voici les passages de l'encyclique Affari vos relatifs au
règlement LaurierGreenway, et au modus vivendi que le Saint-
Père conseillait aux catholiques d'accejiter, tout en conti-
nuant à réclamer les droits dont on les avait dépouillés :
•' Nous ne pouvons toutefois dissimuler la vérité ; la loi que
l'on a faite dans le but de réparation est défectueuse, impar-
faite, insuffisante. C'est beaucoup plus que les catholiques
demandent et qu'ils ont — personne n'en doute — le droit de
demander
" En attendant, et jusqu'à ce qu'il leur soit donné de faire
triompher toutes leurs revendications, qu'ils ne refusent pas
des satisfactions partielles. C'est pourquoi partout où la loi
ou le fait, ou les bonnes dispositions des personnes leur
offrent quelques moyens d'atténuer le mal et d'en éloigner
davantage les dangers, il convient tout à fait et il est utile
qu'ils en usent et qu'ils en tirent le meilleur parti possible."
MÉLANGES 353
UN CRI HONTEUX
26 mai 1898.
La Patrie nous apporte un extrait du petit journal
rouge de Winnipeg, VEcho de Manitoba.
Cette feuille, fondée par des partisans quand même
de M. Laurier, entreprend de faire la leçon à M, Ber-
geron et aux autres amis de la minorité manitobaine.
Cela se termine comme suit :
" Ils peuvent se vanter de nous embêter diablement
nous autres catholiques du Manitoba, et à tel point que
la seule réponse que nous puissions leur faire est
" Fichez-nous la paix."
" Oui, nous sommes fatigués de ces luttes hypocrites
dont nous ne pouvons qu'être les victimes ; nous som-
mes satisfaits, entièrement satisfaits des concessions
obtenues, et nous voulons en profiter ; nous avons soif
de tranquillité, d'apaisement, convaincus que par là
seulement nous arriverons à une paix définitive ; les
conseils de notre Saint-Père le Pape nous dictent notre
conduite, et les résultats actuels nous garantissent
l'avenir,"
Véritablement l'odieux le dispute, dans ces lignes, à
l'ineptie.
Ah ! vous êtes " satisfaits, entièrement satisfaits,"
messieurs les rougets de Winnipeg. Eh bien, s'il en est
réellement ainsi, vous êtes mûrs pour toutes les déché-
ances, bons pour toutes les servitudes.
Vous êtes " satisfaits, entièrement satisfaits " de vous
être vu arracher votre autonomie scolaire !
23
354 MÉLANGES
Vous êtes satisfaits d'avoir vu fouler aux pieds vos
franchises constitutionnelles!
Vous êtes satisfaits de n'avoir plus votre bureau
d'éducation catholique, votre surintendant catholique,
vos arrondissements scolaires catholiques, toute votre
organisation catholique, indépendante et libre !
Vous êtes satisfaits de voir méprisé le jugement du
plus haut tribunal de l'empire, rendu en votre faveur :
Vous êtes satisfaits d'un état de choses sans garanties
et sans sécurité, où le compromis remplace la loi, où
le bon plaisir prend le pas sur la constitution, et d'où
le droit est banni au profit de l'arbitraire !
Vous êtes satisfaits de pher devant le nombre, de
céder devant la force brutale, de recevoir subreptice-
ment quelques jauvres lambeaux d'une tolérance pré-
caire, au lieu de voir reconnaître la plénitude de vos
légitimes revendications !
Eh bien, soyez satisfaits, soyez entièrement et igno-
minieusement satisfaits, tristes Canadiens de VEclio du
Manitoha, puisque le drapeau rouge vous est plus
cher que le drapeau de vos libertés.
Mais n'essayez pas d'abriter votre couardise et votre
servilisme derrière l'auguste parole du Pape. Le Saint-
Père ne vous a pas dit de vous taire, de vous aplatir et
de lécher la main qui vous a dépouillés. Il vous a dit
de continuer à revendiquer tous vos droits avQc une
fermeté calme, tout en ne repoussant pas les réparations
partielles que vos persécuteurs pourraient vous offrir.
Dieu merci, vous n'êtes que les représentants d'une
infime coterie, car si votre cri de satisfaction honteuse
était l'écho des sentiments de la minorité manitobaiue,
ce serait à désespérer de notre race.
MÉLANGES 355
OU EST LA QUESTION DES ECOLES
16 février, 1899
Le dernier numéro du Manitoh'i uous apporte des
renseiguements importants relativement à la question
scolaire. Les voici :
" La semaine dernière, nous avons signalé d'une façon
générale les plaintes de M. Keam, de Lorette, contre le
fonctionnement de la loi scolaire et l'appui donné à ces
plaintes par un journal de Winnipeg. M. Keam disait,
entre autres choHes.que M. le curé Dufresne avait entendu
la confession des élèves dans l'école durant les heures
de classe, et leur avait donné congé dans l'après-midi.
" Depuis, Sa Grandeur Monseigneur l'archevêque de
St-Boniface a autorisé la publication dans le Free Press
du 2 courant, de la rectification suivante :
" Le Rév. M. Dufresne nie catégoriquement avoir
" entendu les confessions dans la salle de l'école durant
" les heures de classe, et il n'a jamais donné de congé
" tel qu'on l'allègue. Cette fausse rumeur va de pair
" avec cette autre histoire absurde selon laquelle Sa
<' Grandeur, l'archevêque de Saint Boniface, aurait reçu
" de M. Greenway, pour les écoles catholiques, un
" chèque de $4,00 J. Si les catholiques obtenaient ce
*' qui leur est dû seulement pour Winnipeg, le montant
*' s'en élèverait au moins à 840,000. Sa Grandeur serait
" très aise de recevoir ce montant de M. Greenway."
" D'une autre part la Tribune du 2 courant publie
le paragraphe suivant :
" Il est entendu que le département de l'éducation
356 MÉLANGES
" fait actuellement une enquête sur les infractions de la
" loi scolaire qu'on a dénoncées dans le sud- est de la
" province, mais cette enquête n'est pas terminée. Le
" Dr Blakely, chef du département, est allé visiter les
" écoles de Lorette et de Sainte-Anne."
Tout cela jette beaucoup de lumière sur la situation
réelle de la minorité mauitobaine en matière d'éducation.
En effet, qu'arrive-t-il ? Se fiant aux promesses et
aux bonnes paroles officieuses, une école catholique
prend-elle vraiment le caractère d'école catholique, vite
on la dénonce aux autorités. Il se trouve des douzaines
de fanatiques pour crier : " A tel endroit l'école est
conduite contrairement à la loi, la loi est violée." Et
aussitôt un inspecteur protestant part pour faire une
enquête et constater le délit.
Dans bien des cas nous sommes convaincus que la
loi est réellement violée, par suite des assurance diplo-
matiques qui ont été données. Et alors quelle est la
position des catholiques ? Celle de violateurs de la loi,
passibles de toutes les pénalités et punitions édictées en
pareil cas.
Voilà, prise sur le vif, la situation actuelle des catho-
liques manitobains. On les induit à violer la loi tous
les jours, puis, s'ils sont dénoncés comme ayant violé la
loi, on fait contre eux des enquêtes.
C'est de cette manière que la question des écoles a
été réglée par MM, Laurier, Tarte et Greenway. Tel
est, dans toute sa beauté, le règlement dont on se vante.
Eh bien, ce règlement n'est qu'une nouvelle forme
des dénis de justice dont nos coreligionnaires ont été
abreuvés depuis dix ans. On les a poussés dans une
MÉLANGES 357
situation fausse, sur un terrain dangereux, où ils sont
absolument les jouets de l'arbitraire.
Ils n'ont pas la liberté.
Ils n'ont pas l'autonomie.
Ils n'ont pas l'indépendance.
Ils n'ont pas la sécurité.
Ils sout constamment exposés à des poursuites et à
des vexations odieuses.
Ils sont campés au bord d'un précipice avec les
foudres officielles toujours suspendues sur leurs têtes.
Et cela en dépit des droits sacrés qui leur sont
garantis par la constitution, et qui ont été sanctionnés
par le plus haut tribunal de l'empire !
Où est la promesse de M, Laurier, de faire rendre
aux catholiques raanitobains l'intégrité de ces droits ?
LES ECOLES CATHOLIQUES HORS
LA LOI
18 février 1899
Le Star de jeudi publie la dépêche suivante qui n'a
pas besoin de commentaires :
Winnipeg, IC. — Parlant devant l'association libérale,
ici, le premier ministre Greenway a fait l'allusion sui-
vante à la question des écoles :
" Il y a des gens qui se donnent actuellement pour
mission de faire des insinuations au sujet de l'attitude
du gouvernement, concernant les écoles publiques.
3o8 MÉLANGÉS
Ces gens n'hésitent pas à dire que le gouvernement a
faibli dans la position qu'il a prise depuis longtemps,
et à ces gens, je désire dire qu'ils n'ont jamais fait si
grande erreur. Il est impossible pour le gouvernement
de tenir des officiers au guet à la porte de chaque école.
Mais ce que le gouvernement peut faire, et ce qu'il fera,
c'est de voir à ce que dans chaque cas où la loi régissant les
écoles est violée, la subvention du gouvernement leur soit
retenue. Le gouvernement occupe aujourd'hui la position
qu'il a toujours occupée depuis l'adoption de l'acte des
écoles publiques. Son but est de rendre le peuple de
cette province un dans l'éducation et un dans le déve-
loppement du pays, et il ne souffrira aucune intervention
dans la mise à exécution de sa politique d'après ces
principes."
Ces paroles brutales ont au moins le mérité de la
franchise. Elles jettent un jour sinistre sur la situation
réelle de nos coreligionnaires du Manitoba,
Cette situation, comme nous l'avons démontré ces
jours-ci, est absolument précaire et périlleuse. Les catho-
liques manitobains ne peuvent avoir des écoles vraiment
catholiques, qu'en violant la loi des écoles publiques ;
et s'ils violent la loi, ils seront frappés par le gouverne-
ment, s'écrie M. Greenway.
Le règlement de la question des écoles, le voilà !
Est-ce là ce que M. Laurier avait promis?
Est-ce là ce que la presse libérale avait annoncé ?
Est-ce là le résultat de cette fameuse conciliation —
ihe sunny ways of conciliation — qu'on nous avait tant
piônée d'avance ?
M, Greenway en a assez des hypocrisies auxquelles
on l'avait condamné. Il lève le masque. Il montre sa
MÉLANGES 359
figure de persécuteur. Il se moque des catholiques atti-
rés sur un terrain semé de pièges, et il les menace des
rigueurs de la loi.
C'est ainsi que la question des écoles est réglée !
LA QUESTION DES ECOLES ET SIR
WILFRID LAURIER
30 septembre 1899
Pour la première fois depuis bien longtemps, sir Wil-
frid Laurier a parlé de la question des écoles, dans son
discours de Drummondville.
Nous empruntons à la Patrie les paroles qu'il a pro-
noncées en cette occasion :
" Les bleus prétendent avoir reçu du ciel l'art divin
de gouverner; ils croient qu'ils ont la science infuse du
gouvernement. J'ai toujours répété que si nous ne pou-
vions pas mieux gouverner qu'eux, il ne valait pas la
peine d'opérer de changement. Je me suis fait fort,
pendant les dernières élections, que si nous arrivions au
pouvoir, en six mois nous ferions ce qu'ils n'ont pas été
capables de faire en six ans,
" Vous savez qu'en 1896, une question irritante
jetait le trouble dans le pays. C'était une question où
la religion et la politique étaient confondues, La solu-
tion de cette question exigeait les plus fortes qualités
chez un homme d'état. Uancienne administration pré-
tendait avoir réglé cette question par la présentation
360 MÉLANGES
d'un bill appelé réparateur, mais qui ne réparait rien
du tout. Ce bill, d'uu autre côté, était de nature à
irriter la population d'une province sœur. La mesure
échoua, et nous arrivâmes au pouvoir. Nous avons
promis de régler la question en six mois. Vous êtes
témoins que cette promesse a été remplie à la lettre.
" La question des écoles n'existe plus, bien que nos
amis les bleus cherchent à la remettre sur le tapis."
La question des écoles n'existe plus ! Tel est l'oracle
prononcé par sir Wilfrid.
Qu'est-ce à dire ? La minorité catholique du Mani-
toba a-t-elle été replacée dans la position qu'elle occu-
pait avant 1 890 ?
A-t-elle été remise en possession de son autonomie
scolaire ?
Lui a-t-on rendu les franchises qu'elle possédait en
vertu de la constitution ?
Si le premier ministre ne peut répondre affirmative-
ment à ces interrogations — et il en est incapable —
comment peut-il affirmer que la question des écoles est
réglée ?
En effet, qu'est-ce que c'est que la question des écoles
du Manitoba ? La question des écoles du Manitoba,
voici en quoi elle consiste : D'après l'acte fédéral en
vertu duquel le Manitoba est devenu l'une des pro-
vinces de la confédération canadienne, la législature de
cette province ne pouvait toucher en aucune façon aux
écoles confessionnelles qui y existaient alors. A ce
moment, les catholiques manitobains avaient leurs écoles
catholiques, qu'ils soutenaient de leurs deniers, sans être
obligés de contribuer en rien au soutien des écoles pro-
testantes. Après l'union une loi fut passée par la légis-
MÉLANGES 361
lature, établissaut un système complet d'écoles coufes-
sionuelles ; les catholiques avaient leur comité d'éduca-
tion, leur surintendant, leurs municipalités scolaires,
leurs livres ; ils payaient leur part de taxes scolaires et
ils retiraient du trésor public leur part de subventions.
Ce régime de justice et de liberté fonctionna admirable-
ment pendant dix-neuf ans.
Au bout de ce temps, en 1890, un ministère libéral,
le ministère Greenway, encore au pouvoir aujourd'hui,
abrogea la loi de 1871, et les lois qui l'avaient amendée,
abolit les écoles catholiques, enleva à la minorité son
autonomie scolaire, et décréta pour toute la province un
système d'écoles publiques protestantes, ou du moins
d'écoles neutres. Les catholiques réclamèrent én-ergique-
ment contre cette iniquité. Ils s'adressèrent aux tribu-
naux, ils firent valoir leurs griefs devant le gouverneur
général en conseil et le Parlement fédéral, comme la
constitution leur en donnait le droit. Bref, en 189G, le
gouvernement conservateur d'alors, dirigé par sir Mac-
kenzie Bowell et sir Charles Tupper, proposa une loi
qui rendait aux catholiques leur autonomie, leur bureau
d'éducation, leur surintendant, leurs instituteurs, leurs
livres, et qui fut déclarée par Mgr l'archevêque de Saint-
Boniface un " règlement substantiel, raisonnable et
définitif de la question des écoles conformément à la
constitution." (Télégramme du 13 avril 1896).
Cette loi véritablement réparatrice, sir Wilfrid Laurier
et ses partisans en empêchèrent l'adoption. Les élections
générales eurent lieu. Le chef libéral promit de faire
mieux que les conservateurs, de tenter d'obtenir pour
les catholiques manitobains "justice entière," au moyen
de la conciliation, et, si la conciliation ne réussissait pas,
362 MÉLANGES
d'exercer " complet et entier le recours constitutionnel
que fournit la loi." (Discours de M. Laurier à St-Roch).
Eh bien, voici trois ans que sir Wilfrid Laurier est
au pouvoir. Il n'a pas eu le courage d'aborder de front
la difficulté, comme l'avaient fait les conservateurs. Il
a préféré biaiser, tergiverser, transiger. 11 a négocié avec
son ami, M. Greenway, et quand il a vu que celui-ci
ne voulait pas rendre aux catholiques leurs droits cons-
titutionnels, il a abandonné et sacrifié ces droits.
De l'aveu de sir Wilfrid Laurier, avec son consente-
ment et par sa faute, la constitution reste violée au
détriment de la minorité catholique manitobaine.
Il demeure acquis que, dans notre pays, les garanties
constitutionnelles, les lois protectrices, les conventions
et la foi publique peuvent être impunément foulées
aux pieds par une majorité injuste, du moment que la
minorité est catholique et française !
Ah ! il faut avoir le courage de regarder les choses
en face, et de les appeler par leur nom : ce qui est
arrivé, ce qui persiste, ce qui se prescrit depuis trois
ans, c'est la défaite du droit, c'est la défaite de la jus-
tice, c'est la défaite de la constitution, parce que le
droit, la justice et la constitution étaient du côté de
nos coreligionnaires et de nos co-nationaux.
En effet, quand bien même M. Laurier aurait obtenu
d'immenses concessions de M. Greenway, — ce qui
n'est pas vrai, — il n'en resterait pas moins certain et
manifeste que la constitution et le droit sont vaincus.
Car ces concessions sont extra-légales et ultra-légales.
De par la loi inique édictée par M. Greenway en
1890, et maintenue par lui en dépit de tout, le système
scolaire actuel du Manitoba, c'est l'école neutre. Nous
MÉLANGES 363
défions sir Wilfrid Laurier ou qui que ce soit de nous
démentir.
Quelles sont donc les concessions dont jouissent çà
et là, subrepticement, furtivement, les catholiques mani-
tobains ? Ces concessions consistent, paraît-il, à pouvoir
violer la loi, dans l'ombre, sans garantie contre les
éventualités du lendemain. C'est le régime du bon plai-
sir, du caprice ministériel, de la tolérance périlleuse et
aléatoire, de l'illégalité ténébreuse et sans franchise,
substitué à celui de la liberté sans entraves, de la
sécurité légale, du plein jour et du droit.
La voilà, la question des écoles. La voilà dans ses
différentes phases, et dans son état présent. Et après
cet exposé rapide et sincère, quel homme impartial osera
dire qu'elle est réglée, qu'elle " n'existe plus."
Sir Wilfrid Laurier, quoi que vous en pensiez et quoi
que vous en disiez, elle existe eucore cette question
douloureuse et poignante. En ce moment, il y a des
catholiques à Winnipeg à qui on arrache leur argent
pour subventionner des écoles protestantes ou neutres,
et qui sont obligés de payer encore pour soutenir les
écoles conformes à leur foi religieuse.
Voilà comment vous avez réglé la question des écoles !
Voilà la " justice entière " que vous avez fait rendre
aux catholiques.
Voilà le recours " complet et entier " que vous avez
exercé en leur faveur !
Et vous avez l'audace de dire que vous avez tenu
parole. Satisfait et dispos, vous vous frottez les mains
et proclamez après dîner que tout est fini.
Non, non, sir Wilfrid Laurier, tout n'est pas fini. Sans
doute il s'est produit sur cette question un apaisement
364 MÉLANGES
de surface. Une parole auguste et souveraine, pour tout
catholique digne de ce nom, est venue tempérer les
ardeurs de la lutte, réprimer les indignations trop vives,
indiquer aux revendications des opprimés une orienta-
tion nouvelle, suspendre, pour ainsi dire, les hostilités,
et vous donner le temps d'être juste. Nous nous som-
mes inclinés devant la voix du Pontife Suprême, et nous
avons presque déposé les armes. Mais vous, qu'avez-
vous fait ? Vous avez profité de ce répit pour achever
de sacrifier diplomatiquement la constitution et la jus-
tice. Aujourd'hui, les droits constitutionnels des catho-
liques manitobains sont plus compromis qu'ils ne l'ont
jamais été depuis dix ans. On a jeté à nos frères quel-
ques os à ronger, mais ils sentent se dérober sous eux
le bon et solide terrain constitutionnel sur lequel ils
étaient campés et où. ils auraient fini par vaincre. La
loi scélérate de 1890 reste debout, intacte, toujours
oppressive et tyrannique dans ses dispositions, et sou
auteur, M. Greenway, vient de faire en public la décla-
ration suivante :
" Ce que le gouvernement peut faire et veut faire,
c'est de confisquer la subvention législative si les règle-
ments concernant l'administration de ces écoles sont
violés. Le gouvernement conserve aujourd'hui la même
attitude que celle qu'il a toujours eue depuis la passa-
tion de l'acte des écoles publiques."
C'est ainsi que la question des écoles est réglée.
Dans de telles conditions, la parole de sir Wilfrid
Laurier, " la question des écoles n'existe plus," rend
un son lugubre et funèbre. C'est la dernière pelletée
de terre jetée sur la fosse où gisent le droit et la
justice.
MÉLANGES 365
Eh bien, non, il n'en sera pas ainsi, et le fossoyeur
de Drummondville se trompe s'il croit avoir définitive-
meut enterré cette cause sainte. D'autres fossoyeurs
politiques avant lui ont cru aussi enterrer à jamais
des causes également sacrées. Mais la justice et le
droit sont immortels, et sir Wilfrid s'apercevra tôt ou
tard qu'on ne les supprime pas avec un geste élégant
et un sourire de dédain.
UNE LETTRE DE Mgr LANGEVIN
7 septembre 1901.
Sa Grandeur Mgr Langevin, archevêque de Saint
Boni face, vient d'adresser au Manitoha une lettre dont
nous extrayons les passages suivants :
A M. le rédacteur du Manitoha.
Monsieur le rédacteur,
Votre article du 21 du courant, publié sous la rubri-
que : " A propos des écoles catholiques de Winnipeg ",
et renfermant les propositions du Bureau des écoles
publiques de Winnipeg, nou ; fournit une heureuse occa-
sion de présenter au public quelques observations que
nous vous prions de reproduire dans votre estimable
journal
Quand une armée vaillante abandonnée par des frères
et des alliés, reçoit de son généralissime l'ordre de se
rendre, après avoir proclamé cependant ses droits et
366 MÉLANGES
exigé les honneurs de la guerre, elle n'a qu'une chose
à faire : obéir ou mourir. C'est le cas de la minorité
catholique du Manitoba depuis 1897 : nous avons obéi
et nous vivons.
Il nous reste toutefois, vous le savez, M. le rédac-
teur, le droit et le devoir, comme catholiques et citoyens
libres, de réclamer les droits sacrés que la constitution
de notre pays nous donne à des écoles confessionnelles,
les seules qui puissent assurer efficacement l'avenir
religieux et social de notre jeune patrie
Aussi est-ce sous l'inspiration de ce devoir si grave
de notre charge pastorale que nous avons fait des
démarche?, et que nous nous sommes imposé des sacri-
fices et des humiliations de toutes sortes, toujours sous
la direction du St-Siège, afin d'améliorer notre situation
scolaire précaire, gênante et fausse par plus d'un endroit.
Espérant que nous verrons des jours meilleurs, nous
ne négligerons pas de tirer partie des avantages péril-
leux et incomplets mais réels de la situation présente.
Je demeure, M. le rédacteur, votre bien sincèrement
dévoué.
Adêlard, 0. AI. I.
Archevêque de St-Boniface.
Nous avons remarqué dans cette lettre si digne et si
douloureuse la phrase suivante : " Quand une armée
vaillante, abandonnée par des frères et des alliés, reçoit
de son généralissime l'ordre de se rendre, après avoir pro-
clamé cependant ses droits et exigé les honneurs de la
guerre, elle n'a qu'une chose à faire : obéir ou mourir."
Voilà la situation scolaire manitobaine peinte en quel-
ques lignes graphiques. La minorité catholique du
MÉLANGES 367
Manitoba a été abandonnée par ses allies et ses frères,
c'est-à-dire par la province de Québec et par ses chefs;
et alors, se conformant aux instructions du chef suprême,
elle a dû capituler en essayant d'obtenir les moins mau-
vaises conditions possibles.
Aujourd'hui, l'école confessionelle, " la seule qui
puisse assurer efficacement l'avenir religieux et social
de notre jeune patrie," cette école est morte au Mani-
toba. Et à sa place, nos frères de là-bas doivent accep-
ter " une situation scolaire précaire, gênante et fausse
par plus d'un endroit."
C'est ainsi que M. Laurier a réglé la question des
écoles du Manitoba. Il a " abandonné " la minorité
catholique, et l'a livrée pieds et poings liés au régime
de l'arbitraire et du bon plaisir.
ERRA.TA
Page 6, au lieu de : " la prosélytisme, " dans la onzième
ligne, lisez : " le prosélytisme."
Page 206, au lieu de : " ne procède pas, " dans la quinzième
ligne, lisez : " ne procède pas."
Page 221, au lieu de : " à blaguer," dans la trentième ligne
lisez : " de blaeuer."
Page 173, au lieu de : " 6 novembre ", dans la quinzième
ligne, lisez : " 6 mars ". , • .
Page 174, au lieu de: «31 mars 1889", dans la vingt-
sixième ligne, lisez: " 31 mars 1890 ".
TABLE DES MATIÈRES
Pages.
Préface , 5
Au PUBLIC 15
LA. FÉDÉRATION IMPÉRIALE
Sir Charles Tupper et la fédération impériale , 19
La fédération impériale 20
Le journal de la ligue fédéraliste 25
M. Blake et la fédération 27
Le Globe et la fédération 31
Nos hommes politiques et la fédération impériale 33
Une lettre de l'honorable M. Blake 39
M. Laurier veut une fédération anglo-saxonne 44
Sir Wilfrid Laurier fédéraliste 47
La fédération impériale et M. Tarte 55
Fédéralistes de la veille et du lendemain 59
La fédération et nos chefs politiques 62
QUESTIONS RELIGIEUSES
Les idées deVElecfeur 69
Les Jésuites et le Mail 72
Ultramontain 78
Le scandale de Maskinongé et le Canadien 83
Les aventures de M. Laurier , 88
24
370 TABLE DES MATIÈRES
FIGURES DISPARUES
Pages.
M. Joseph Doutre 93
L'honorable P.-J.-O. Chauveau 94
Sir John Macdonald 97
Monseigneur Taché ..., 103
Monsieur Gladstone 104
La reine Victoria 106
CRITIQUE ET BIBLIOGRAPHIE
Frédéric Ozanam, sa vie et ses œuvres 111
La Vie de M. le curé Painchaud 114
Le Fort et le Château Saint-Louis 118
Une œuvre littéraire 120
QUESTIONS DE MORALE LITTERAIRE
Les réclames de V Electeur 125
L'écho des coulisses 128
La littérature malsaine 130
Gare le poison ! 132
Deux romans feuilletons 133
Les farces de M. Beaugrand 134
La fameuse épître de M. Beaugrand 139
ÇX ET LÀ.
Un cardinal à Québec 143
Le Laurier yankee et le sir Wilfrid britannique 147
Cavour et Laurier 149
TABLE DES MATIÈRES 371
Pages.
Le comte de Frontenac - ••
La Saint-Jean-Eaptiste ^"°
Sur la tombe du XIXe siècle 1^*^
LA QUESTION DES ÉCOLES DU MANITOBA
Les amis de l'^Zec/ei/r au Manitoba 165
La crise au Manitoba
Le fanatisme au Manitoba 1'**
L'attitude du Glohe ^'^^
Larmes de crocodile *''^
La loi des écoles du Manitoba 181
IQO
Après coup
Le triomphe du droit 1^^
Le jugement du Conseil Privé 1^*
Le temps est venu l"**
La motion de M. Tarte 201
L'opposition a la parole -^-'
Les responsabilités ^^*
Une importante nouvelle 210
M. Laurier à Winnipeg.. '^^^
La position de M. Laurier ■ 216
La victoire des catholiques devant le Conseil Privé 217
M. Laurier à Montréal -'1°
Un article du Hamilton Spectator • 223
Les fanatiques et le gouvernement 229
Le discours de M. Laurier 230
M. Clarke Wallace 235
Justice aux catholiques 236
/
372 TABLE DES MATIÈRES
PagesT*
Les iniquités de l'esprit de parti.. 238
Notre attitude 242
Polémique malhonnête 247
Loi réparatrice ou désaveu ? 250
La réponse du Manitoba 252
LTne lettre de M. Laurier 254
La situation à Ottawa 256
La fausse théorie de M. Weldon 260
La cause du retard. 263
La crise ministérielle 264
La situation 269
Le discours de sir Mackenzie Bowell 271
La motion Laurier , 273
Un important document 274
Le discours du Trône 276
Nouvelle crise. 278
La loi réparatrice 282
Ottawa et Winnipeg 288
La trahison de M. Laurier 297
Qui faut il croire ? 300
En avant! 303
L'obstruction 306
Notre devoir 315
Le manifeste conservateur 316
Les insultes auxévêques 318
La parole épiscopale 318
Les déclarations de M. Laurier 321
Après la défaite ,, 322
TABLE DES MATIÈRES 373
Pages.
Le parti conservateur et la situation 324
Ce qu'ils ont promis 327
Le fameux règlement Laurier-Greenway 328
La protestation de Mgr Langevin 333
Le compromis Laurier-Greenway 334
Un délégué du Pape 339
Rumeurs de compromis 342
Lettre d'adieu du délégué papal 34G
En prison les catholiques 349
L'Encyclique sur la question scolaire 351
Un cri honteux 353
Où en est la question des écoles 355
Les écoles catholiques hors la loi 357
La question des écoles et sir Wilfrid Laurier 359
Une lettre de Mgr Langevin 305
FIN DE LA TABLE DES MATIERES.
F Chapais, (Sir) Thomas
5081 Mélanges de polémique et
G5 d'études religieuses, politiques
et littéraires
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